lundi 18 décembre 2017

Les épouvantails de Paris.

Les épouvantails de Paris.


Il y a de bonnes gens au sens émoussés qui recherches les impressions horribles et se délectent aux frissons que donne la vue des cadavres de la Morgue ou des victimes sanglantes des accidents de la rue.
Ceux-là doivent trouver au Muséum toutes les satisfactions qu'ils peuvent désirer.

Une Vénus décapitée.

Voyez la Vénus hottentote qui est une des plus singulières pièces de la galerie d'anthropologie. Cette sauvagesse couleur de pain d'épice était à Paris pour s'exhiber devant un public qu'elle comptait ahurir par sa laideur. Fut-elle considérée comme une beauté dans son pays des Boschimans qui passe pour produire les plus laids des bipèdes du genre homme? Mais le Paris de la Restauration recula d'horreur.
Comment la Vénus hottentote fut-elle revendiquée par le Muséum? Je l'ignore, mais ce que je sais, c'est qu'une fois entrée dans les collections, il lui advint la plus fâcheuse des aventures: un monomane du vol lui déroba sa tête!
Pendant de longues années, le Muséum ne posséda qu'une Vénus hottentote décapitée. Enfin, en 1827, une personne qui n'a pas voulu se faire connaître restitua à la galerie d'anthropologie le chef de la négresse.

Visions de supplices.

Oh! cette galerie! à l'aide de quelles complicités de bourreaux et de fossoyeurs a-t-elle donc pu réunir tous les sinistres objets qui la remplissent? Voici une série de têtes d'Arabes et de kabyles abattues jadis à coups de yatagan et séchées au soleil d'Afrique; leurs bouches tordues dans un rictus d'agonie laisse voir l'éclat de leurs dents blanches.
Un assassin livré au supplice vengeur est là; c'est Soliman-el-Haléby, le jeune Syrien fanatique qui poignarda Kleber, général en chef de l'armée française en Egypte. Il fut condamné à être empalée après avoir eu la main brûlée. Il survécut six heures à son supplice et ne poussa pas une plainte au milieu des souffrances.
On remarque dans ce qui reste de lui que la brûlure de la main s'est portée jusqu'aux os et que le pal, après avoir lacéré les viscères, a fracturé les vertèbres et s'est implanté dans le canal vertébral. Si la place de la Roquette nous eût donné un tel spectacle, il y a longtemps que l'on aurait aboli la peine de mort.
Papavoine, cet impulsif que gagna la folie du meurtre et qui égorgea deux enfants sous les yeux de leur mère, dans le bois de Vincennes, figurait en buste dans la même collection; c'était un moulage exécuté sur nature.
La calotte du crâne du poète Legouvé, un autre crâne que l'on croit être celui de Descartes, la tête d'Eva  Cattel, une tireuse de cartes qui fut célèbre à Vienne; des crânes de moines, de médecins, de peintres, d'écrivains, de marchandes de modes, des crânes égyptiens tirés des momies, voisinent curieusement.
Des têtes d'Européens, de Tartares, de Kalmouks, de Chinois, de Lapons, de Hottentots, de Peaux-Rouges, constellent les murs de la galerie d'anatomie. On y voit aussi de ces têtes telles que savent les préparer certains peuples des rives de l'Amazone. Le procédé mérite une explication. On désosse la tête du mort; puis on fait savamment sécher  la peau qui se rétrécit et se replie peu à peu sur elle-même. L'art est de conserver à la tête ainsi graduellement réduite sa forme humaine; elle la conserve encore quand elle est à peine plus grosse que le poing; elle conserve ses yeux qui sont gros comme l'ongle, son nez qui ressemble à celui d'un carlin, sa petite bouche et sa chevelure qui est seulement plus épaisse et plus condensée sur cet horrible raccourci.

Le monstre à deux têtes.

Mais le plus étrange, a coup sûr, des êtres humains qui se virent au Muséum est le monstre bicéphale qui s'appelait de son vivant Ritta-Christina * et dont le squelette est enfermé dans une vitrine de la galerie d'anatomie comparée.
Ce monstre naquit le 12 mars 1829 à Sassari, en Sardaigne, et vécut huit mois et demi. Lorsqu'on l'apporta à l'église pour le faire baptiser, le desservant de la paroisse demeura perplexe; mais remarquant que ce nouveau né avait réellement deux têtes, il lui donna deux noms et deux baptêmes séparés. Cet être extraordinaire arriva à Paris le 26 octobre 1829 et fut présenté à la Faculté de médecine  et aux Académies.
Force fut de se rendre à l'évidence: il y avait réellement deux êtres dans une même enveloppe. Les deux volontés étaient bien manifestes. Souvent, il est vrai, les deux têtes pleuraient en même temps, mais il n'était pas rare de les voir l'une téter et l'autre dormir. Christina sourire et Ritta conserver une sorte d'immobilité. Peu de temps après leur arrivée à Paris, soit par les fatigues du voyage, soit par suite d'un refroidissement, Ritta tomba gravement malade et succomba après quelques jours d'agonie. On a raconté que pendant que sa sœur était mourante, Chritina jouissait d'une santé excellente: elle jouait même sur le sein de sa mère. Mais au moment où Ritta rendit le dernier soupir, Christina poussa un cri et expira.

                                                                                                                     Henri Plessis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 29 avril 1907.

* Nota de Célestin Mira: Rita et Christina sont deux filles siamoises nées à Sassari, en Sardaigne, et décédées d'une bronchite à l'âge de huit mois.



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