mardi 27 juin 2017

Le chêne de Clovis.

Le chêne de Clovis.


Presque toutes les forêts de France ont leurs arbres célèbres, leurs doyens historiques, auxquels s'attache une légende gracieuse ou terrible. A Fontainebleau, l'on vous montre le vénérable Pharamond. Gigantesque et chevelu, comme le héros dont il porte le nom, ce chêne séculaire domine de toute la tête les grands arbres de la Tillaie. Peut-être a-t-il vu en effet passer sous ses branches le roi farouche qui commanda les premiers Francs.
Dans les Vosges, à Contréxeville, vous saluerez le chêne de Henri IV, le souverain familier. Le bois de Vincennes enfin est fier de posséder l'arbre sous lequel saint Louis, accessible aux humbles comme aux puissants, rendait la justice à ses sujets.
Que ces légendes soient fondées ou non, elles sont charmantes. On y retrouve cette poésie du paysan, toujours un peu païenne, qui confond les grands hommes et les grandes choses. Le roi, le chêne, c'est tout un dans l'imagination populaire; Pharamond paraît aussi grand que son arbre, et les personnages de notre histoire prennent des proportions de contes de fées.
Souvent aussi la mort joue son rôle dans ces traditions. Le souvenir d'un crime, d'une exécution se perpétue, et donne aux ombrages épais, aux branches vigoureuses, aux troncs noueux, un aspect terrible. Il semble qu'il y ait encore du sang sur la mousse verte.
L'arbre qui a été témoin d'un meurtre reste sombre. On dirait qu'il garde, en l'exagérant, l'impression du drame d'autrefois.
C'est ainsi que le chêne de Clovis est resté longtemps un objet de crainte superstitieuse. Pourtant il n'avait assisté qu'à un acte de justice primitive, une de ces exécutions rapides si fréquentes aux premiers temps de notre histoire. Pourtant tout souriait autour de lui, l'herbe pleine de fleurs, l'eau pleine de rayons. Mais le souvenir tuait le paysage.




Non loin de cet arbre s'étaient rencontrés les soldats de Syagrius et ceux de Clovis. La bataille avait été terrible; les morts nombreux dans les deux camps. Cependant le chef des Francs remporta la victoire, et tous les trésors de l'ennemi tombèrent entre ses mains. On déposa le butin au pied  du plus vieux chêne de la forêt. C'étaient des vaisselles  d'or et d'argent, des ornements finement ouvragés, des armes magnifiques et, par dessus tout, un vase merveilleux, d'une richesse et d'une beauté incomparables.
Suivant l'usage, on procède au partage des prises. Clovis donne à chacun de ses compagnons une part des dépouilles et garde pour lui le vase précieux.
A ce moment un soldat s'avance.
- C'est moi qui l'ai trouvé, dit-il, je le veux pour ma part.
- Tout ce qui est ici m'appartient, répond le roi.
- Nous l'aurons donc ni l'un ni l'autre, s'écrie le soldat.
Et d'un revers de sa hache, il brise l'oeuvre d'art en mille pièces.
Clovis se contint; mais le lendemain, passant ses troupes en revue, il s'arrêta devant un de ses soldats et jeta sa javeline à ses pieds. Pendant que celui-ci se baissait pour la ramasser, Clovis leva sa framée sur lui et lui fracassa la tête.
Puis se tournant vers ses guerriers:
- Souvenez-vous du vase de Soissons!

                                                                                                              Ed. Morel.

Le Musée universel, revue illustrée hebdomadaire, premier semestre 1874.

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