mercredi 15 novembre 2017

Ceux de qui on parle.

M. Jean Lanes.
Premier gendre de France.




M. Jean Lanes est un bel homme à barbe noire, qui porte admirablement l'habit. C'est, de plus, l'heureux époux de celle qui fut Mlle Fallières. Pour tout dire en trois mots, c'est un Cadet de Gascogne.



Il a pris la peine de naître dans le département du Lot-et-Garonne. Son père était l'un des meilleurs amis de M. Fallières. Il n'en fallait pas plus pour assurer à M. Jean Lanes une existence toute pareille à celle de ces jeunes héros des images d'Epinal qu'une bonne fée protège dès leur berceau.
Il vient de se marier: souhaitons-lui de vivre heureux et d'avoir beaucoup d'enfants, et reprenons son histoire au début.
C'est en 1878 que M. Jean Lanes commença à s'attacher à la fortune de M. Fallières, alors Ministre pour la première fois. Depuis ce moment, il n'a pas quitté son "patron", qui fut tour à tour Ministre de l'Instruction publique, de l'Intérieur et de la Justice. Quand M. Fallières gravit les degrés qui mènent au fauteuil présidentiel du Sénat, M. Jean Lanes les grimpa derrière lui. Vint l'élection du Congrès de Versailles: ce fut M. Jean Lanes qui tira la sonnette de l'Elysée et qui fit préparer les lits pour l'auguste famille.
Par son zèle à soulager M. Fallières de ses travaux, par son dévouement et sa bonne humeur, M. Jean Lanes avait depuis longtemps conquis l'amitié du président et de sa famille. Il avait vu naître Mlle Fallières, il l'a tenue sur ses genoux toute enfant, il l'embrassait sur le front; plus âgée sur le bout des doigts. Mais il l'avait vue grandir, grandir, grandir, sans que son coeur s'intéressât le moins du monde au développement de la jeune personne.
Satisfait, M. Lanes vieillissait dans le célibat.
Anxieuse, Mlle Fallières se demandait comment en sortir.
Au bout de vingt huit ans de loyaux services, M. Lanes s'aventura à demander à son protecteur de lui confier un poste plus tranquille où il pourrait vivre à l'aise ses vieux jours.
- Vous contenteriez-vous d'être trésorier-payeur général? lui demanda M. Fallières.
- Oh! mes vœux, ne s'élevaient pas si haut, répondit M. Jean Lanes.
- Mais, dites-moi, Lanes, vous ne me parlez jamais de ma fille. Ce n'est pourtant plus une enfant, que diable!
M. Jean Lanes reconnut que Mlle Fallières n'était plus une enfant.
- Allons, je vois ce que c'est, continua M. Fallières. De la timidité, à votre âge! Eh bien, je vous l'accorde aussi. Allez lui annoncer ces bonnes nouvelles. Et ne me remerciez pas: je fais ce que tout bon père de famille ferait à ma place.
M. Jean Lanes, retiré chez lui, se remit peu à peu de sa surprise en pensant qu'il ferait, après tout, un mariage honorable et que tous les présidents de la République n'avaient pas doté leur fille aussi richement. A ce moment, une glace lui renvoya son image et l'idée qu'il ferait un très joli marié, acheva de le décider.
M. Fallières a tenu royalement sa promesse: M. Lanes est trésorier-payeur général du département de Seine-et-Oise. Le revenu annuel de cette charge est évalué officiellement à soixante-mille francs.
On se rapproche davantage de la vérité en doublant ce chiffre.
Le mariage de M. Lanes et de Mlle Fallières a été célébré à la Madeleine. Il y eut grand émoi au Conseil des Ministres: assisterait-on ou n'assisterait-on pas à la cérémonie? On convint de s'abstenir, et l'absence du Gouvernement au mariage de Mlle Fallières ne fut pas le trait le moins piquant de cette histoire, dont on pourrait faire une fable intitulée: le président, sa fille et Lanes.

                                                                                                                              Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 27 décembre 1908.

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