vendredi 18 août 2017

Celles de qui on parle.

Mme Marthe Régnier.


Mme Marthe Régnier est, au théâtre, une exquise Parisienne. Elle ne l'est qu'au théâtre, et cela ne doit pas étonner, puisqu'elle est de naissance Parisienne. Sa naissance remonte à l'année 1880: comme le temps passe.
En 1898, Mme Marthe Régnier, qui a depuis épousé l'excellent comédien Tarride, passe au Conservatoire le concours de fin d'année. Les jurés ne lui décernent pas le premier prix et sont vivement pris à partie par le public, qui les accuse de partialité. Ce n'est pas la première fois que pareil reproche est fait au jury des récompenses du Conservatoire, mais il a pour ces attaques le superbe dédain d'un corps irresponsable.
L'année suivante, le public prit ses précautions: quand Mme Marthe Régnier eut terminé sa scène, on lui fit une telle ovation que les jurés comprirent à quelles représailles il s'exposeraient en frustrant la jeune femme de sa récompense. D'ailleurs l'esprit de l'homme est changeant et peut être qu'en 1899 le prix était d'avance donné à Mme Marthe Régnier.
Toujours est-il qu'elle eut cette fois le premier prix de comédie, ce qui lui valut l'insigne faveur de jouer pendant deux ans les Agnès à l'Odéon.
Son stage expiré, elle entra à la Comédie française. Il serait plus juste de dire qu'elle y rentra. En effet,  pendant la dernière année qu'elle passa au Conservatoire, elle avait joué un rôle, un vrai rôle sur un vrai théâtre, le Théatre-Français. Dans le drame de Paul Meurice Struensée, elle était chargée d'offrir des fleurs à une souveraine en prononçant quelques vers. On remarqua beaucoup la grâce avec laquelle elle s'acquitta de ce rôle.




Mme Marthe Régnier ne resta pas bien longtemps à la Comédie-Française. Comme à l'Odéon, elle y jouait les Agnès et autres rôles à son avis insignifiants, nuls et factices. D'avoir tenu à l'Odéon, dans une pièce pénible d'Henri Bataille, l'Enchantement, un personnage de fillette hystérique, cette artiste avait perdu toute sympathie pour les classiques et les auteurs sensés. Elle remplit cependant avec beaucoup de naturel, dans la Petite amie, un rôle de "midinette" auquel on ne trouve qu'un seul défaut: sa brièveté.
Enfin, Mme Marthe Régnier s'évada des ingénuités et du Théâtre-Français "où elle étouffait, disait-elle, comme dans une prison" et alla jouer au Vaudeville. Elle tint dans Petite peste, dans l'Esbrouffe, dans la Carrière, des rôles tour à tour tendres, gais ou mélancoliques; sa finesse et son enjouement lui valurent là comme au Conservatoire les sympathies du public.
Mme Marthe Régnier plait surtout parce qu'elle compose ses personnages avec naturel et avec cette pointe de bonne humeur, de gaminerie, dont le public parisien raffole plus encore que du naturel. Elle possède des charmes très précieux et ne néglige rien pour les mettre en oeuvre. C'est une des artistes qui savent le mieux faire la conquête d'une salle et, puisqu'elle n'a que vingt-huit ans, on peut lui prédire une heureuse carrière et sa deuxième rentrée à la Comédie- Française, dans une dizaine d'années. M. Claretie à peine vieilli; courbera devant-elle en angle obtus son échine et confiera à l'ex-ingénue, les rôles de grand coquette, en chantonnant à part lui: "Mes enfants, tout dégénère..."

                                                                                                                     Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 12 janvier 1908.

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