Le duc d'Aumale.
Le journal officiel a publié le décret suivant:
Le Président de la République française,
Vu la délibération du conseil des ministres, en date de ce jour,
Sur la proposition du ministre de l'intérieur,
Décrète:
Art. 1er.- Le décret, en date du 13 juillet 1886, interdisant le territoire de la République française à M. Henri d'Orléans, duc d'Aumale, est et demeure rapporté.
Art. 2.- Le ministre de l'intérieur est chargé de l'exécution du présent décret.
Fait à Paris, le 7 mars 1889.
Carnot.
Par le Président de la République;
Le ministre de l'intérieur,
Constant.
Le duc d'Aumale, est revenu en France, dans sa patrie.
Nous savons trop combien lui était cruel et pesant l'exil pour douter du bonheur qu'il ressent aujourd'hui et pour ne pas nous y associer.
On sait dans quelles circonstances il avait été proscrit.
Atteint dans un grade glorieusement conquis, déchu du droit de porter son épée si souvent tirée pour le service de la France, chassé de cette vaillante armée qu'honoraient ses vertus militaires et qui les admirait, il n'avait pu retenir un cri de colère et de protestation.
L'exil en avait été le châtiment.
Depuis, à diverses reprises, le gouvernement s'était montré disposé à retirer l'inique décret du 13 juillet 1886. Puis, pour de prétendues causes "de politique générale", il en avait ajourné le retrait.
La donation même du domaine de Chantilly, la démarche de l'Institut ne purent vaincre ses hésitations. A la veille de l'élection du 27 janvier, une confidence, sans doute intéressée, de M. Floquet à M. Léon Renault avait fait renaître la question. Elle était restée en suspens.
C'est le ministère Tirard qui l'a reprise, à l'instigation de M. Spuller et l'influence de ce dernier qui en a fait décider tout à coup la solution.
Le rappel du duc d'Aumale est un acte de stricte justice et de bonne politique que le pays a accueilli avec joie.
Le lendemain de son retour, le duc d'Aumale s'est rendu à l'Elysée, où il a été reçu par le Président de la République, auquel il a adressé les paroles suivantes:
"Monsieur le Président,
En touchant le sol de la patrie, mon premier soin est de vous exprimer les sentiments que m'inspire l'acte que votre gouvernement vient d'accomplir, dans des conditions également honorables pour celui qui en est l'auteur et celui qui en est l'objet, honorables surtout pour la France. C'est votre premier souci, je le sais; c'est aussi le mien: c'est là ce qui touche mon cœur; c'est ce dont je tenais à vous remercier."
L'entrevue entre le Président de la République et M. le duc d'Aumale a été des plus courtoises.
Le duc s'est entretenu ensuite quelques instants avec les officiers de la maison militaire.
"Messieurs, a-t-il dit en les quittant, je suis heureux de vous trouver là, et heureux de m'y trouver."
Il s'est rendu ensuite à l'Académie française.
On devine avec quelle émotion M. le duc d'Aumale a repris son ancienne place en exprimant le regret de ne plus retrouver à côté de lui son vieil ami, son vieux maître, M. Cavillier-Fleury.
M. Jules Simon, directeur, a ensuite prononcé l'allocution suivante:
"Vous avez demandé, monseigneur, qu'il n'y eût rien de changé à l'ordre du jour; mais songez que c'est la première fois que vous venez parmi nous, depuis le magnifique don que vous nous avez fait. Nous ne pouvons nous dispenser de vous exprimer notre gratitude et la joie que nous fait éprouver votre retour. Quoique nous n'ayons jamais cessé de le désirer et de montrer par tous les moyens en notre pouvoir à quel point nous le désirions, il nous semblait à nous-mêmes que cette place vide au milieu de nous nous accusait d'ingratitude. Vous étiez, Monseigneur, le dernier français que dussent atteindre des lois d'exil, vous qui avez si noblement et si courageusement obéi aux lois du pays dans les circonstances les plus difficiles.
Voilà, grâce à une décision qui honore le gouvernement, la famille littéraire est au complet. En regardant autour de vous, monseigneur, vous ne trouverez rien de changé malgré quelques figures nouvelles. C'est toujours le même respect pour votre personne et, s'il est permis de le dire au plus humble de nos confrères, la même chaleureuse amitié accrue encore par les trois ans d'exil que nous venons de souffrir."
Le petit Moniteur illustré, dimanche 24 mars 1889.