lundi 23 octobre 2017

Le château de Fougères.

Le château de Fougères.


Nous dirons, pour parler comme autrefois, que précisément à la limite de l'ancien duché de Bretagne du côté de la frontière de France, un peu au-delà du point de contact des départements de la Mayenne et de l'Ille-et-Vilaine, on voit, à égale distance entre le bourg de Montaudin et le village de Romagne, une vieille petite ville de 9.500 habitants, que commande du haut de son rocher de granit un château flanqué de treize tours et tourelles: c'est Fougères, cité industrielle où fleurit surtout la fabrication des chaussures de cuir; on y compte pas moins de 5.000 cordonniers, un peu plus que la moitié de sa laborieuse population.
Au point de vue de la défense du sol, Fougères a été considérée comme la clef de la Bretagne avant la réunion de celle-ci à la France. Un poëte célèbre, lâchant la bride à la faconde de son esprit fantaisiste, a fait de Fougères la bizarre description suivante: "Figurez-vous une cuiller; grâce à ce commencement absurde. La cuiller, c'est le château; le manche, c'est la ville. Sur le château, rongé de verdure, mettez treize tours, toutes diverses de formes, de hauteur et d'époque; sur le manche de ma cuiller, entassez une complication inextricable de tours, de tourelles, de vieux murs féodaux chargées de vieilles chaumières, de pignons dentelés, de toits aigus, de croisées de pierre, de balcons à jour et de jardins en terrasse. Attachez ce château à cette ville, et posez le tout en pente et de travers dans une des plus vastes vallées de la rivière sur laquelle jappent jour et nuit des moulins à eau; faites fumer les toits, chanter les filles, crier les enfants, éclater les enclumes: vous avez Fougères." (1)




Il faut dire à l'éloge du poëte que la singularité de l'image n'ôte rien à l'exactitude du portrait et le rend même plus saisissant par sa singularité.
Ce cours d'eau limpide qui fait battre les marteaux et tourner les meules, c'est le Nançon; la vallée, vaste et profonde, se nomme le Couesson; elle a été, du douzième au dix-huitième siècle, le théâtre de grandes actions militaires. Les tours ont chacune un nom particulier, par exemple, celles du donjon qui fut rasé en 1630. Elles datent du treizième siècle. 
L'une s'appelle la tour Guibé, l'autre la tour Mélusine; celle-ci fut construite, vers 1242, sous Henri de Lusignan qui prétendait descendre de la fée Mélusine, que le peuple nomme à bon droit, et non par corruption, la mère Lusine ou Lusigne, puisqu'il désigne, sans le savoir, par ce nom, la dame de Mervant, femme de Guy de Lusignan, roi de Jérusalem, laquelle fut par son mariage la mère des Lusignans (2).
La troisième tour du donjon, la plus élevée, est appelé la tour du Gobelin, vieux mot qui signifie le démon. Dans plusieurs provinces, on menace encore les enfants du Gobelin.
Fougères, autrefois chef-lieu du Fougerais et siège d'une baronnie, est inscrit dans l'histoire de nos guerres étrangères et civile aux dates suivantes:
En 1166, le roi d'Angleterre Henri II détruit l'ancien château, qui est reconstruit peu de temps après par Raoul de Fougères: c'est celui dont on voit encore les restes.
En 1173, le même roi reprend le château et la ville.
Jean Sans-Terre l'investit et s'en rend maître en 1202.
Bertrand du Guesclin, qui avait reçu du roi Charles V mission de pacifier la Bretagne, le soumet à la couronne, ainsi que d'autres places, en 1372.
Dans la nuit du 23 au 24 mars 1448, Fougères tombe au pouvoir des Anglais; ils l'occupent pendant quarante ans.
Le 25 juillet 1488, la Trémouille, commandant de l'armée de Charles VIII, reprend cette place aux troupes anglo-normandes, après un siège de neuf jours. Ce fut le prélude de la célèbre bataille de Saint-Aubin du Cormier qui décida de la paix et amena la réunion de la Bretagne à la France.
En 1583, Fougères est pris par le duc de Mercoeur, l'un des plus illustres partisan de la Ligue; il ne le rendit à la couronne que quinze ans après, en 1598.
Richelieu, vainqueur de ses ennemis au dedans comme au dehors, après la fameuse journée des dupes, fit raser la plupart des places fortes qui portaient ombrage au pouvoir royal; le donjon de Fougères tomba;
Enfin, en 1793, les Vendéens essayèrent vainement de disputer aux troupes républicaines les restes du château; ils furent vaincus.


(1) Victor Hugo, lettre à Louis Boulanger.
(2) D'autres étymologistes expliquent différemment ce nom; le doute permet de choisir.

Le Magasin pittoresque, août 1875.


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