lundi 11 décembre 2017

La cuisine des milliardaires.

La cuisine des milliardaires.


Comment mangent les milliardaires? Une sage frugalité règne-t-elle sur leurs tables, ou bien, font-ils venir des quatre coins du monde les victuailles les plus recherchées?
Voilà ce que la géniale curiosité d'un publiciste d'outre-mer imagina de nous révéler. Pour ses lecteurs, il fit le tour des hôtels les plus fastueux de New-York, pénétra indiscrètement la vie privée des rois du trust et s'installa dans leurs cuisines.
Il visita des offices somptueux comme des antichambres royales, des garde-manger qui ressemblaient à des reliquaires, des glacières perfectionnées où vingt personnes pourraient prendre place, des cuisines dallées de marbre, aux meubles d'acajou et de santal massifs; il vit des fours électriques, des casseroles de nickel, d'argent et de cristal; la petite batterie de cuisine de Mme Russel Sage, toute d'or incrustée; il soupesa des réchauds et des plats qui représentaient des fortunes.
Or, toutes les maîtresses de maison lui affirmèrent que ce n'était qu'apparat et trompe l’œil; que dans ces précieux métaux n'avaient mijoté que les mets les plus simples et toutes lui affirmèrent leur prédilection pour "la cuisine bourgeoise". Alors, chacune tint à l'honneur de lui livrer une recette à elle, un petit plat favori, par elle inventée pour l'époux. Touchante frugalité! nous sommes loin des délectations savantes d'un Brillat-Savarin ou des Jeux culinaires de Charles Fourier... 

Voici le "Creamed lobster", savoureuse façon de préparer une langouste, dont l'invention est due à Mme William B. Franklin:

Hacher très menue la chair d'une belle langouste; faire bouillir un quart de litre de lait et y verser doucement deux bonnes cuillerées de farine mélangées à un peu de lait froid. Assaisonnez avec du poivre gris et rouge, du persil haché et un petit oignon.
Verser dans un plat chaud en alternant une couche de langouste avec une couche de la crème obtenue. Saupoudrer de mie de pain et puis faire rissoler au four.

Voici encore le Virginia pudding dû à Miss Cary Randoplph, la grand'tante de M. Thomas Jefferson:

Une pinte de mie de pain, une tasse à thé de sucre, un quart de crème; le jaune de quatre œufs et une écorce de citron hachée; battre les jaunes, le sucre et le citron ensemble; y mêler la mie et cuire légèrement. Étendre ensuite sur le tout une couche de confiture; battre les blancs des œufs en neige, en recouvrir le plat et servir chaud ou froid.

Terrapin Brown Stew de Mme Théodore Roosevelt.

Précipiter dans l'eau bouillante abatis et oignons et céleris; saler, poivrer et ajouter deux bonne cuillerées de beurre et différentes épices au choix. Laisser cuire à feu vif; ajouter un verre de vin blanc et manger avec du jus de limon.

Clermont muffins, par Mme Kobert K. Livingstone:

Prendre deux œufs, deux cuillerées de beurre, une grand tasse à thé de crème, une cuiller à sel de sel et assez de farine pour faire une pâte très légère.
Bien mélanger la pâte et la pétrir en petites boules de la grosseur d'une noix: rouler en minces gâteaux de la grandeur d'une assiette à dessert et de l'épaisseur d'une feuille à papier. Faire cuire dans une poêle sur un bon feu.

Nous donnons enfin, pour terminer, le fameux Christmas pudding, cette pâtisserie merveilleuse, orgueil et symbole de la nation anglaise. Mrs Annie E. K. Vanderbilt y a apporté de très légères modifications qui, au dire des connaisseurs, le rendent plus délectable encore:

Une livre de raisins secs, une livre de cassis, trois-quarts de livre de raisins de Corinthe, une demi-livre d'écorce d'oranges, une livre de chapelure, une livre de saindoux, une demi-livre de sucre. Deux cuillerées à soupe de farine, une once d'amandes douces, une livre de pommes, une cuillerées à café d'épices, une demi cuillerée de muscade, une livre de jus de citron. Huit œufs, un verre à bordeaux et demi de Brandy. Le tout doit bouillir pendant dix heures et être servi chaud.

Ce n'est pas seulement à la Noël qu'on mange le Christmas pudding. Mark Twain a pu dire que pour un estomac yankee, il était toujours d'actualité. Quand Mrs Annie Vanderbilt annonce qu'elle est en train d'en confectionner un, tous ses parents et familiers se soumettent à un jeûne méthodique; les absents, pour ne pas manquer l'agape, prennent les steam-boats d'assaut et font chauffer des trains. Le pudding de Mrs Annie est un événement: on a pu dire qu'il fallait un mois pour le préparer et quinze jours pour le manger. - Il ne faut pas moins de cinq semaines pour le digérer.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 7 avril 1907.

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