lundi 20 novembre 2017

La campagne parisienne.

La campagne parisienne.


La campagne des environs de Paris n'est pas la campagne des champs, c'est celle des jardins. Si elle n'est pas belle comme la grande nature sauvage, elle est admirablement jolie par endroits. Si elle a trop de maisons, de villages, de villas et de murs, elle a aussi de beaux arbres, des bois, des étangs; les jardins mêmes, par de longues grilles, laissent voir leurs pelouses et leurs fleurs, ou tout au moins dressent par-dessus les clôtures leurs massifs touffus, pleins de nids et font déborder leurs guirlandes pendantes de rosiers, de vignes folle et de clématites. Les maisons ont l'air gai, vues entre les branches. A Meudon, à Sèvres, à Saint-Cloud, au printemps et tout l'été, le pays est une corbeille de fleurs. Dès qu'on a quitté la grande route poudreuse ou la rue pavée du village, commencent les maisonnettes et les jardinets d'où la brise vous apporte des odeurs de roses, de giroflées ou de violettes. Les artistes savent bien aussi qu'il n'y a qu'à s'enfoncer un peu dans les bois de Vincennes ou de Meudon, dans les parties écartées du parc de Saint-Cloud, pour rencontrer des endroits solitaires, inconnus de la foule, de petits coins très sylvestres et d'une poésie charmante. Les bords de la Seine avec leurs eaux calmes, luisantes, et leurs îles de verdure, sont très aimés des peintres; les rives de la Marne, sous la côte verdoyante de Charenton, ne sont pas moins gracieuses. La vallée de la Bièvre, les coteaux de Sceaux et de Fontenay-aux-Roses, offrent des promenades pleines d'attrait.
A l'été, les châteaux, chalets et maisonnettes de la banlieue, vides et volets clos durant toute la mauvaise saison, s'ouvrent, se réveillent, s'animent: c'est la colonie des bourgeois opulents ou tout au moins aisés de la grande ville, dont les familles reviennent occuper les campagnes reverdies. Chaque villa se remplit de bruit joyeux; entre les touffes d'arbrisseaux, derrière les grilles, on voit passer de jolies jeunes filles en gracieux costumes printaniers, et s'ébattre parmi les pelouses de beaux enfants aux riches chevelures. Le soir, les vitres éclairées brillent à travers les arbres; les fenêtres entr'ouvertes laissent entendre des sons de piano, des échos de chants ou d'éclats de rire.
Le dimanche, autre tableau. Ce jour-là, c'est toute la population travailleuse, ouvriers, petits commerçants, petits employés, qui déborde à son tour des remparts et se répand par les champs et les bois, envahit les villages. On vient par bandes bruyantes, ou bien en famille; on débarque des trains, des bateaux, des voitures, avec des paniers de provisions; on s'en retournera avec des bouquets énormes de feuillage et de fleurs rustiques. Au bois de Meudon, au bois de Vincennes, sur les berges ombreuses de la Marne, on s'assied dans l'herbe; on étale une serviette, on dresse le couvert sans assiettes, on se passe de main en main l'unique gobelet, on mord à belles dent le gâteau; simple dînette, assaisonnée d'appétit, dévorée jusqu'à la dernière miette, égayée du rire des enfants qui se roulent sur la mousse ou se poursuivent entre les arbres, des chansons de femmes ou de jeunes filles, tandis que la silencieuse tribu des pêcheurs à la ligne, immobiles comme des hérons le long des berges, mérite le ciel par la foi et l'espérance...
A la brune, tout le monde s'en revient gaiement; la bousculade est aux gares, aux embarcadères; on s'empile dans les wagons, on s'écrase dans les bateaux, mais n'importe; contents tout de même! Et les braves gens, toute la semaine courbés sur l'établi ou penchés sur les registres, les femmes prisonnières du ménage et les pauvres enfants, six jours enfermés dans d'obscures maisons et de sévères écoles, auront eu, du moins, eux aussi, leur envolée aux champs, leur bouffée d'air pur, leurs heures de paradis.

Les Peuples de la Terre, Ch. Delon, librairie Hachette et Cie, 1890.

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