mercredi 19 juillet 2017

Les traditions de la place Maubert. part IV

Les traditions de la place Maubert. part IV.


Exécutions capitales et émeutes.


Des événements historiques remarquables ont rendu célèbre la place Maubert, foyer d'agitations politiques autant que de réjouissances populaires.
Là s'assemblèrent les bandes qui organisèrent les massacres des prisons, en 1418, lorsque les Bourguignons eurent triomphé des Armagnacs. "Quand elles trouvoient trop fortes prisons, elle boutoient dedans force de feu, et ceux qui dedans étoient ardoient (brûlaient) là à grand martyre."
Beaucoup d'exécutions capitales eurent lieu dans la place Maubert, durant les guerres de religion qui ont ensanglanté la France au seizième siècle. On y brûla, pour cause d'hérésie:
- en 1533, maître Alexandre d'Evreux et son disciple Jean Pointer;
- en 1535, maître Poille, pauvre maçon;
- en 1540, Claude Lepeintre, ouvrier orfèvre du faubourg Saint-Marcel;
- et, en 1546, le savant Etienne Dolet, une des lumières de la Renaissance, une des gloires de la typographie, "condamné pour blasphèmes, séditions et exposition de livres prohibés et damnés, à être mené dans un tombereau depuis la Conciergerie jusqu'à la place Maubert, où seroit planté une potence autour de laquelle il y auroit un grand feu, auquel, après avoir été soulevé en ladite potence, il seroit jeté et brûlé avec ses livres, son corps converti en cendres. Et néanmoins est retenu in mente curiæ que où ledit Dolet fera aucun scandale ou dira aucun blasphème, sa langue lui sera coupée et sera brûlée tout vif."
La place Maubert rivalisait, comme lieu de supplice, avec la place de l'Estrapade, sa voisine, située non loin de la porte Saint-Jacques.
Lorsque les massacres de la Saint-Barthélemi furent commencés, Pierre Ramus ou de La Ramée, philosophe, professeur au collège de France, demeurait au collège de Presles. Le 26 août 1572, les écoliers découvrirent dans les caves de son habitation cet homme illustre, l'honneur des lettres françaises à cette époque. Ces bandits, soldés peut être par Charpentier, rival de Ramus, poignardèrent celui-ci après avoir touché le prix de sa rançon, jetèrent par la fenêtre son cadavre qu'il traînèrent palpitant dans la boue, sur la place Maubert et dans les rues avoisinantes.
Seize années plus tard, quand le duc de Guise osa braver Henri III dans son Louvre, en mai 1588, ce fut à la place Maubert que les partisans du prince lorrain élevèrent leurs premières barricades contre les troupes du roi. Écoliers, bateliers des ports et menu peuple se déclaraient "guisards", poussaient des clameurs farouches, tandis que les gardes françaises immobiles comme des "statues de fer", lançaient des bravades à la multitude irritée. Crillon commandait ces soldats. Pour effrayer les bourgeois, il s'écria:
- Le premier qui sortira en armes sera pendu, sa maison brûlée, sa femme et ses filles seront livrées aux troupes.
Mais les "mutins que Henri III voulait faire taire" ne se laissèrent point intimider. Ils répondirent à Crillon par des vociférations furieuses. Le commandant, alors, tenta un coup d'audace. Marchant intrépidement avec sa compagnie, il alla droit vers la place Maubert, centre et foyer de l'émeute.
Une barricade l'arrêta au carrefour Saint Séverin. Sur ces entrefaites, Crillon reçut un contr'ordre et les gens de la place Maubert le repoussèrent à coups d'arquebuse jusqu'au Petit Pont, de telle façon que leur quartier ne cessa d'appartenir au duc de Guise.
Des docteurs en théologie, revêtus de cuirasses, prêchaient contre le roi, au milieu des rues. Les écoliers et les moines s'emparaient des piques que l'on distribuait à brassées dans le cloître Saint-Séverin.
- Au Louvre! au Louvre! criaient les guisards.
Pendant ce temps, Henri III s'enfuyait à Saint-Cloud. Il ne devait jamais rentrer dans sa capitale.
A dater de cette époque, la place Maubert devint un centre d'insurrections parisiennes, un forum de la rive gauche.
Les mouvements populaires qui eurent lieu sous Louis XV, en 1789, en 1830 et en 1848, se manifestèrent dans ce quartier par des rassemblements, par des barricades, par des collisions.
