lundi 10 juillet 2017

Les vieilles enseignes.

Les vieilles enseignes.

Les fouilles pratiquées à Pompéi et à Herculanum ont permis de se rendre un compte exact de la façon dont les anciens entendaient la réclame. Les boulangers, les bouchers de l'époque ornaient leurs boutiques d'enseignes peintes à la détrempe et parfois même sculptées avec art.
Au moyen âge cette coutume se retrouve en Italie, en France, et pénètre toutes les races latines. A cette époque naïve où l'art n'a pas encore cédé le pas au procédé, ces enseignes sont sculptées avec le plus grand soin, et nous avons conservé quelques spécimens du temps, qui se recommandent à l'attention des antiquaires par leur grâce et leur naïveté.
Les taverniers se distinguaient surtout par la hardiesse et par l'effronterie de leurs conceptions. A Rouen le parlement de Normandie dut intervenir. Charles Nodier, dans un ouvrage curieux sur les vieilles enseignes, fait mention de l'arrêt qu'on rendit à ce sujet.
Le calembour fleurit alors dans toute sa gloire. C'est l'époque des armes parlantes. Sauval, dans son ouvrage intitulé Histoire et recherches des antiquités de la ville de Paris, publie une liste d'enseignes qui sont de véritables rébus.
A la Roupie, une roue et une pie; A l'Assurance, un A surmontant une anse; Au puissant vin, un puits sans vin.
Quelques artistes de grand renom, à toutes les époques, ne craignirent pas de peindre des enseignes. On cite, entre autres, Watteau qui composa au dix-huitième siècle pour une marchande de mode du pont Notre-dame un vrai chef-d'oeuvre que la gravure a d'ailleurs reproduit. Il est probable que les vieilles enseignes ont été sculptées aussi par de grands artistes, dont les noms sont restés inconnus.
L'enseigne fut longtemps obligatoire, au moins pour les marchands de vin. Henri III porta en mars 1577 une ordonnance qui les contraignit, sous peine d'amende, à suspendre une enseigne dans l'endroit le plus apparent de leur devanture, "à cette fin que personne n'en prétende cause d'ignorance même les illettrés."
Nous publions deux enseignes célèbres qui ont survécu aux démolitions: La Fortune et la Barge. Elles figurent au musée d'antiquités de Rouen.




La Barge (la barque) navigue sur des flots agités, la voile est enflée par les vents; mais l'embarcation arrivera à bon port. Elle date du quinzième siècle et était montée sur des moulures gothiques qui décèlent l'époque de façon à ne laisser subsister aucun doute.
La plus célèbre enseigne est celle que nous donnons ci-dessous; elle atteste de la part de son auteur une science de l'ornement remarquable. 




C'est la Fortune. Une femme, s'appuyant sur une conque traînée par des chevaux marins, porte une voile enflée dans laquelle elle se drape. Quelques historiens ont cru à tort voir dans cette statue une Amphitrite. L'origine de l'enseigne est aujourd'hui parfaitement connue; c'est bien l'image de la Fortune que l'artiste a voulu représenter. Les Normands prirent longtemps la Normandie pour une île, se fiant à une description portugaise qui représente ce pays comme entouré d'eau de toutes parts. Le commerce étant la source de toute fortune, la déesse qui préside à la destinée de l'île normande doit évidemment traverser les mers. L'artiste qui a sculpté ce bas-relief a évoqué ces souvenirs des premiers temps de l'histoire normande. C'est une réminiscence à la fois humoristique et historique. Elle était appelée à soulever de nombreuses discussions parmi les antiquaires d'accord aujourd'hui sur ce point.

                                                                                                         Guy de Binos.

Le Musée universel, revue illustrée hebdomadaire, premier semestre 1875.

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