jeudi 2 novembre 2017

Ceux de qui on parle.

Le petit attaché de Ministère.


Jeune, mais gourmé; alerte, mais important; bouillant, mais plein de réserve est le petit attaché. Bien entendu, il ne s'agit pas ici d'attaché d'ambassade.. Il ne peut être question que des jeunes gens attachés au cabinet d'un ministre.
Le petit attaché est un produit de la République. Il a vingt à vingt-cinq ans; il est riche, bien apparenté dans une famille politique et il a beaucoup de prétention sans savoir grand chose.
Sa mère, sa tante, sa cousine, sa marraine, ont un mari ou un frère ou un parent député ou sénateur. Sa voix est utile au ministre.
- "Vite, il faut que je case mon fils, mon neveu, mon filleul."
Il n'y a plus de places. On en fera. Le ministre a des bureaux inoccupés: il s'attachera quelques jeunes gens. Le tour est joué.
Du jour au lendemain, l'adolescent devient un jeune homme politique. Il a une jaquette noire, des gants rouges et une serviette sous le bras. Généralement, il se fait la tête de son ministre. frisé s'il est frisé; barbu s'il est barbu; chauve s'il est chauve. 




Il attend son ministre, le suit à la Chambre, l'accompagne dans les couloirs, porte sa serviette et se bat en duel pour lui quand on l'insulte ou quand on le blague.
Il ne fait absolument rien. Une douzaine de cigarettes le matin et quelques lettres sur un papier avec cet en-tête: "Cabinet du ministre."
Le grand chic, c'est de les faire porter en ville par un garde municipal qui croit porter un secret d'Etat et qui ne charrie en réalité qu'un billet ainsi conçu: "Ma chère Titine, renvoie-moi le parapluie que j'ai oublié dans ton antichambre."
C'est le petit attaché qui reçoit les rédacteurs des journaux politiques, les reporters, les interviewers. Il leur parle avec discrétion, avec mystère, sourit quand on l'interroge sur la pensée du ministre, en laisse échapper quelques bribes et recommande une grande prudence. Il dicte quelquefois le sens des articles officieux, leur promet la protection du maître et les renvoie avec un geste superbe.
Souvent, le ministre appelle son attaché. C'est pour lui demander une cigarette ou le récit de quelque historiette galante, dont le petit attaché connait le fin mot.
Le petit attaché ne s'attache pas. Il disparaît avec le ministre qui l'a créé. Le petit attaché n'a pas de racines. C'est une fleur dans un vase, qui se fane avant d'éclore. Quand un attaché ne l'est plus, c'est un homme fini. il a goûté du pouvoir et désormais, il ne pourra plus s'en passer. Heureusement, il a de la fortune.
Dans le monde, le petit attaché est aimable. Il danse bien le cotillon et fait des madrigaux aux dames. C'est le "talon rouge"* de la République, sans lui, la galanterie serait bannie de la politique en France.

                                                                                                                            Albert Millaud.

Mon dimanche, revue populaire illustrée, 29 novembre 1908.

*Nota de Célestin mira: Autrefois, sous le règne de Louis XIV, à la cour de Versailles, les courtisans portaient des chaussures à talons rouges.



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