Seulement, je me le rappelle bien, en 1830 et en 1848, on éleva des montagnes de pavés dans la place Maubert, sans qu'aucune sérieuse bataille s'y livrât. Les combattants du quartier rejoignaient, presque sans coup férir, ceux de la Cité et de la rive droite.
Sous le règne de Louis-Philippe, aussitôt qu'une émeute importante s'organisait, une centaine de gardes nationaux, d'ouvriers, de gamins, armés tant bien que mal, s'élançaient sur le poste, et désarmaient les huit ou dix gardes municipaux préposés à sa défense.
Le 28 juillet 1830, à l'heure où le peuple commençait d'attaquer l'Hôtel-de-Ville, plusieurs élèves de l'Ecole polytechnique passèrent à la place Maubert, furent entourés par la foule et salués héros par des cris enthousiastes.
Ils se mirent à la tête des soldats-citoyens.
Un de ces jeunes gens fut tué, le lendemain, dans le faubourg Saint-Germain, lorsque l'on prit la caserne de la rue Babylone.
Il s'appelait Vanneau. Une ordonnance royale donna son nom à une rue du faubourg Saint-Germain.
Louis-Philippe d'Orléans, n'étant encore que lieutenant-général, arrêta le 16 août 1830, à propos des élèves de l'Ecole polytechnique: " Vu la difficulté de reconnaître parmi tant de braves ceux qui sont le plus digne d'obtenir la croix de la Légion d'honneur, les élèves désigneront eux-mêmes douze d'entre eux pour recevoir cette décoration."
Quatre décorations furent accordées, de la même manière, à l'Ecole de médecine; quatre aussi à l'Ecole de droit.
Tout près de l'endroit où le libre penseur Etienne Dolet périt dans les flammes du bûcher, Arouet de Voltaire passa quelques années de sa jeunesse.
C'était chez maître Alain, procureur au Châtelet, demeurant rue Pavée-Saint-Bernard, à côté des degrés de la la place Maubert.
Là, le futur auteur de la Henriade se lia avec Thiériot et avec un certain monsieur Bainast.
Voltaire écrivait, le 9 juillet 1733, à Bainast, "son cher camarade, son ancien ami", lequel résidait à Abbeville.
"Quel saut nous avons fait, mon cher monsieur, de chez madame Alain dans le Temple du Goût! Assurément cette dame Alain ne se doutait pas qu'il y eût pareille église au monde."
D'autre part, rue de Bièvre se trouvait le collège de Saint-Michel, autrement dit de Chénac-Pompadour, fondé (1402) par les héritiers du cardinal de Chénac, patriarche d'Alexandrie, construction dont on voit encore une partie du bâtiment.
Dans ce collège étudia Guillaume Dubois, lorsqu'il vint de Brives-le-Gaillarde à Paris. Ce fut en sortant de la rue de Bièvre que Dubois remplit l'office de valet, d'abord chez un individu dont Saint-Simon ne donne pas le nom dans ses Mémoires, puis chez le curé de Sainte-Eustache, par qui l'intrigant Limousin dut donné au sous-introducteur des ambassadeurs de monsieur, frère du roi Louis XIV.
Dubois, la honte du clergé au dix-huitième siècle, était devenu ministre et cardinal; et les Parisiens redisaient ce quatrain sanglant:

Pour avilir l'éclat de la pourpre romaine,
Et lui faire porter l'opprobre de la croix,
Le Saint-Père n'a cru de route plus certaine
Que de l'enchâsser dans du bois.

Le collège de Saint-Michel "avait eu l'honneur" de compter parmi ses élèves le cardinal Dubois. Il fut réuni à l'Université en 1763, et supprimé sous la Révolution.
Que de collèges et de couvents disparus, dans ce quartier où les communautés foisonnaient! De beaucoup il ne reste pas une seule pierre; quelques-uns ne nous sont connus que par des inscriptions latines, à demi effacées. Ceux-ci servent de magasins à fourrages; ceux-là de fabriques ou de vastes hangars.
Les Carmes, néanmoins, ont ressuscité, mais dans la rue de Vaugirard; tandis que les Dominicains ont élu domicile rue Jean de Beauvais, à deux pas de l'ancien couvent des Carmes.

                                                                                                         Augustin Challamel.

Le Musée universel, revue illustrée hebdomadaire, premier semestre 1875.

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