jeudi 23 novembre 2017

Chronique du 21 mars 1858.

Chronique du 21 mars 1858.


L'hiver s'éloigne en laissant après lui ses ravages habituels. De tous les sinistres qui ont passé sous nos yeux, nous n'en trouvons pas d'aussi saisissant que la haute marée d'Ostende
C'était la marée montante; en même temps la mer se trouvait déjà extrêmement houleuse, et le vent de nord-ouest soufflait avec une extraordinaire violence. Dans ces circonstances, les vagues se sont élevées avec une force et une grandeur qu'on avait jamais vues à ces montagnes des eaux. Elles couvraient la digue, roulaient sur les remparts, et s'élevaient jusqu'au sommet d'un vaste édifice (le Kursaal) qui a eu le drapeau placé sur sa toiture tout couvert d'écume. En même temps, le choc des flots creusait des trous énormes dans la digue, construite de pierres de taille.
Au milieu de ces horreurs, un bateau-pilote allait rejoindre le navire l'Orient pour le conduire au port. Le bateau ne pouvait parvenir à toucher au navire; le pilote Jacques Fontaine, n'écoutant que son devoir, a voulu s'élancer de l'un à l'autre, et il est tombé abîmé dans les flots. A l'instant même, un autre pilote, témoin de cette mort, a eu le courage admirable de tenter le même effort, et,  se cramponnant aux haubans, il est arrivé sur le pont de l'Orient, qui, grâce à ce secours, est arrivé à Ostende.
Pour les désastres par le feu, ils sont toujours très-communs en hiver. Mais, outre les incendies, on a calculé que, grâce aux jupes ballonnées, il y a eu cette année deux femmes de brûlées par mois, l'un portant l'autre. Que ce soit au moins un avis pour celles qui restent en vie et portent autour d'elles des volants de gaze.

Les fous se montrent maintenant en si grand nombre, qu'on n'est pas sûr, en s'adressant à un inconnu, de parler à un personnage raisonnable.
L'autre jour, dans la sale des Pas-Perdus, au Palais de Justice, un homme bien mis aborda un avoué qui passait, et lui demanda s'il voulait bien avoir l'obligeance de le présenter à la cour de cassation. L'avoué s'étonne et répond que c'est impossible, qu'on ne se présente pas ainsi à la cour sans raison.
- Eh bien! répondit le monsieur inconnu, comme je veux absolument voir la cour, je vais prendre le moyen d'être conduit devant elle: c'est de vous étrangler!
A ces mots, il s'élance sur l'avoué. Heureusement, un garde de Paris accourant, lui fit lâcher prise. Mais le monsieur, se retournant, voulut, à la place, serrer le cou de l'agent de l'autorité. Pourvu qu'il étranglât quelqu'un, afin d'être traduit devant la cour, c'était tout ce qu'il lui fallait.
Cependant, on parvint à s'en emparer, et, par les soins du commissaire de police du quartier, il est maintenant dans une maison d'aliénés.

- Presque au même temps, un homme également d'aspect assez élégant, s'avança, à onze heures du soir, vers la sentinelle du poste du ministère des finances, et lui dit, de l'accent le plus grave, qu'il venait lui donner le mot d'ordre. Mais le personnage s'approchant toujours et paraissant fort suspect, la sentinelle croisa la baïonnette et cria: Aux Armes!
Le poste accourut; alors le personnage, s'adressant du même ton au sergent, reprit:
- Oui je viens vous donner le mot d'ordre; le voici: Paix! Silence! Ne dites rien!
Puis, enchanté de ces paroles, il se redressa en ajoutant:
- Ah! Douterez-vous encore?
Le chef de poste, à tout hasard, arrêta le bizarre personnage et le conduisit chez le commissaire de police, qui n'eut pas de peine à le reconnaître pour un pauvre aliéné et le traita en conséquence.

- On a beaucoup parlé, cet hiver, de chasses singulières.
Ainsi, un chasseur de l'un de nos départements du nord, au moment de rentrer chez lui, déchargea son fusil sur un corbeau perché sur un peuplier et le blessa à une aile. Le pauvre oiseau, ne volant qu'à grand'peine, alla s'abattre à quelques pas dans une prairie.
Au même instant, un milan, qui se promenait dans les airs, fondit sur le corbeau pour en faire sa proie. L'oiseau noir, qui maintenant ne battait plus que d'une aile, fit pourtant vive résistance. Pendant cela, le chasseur accourait. Le milan, à sa vue, voulut s'enfuir; mais le corbeau, à son tour, le retint violemment entre ses serres.
Ainsi le chasseur s'empara de l'un et de l'autre; et maintenant les deux ennemis emplumés sont enfermés sous clef dans une bonne cage.

- Une autre chasse a eu plus d'importance:
Une nuit, dans la commune de Cliché, un bordier, nommé Etienne Coudreau, reposait, lorsqu'il entendit dans l'étable des oies qui poussaient des cris désespérés.
Croyant que quelque voleur voulait s'en emparer, il sortit de son lit sans prendre le temps de s'habiller.
Dans l'étable, il se trouva en présence d'une énorme louve, qui avait eu l'audace de se creuser sous la porte un trou dans la terre, par lequel elle était entrée, et qui avait déjà tordu le cou à une oie.
Coudreau, exaspéré, et oubliant alors le danger, engagea un combat corps à corps avec la louve.
Les deux ennemis par deux fois se terrassèrent l'un et l'autre. Par un rare bonheur, dans un instant où il tenait la louve sous lui, Coudreau trouva à la portée de sa main une grosse pierre, grâce à laquelle il put, avec sa force prodigieuse, écraser la tête de la bête féroce.
Mais sans doute, parmi les loups des bois, on parlera longtemps du malheureux sort de cette louve, mise à mort pour une pauvre oie.

                                                                                                                     Paul de Couder.

Journal du Dimanche, 21 mars 1858.

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