mercredi 1 février 2017

Croyances populaires aux Pyrénées.

Croyances populaires aux Pyrénées.


Les légendes, chassées de l'Ecosse par les derniers highlanders, et des bords du Rhin par le mouvement des armées européennes, semblent s'être réfugiées dans les Pyrénées, où elles ont encore une vitalité puissante. Ce ne sont pas seulement des récits du moyen âge, qui ont traversé le temps dans la mémoire des peuples; ce sont des histoires contemporaines, plus ou moins étranges, dont les héros existent et avec lesquels tout voyageur curieux peut converser, s'il lui plait. Comme une preuve de ce que j'avance, j'aime à rapporter, dans leur naïveté extrême, deux miracles, qui me furent contés récemment dans l'une des vallées les plus inconnues et les plus négligées de la Bigorre, la vallée de Ferrière.
Une jeune fille dépérissait; victime du maléfice d'une sorcière, sa langue, démesurément allongée, pendait sur sa poitrine et défigurait sa beauté naissante. Grande, svelte et pâle, ses yeux noirs allumés d'un feu sombre, elle ployait sous l'influence magique comme une jeune plante atteinte de la nielle. Nul remède ne venait à bout d'un mal inconnu; les médecins y perdaient le peu de latin qu'ils savent dans ces pays lointains, où la latinité n'arrive même pas. Elle succombait lentement, comme rongée par une secrète blessure; elle mourait. 
Alors on lui fit entreprendre le voyage de Jacca, en Aragon, et elle fut conduite à la procession de la célèbre et bienfaisante sainte Oroise: la langue de la jeune fille se raccourcit à vue d’œil et rentra dans sa place légitime, sa taille penchée se redressa doucement, son teint s'éclaircit: de pâle il devint blanc, avec quelques roses; ses yeux ne brillèrent plus que de l'éclat tempéré d'une sage jeunesse; et, témoin de ce miracle, voyant se relever la frêle plante, les caressantes paroles des jeunes hommes allèrent à elle comme la brise qui joue sur le roseau, quitté d'un furieux et sauvage aquilon.
Un enfant de la même vallée avait été touché par le malicieux regard de la même sorcière. Il était pour l'heure en pension, au lieu très-saint de Bétharam. On ne sait (lui-même l'ignore) comment comment cet innocent fut tout d'un coup transporté dans une forêt voisine de Pau. Ce qui est sûr, c'est qu'il ouvrit les yeux comme sortant d'un profond sommeil, et pensa avoir dormi en promenade. Quelqu'un venant à passer, il demanda le chemin de sa pension, sur quoi on lui rit au nez, parce qu'il en était fort loin, et l'on crut qu'il avait fait une école buissonnière. Cependant il obtint assez de lumières sur l'endroit où il se trouvait pour s'orienter et revenir à Bétharam, où il raconta son aventure, dont on fut bien surpris, et l'on ordonna des prières. 
Mais l'enfant ne fut jamais bien depuis lors: il lui prenait de furieux accès, sa bouche écumait, ses yeux sanglants roulaient dans leur orbite; il se tordait sur le sol ou tombait sans connaissance. On le crut atteint du mal de terre ou mal caduc*, et les médecins le traitèrent comme si il avait effectivement cette maladie; mais, loin de décroître, les accès ne firent que se multiplier et devenir plus redoutables. Alors son père reçut le conseil de le mener à Jacca, et le père et le fils se transportèrent dans cette ville espagnole. Chaque jour l'enfant était introduit dans l'église par la piété paternelle; mais à peine se voyait-il devant les reliques de sainte Oroise, dont le corps, à l'exception de la tête, est entièrement conservé, que, victime de l'enchantement, il poussait des cris affreux, jetait une salive écumante au visage de ceux qui l'environnaient, et jusque sur le saint autel, et exhalait d'immondes blasphèmes, au point de donner à la sainte le nom que l'on jette à la face des filles perdues. On ne pouvait qu'à grand'peine le maintenir dans le temple; cinq ou six vigoureux Espagnols le contenaient avec effort; et, chose étrange! cet enfant, qui n'avait jamais ouï prononcer un mot d'espagnol, se prit tout d'un coup à le parler avec facilité, mais pour mieux insulter ceux qui employaient la force contre lui; il s'adressa même en latin aux prêtres, et les injuria grossièrement, bien que correctement dans cette langue; ce qui est plus extraordinaire encore, il conversa en basque avec des hommes de ce pays (car il en vient là de tous les pays du monde), et les épouvanta par d'horribles blasphèmes exprimés dans le meilleur dialecte de leur contrée. Le pauvre père, stupéfait et honteux que le démon accordât si manifestement à son fils le don des langues pour en faire ce scandaleux abus, ne savait que penser, et pria plus ardemment que jamais la bienheureuse sainte Oroise d'opérer un miracle.
Un matin que l'on découvrait les reliques aux yeux du peuple avec plus de pompe  qu'à l'ordinaire, et que le jeune Ferrarais était agenouillé et retenu par la force, au pied de la très-sainte châsse, tout d'un coup, la résistance qu'il avait opposée jusqu'alors à ses vrais amis, cessa; son visage perdit l'expression de la rage et d'une aveugle fureur; son regard halluciné devint doux et humble, et se dirigea vers le ciel avec une angélique piété; les mains qui le serraient encore lâchèrent prise. Abandonné à lui-même, l'enfant qui était jusque là demeuré en convulsion comme un diablotin léché de toutes les flammes de l'enfer, sembla un chérubin transporté au paradis. En même temps, on vit une chose étrange et irréfragable cependant, car elle est consignée dans les archives de la sainte: l'un des brodequins qui serraient le pied et la partie inférieure de la jambe de l'enfant, se détacha de lui-même, et l'enfant demeura déchaussé d'un pied. On ne sait si le démon le quitta par le talon; mais la chose parut si probable et éclata si bien aux yeux des personnes présentes, qu'on convint de déposer le brodequin dans l'une des précieuses armoires de la sacristie, en témoignage de la miraculeuse conclusion d'une possession si épouvantable et dont toutes les traces ont entièrement disparu.
Depuis ce dévot pèlerinage, il est en effet avéré que le jeune Ferrarais n'eut plus aucune sorte d'accès, qu'il n'écuma, ni ne hurla, ni ne roula des yeux sanglants, ni ne se tordit à terre, ni n'exhala d'immondes blasphèmes. Je l'ai vu, ainsi que la jeune fille, dont la guérison merveilleuse font encore tous les jours le sujet des conversations pieuses du pays.

                                                                                                                Eugène Cordier.

* Nota de Célestin Mira: Le mal caduc est l'ancien nom de l'épilepsie.
Voir par exemple les Annales périodiques de la ville d'Orléans. 6ème année. N° 594. Samedi 9 septembre 1809.

"Châlons-sur-Marne, 26 août 1809.

Une femme de 24 ans, qui depuis sa quatorzième année tombait du mal caduc au moins une fois par semaine avec une violence incroyable, a été guérie en cette ville, après avoir passé trois mois de suite dans une étable à vaches.
Cette guérison est un nouvel exemple de l'efficacité d'un remède qui a déjà été recommandé plusieurs fois."

Article cité par Histoire-Généalogie.com

L'illustration, journal universel.

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