mardi 10 janvier 2017

Viviers.

Viviers.
(Ardèche)


Viviers, ancienne capitale de la toute petite province du Bas-Vivarais, est elle-même une tout petite ville, bâtie sur la rive droite du Rhône, à quatre heures de Pont Saint-Esprit et à neuf de Valence. Tout ce pays était anciennement habité par les Helviens; leur capitale s'appelait Albe ou Albe-Auguste. Cette ville ayant été détruite en 420, par Crocus, roi des Allemands, l'évêque Auxonius transféra son siège à Viviers.
Les rois de Bourgogne et d'Arles, les empereurs d'Allemagne leurs successeurs, étant en possession de cette partie du Vivarais, l'empereur Conrad, parent de Guillaume, évêque de Viviers, lui donna, ainsi qu'à son église, vers le milieu du XIIe siècle, la ville et le comté de Viviers. Les évêques jouirent librement de ce comté, sans dépendre en aucune manière des rois de France ni des seigneurs voisins, jusqu'à la réunion du Languedoc à la couronne. 
Les évêques, voulant soutenir leur indépendance de l'empire pour le temporel, implorèrent la protection du pape; mais pendant ces contestations, Philippe le Bel s'étant emparé de Lyon et de toute la vallée du Rhône, força en l'année 1307 Albert Defeyre, évêque de Viviers, et son chapitre, à se soumettre à la couronne de France; ce qui fut confirmé par un traité conclu entre Charles V, et Bertrand de Châteauneuf, évêque de Viviers.
La situation de Viviers au milieu des roches calcaires qui hérissent les montagnes de cette rive du Rhône est plus effrayante encore que pittoresque. La nudité blanchâtre des cimes élevées n'est nuancée que par la teinte grise des chardons et de quelques plantes aromatiques.
Viviers fut longtemps une cité triste et mal bâtie; les rues étroites et sales en rendaient le séjour malsain. Depuis un siècle, la ville s'est embellie et aérée; un de ses évêques y fit construire à ses frais, en 1732, un évêché qui est aujourd'hui un des plus beaux de France, par sa position, ses bâtiments et ses jardins. La cathédrale est bâtie sur un rocher qui domine la ville; c'est un vrai et antique monument, le chœur et le cloître appartiennent à l'architecture gothique. La nef est moderne. Au-dessous de cette église s'élève un autre rocher taillé à pic et coupé en plate-forme; vu de loin, on dirait un château fort; il porte le nom de Rocher du Château.
Indépendamment de la tour de Viviers, vieux débris de l'époque féodale, on voit dans cette ville la Maison des chevaliers, édifice de la renaissance, remarquable par la beauté de son architecture et l'élégance des ornements qui la décorent. Elle fut peut-être construite par un de ces preux chevaliers qui parcouraient les cités et les champs pour protéger et défendre l'opprimé. Un de ses descendants en aura dirigé la décoration; c'est lui sans doute qui a fait sculpter, des deux côtés du casque à visière fermée, quatre personnages délivrés par la bonne épée du héros; sur la frise qui est au-dessus du premier étage, un combat animé entre plusieurs chevaliers, est probablement destiné à reproduire une action d'éclat. Les amis des arts voient avec regret diminuer de jour en jour le nombre des monuments de la renaissance; il est déplorable qu'ils ne puissent être toujours habités par des personnes en état de les apprécier et de les conserver.




Le nom de Viviers est célèbre dans les guerres de religion. Déjà sous Philippe-Auguste, lors de la croisade contre les Albigeois, elle vit l'infortuné Raymond, comte de Toulouse, dépouillé d'une grande partie de ses biens et flagellé sur la place publique devant l'église; il fit hommage, la chaîne au cou, pour un fief qu'il dut reconnaître tenir du clergé. En 1562, Viviers adopta contre le roi le parti du prince de Condé; prise et reprise plusieurs fois, elle paya du sang de ses habitants et de la ruine de ses édifices, ses succès comme ses revers. Le baron Des Adrets, cette fière expression du protestantisme dans les Cévennes, s'empara souvent de Viviers.
La première guerre religieuse du XVIe siècle peut se personnifier en deux caractères qui se montrèrent alors dans les camps opposés: Blaise de Montluc, parmi les Catholiques, et le baron Des Adrets, parmi les Protestants, tous deux vaillants guerriers, images de ces violences féodales dont les annales de Flandre nous ont laissé un type dans le Sanglier des Ardennes. En 1562, Viviers servit de refuge aux Calvinistes du midi; ils avaient pour chef ce baron Des Adrets, taureau furieux, comme l'appelle un vieux chroniqueur, qui de ses cornes renversait églises et bataillons entiers de catholiques. Lyon, Grenoble, Valence, Orange, Montélimart furent successivement le théâtre des exploits du baron Des Adrets. Rien ne lui résistait. A Montbrisson, il se livra à une cruauté qui ternit tous ses succès. Un jour, voulant se donner quelque distraction, il fit monter les soldats de la garnison prisonnière, sur une tour très-élevée, et il obligea ces malheureux à se précipiter eux-mêmes en sa présence. Un soldat seul dut son salut à une répartie qui a été conservée; cet infortuné prit deux fois son élan d'un bout de la plate-forme à l'autre, comme pour mieux sauter, et deux fois il s'arrêta au moment de se précipiter: 
"Allons donc, lui dit le baron, je n'ai pas de temps à perdre; voici déjà deux fois que tu te reprends.
- Je vous le donne en dix" réplique aussitôt la victime.
Des Adrets, admirant la force d'esprit d'un homme qui pouvait plaisanter dans un danger si pressant, lui accorda sa grâce. on sait que plus tard, le baron Des Adrets, la terreur des Catholiques, passa dans leurs rangs après avoir été trahi par d'anciens compagnons d'armes; il avait été neuf mois à peine à la tête des Protestants:
"Jamais homme, dit Le Laboureur, ne s'acquit tant de réputation en si peu de temps; jamais capitaine n'en déchut plus tôt."
"Il ne devait point abandonner un parti où il s'était fait un si grand nom, ajoute Brantôme, car depuis, il ne fit jamais si bien pour les Catholiques que pour les réformés."
Le baron Des Adrets mourut dans un âge avancé, négligé de toutes les opinions.
"Je le vis très-vieux à Grenoble dans mes voyages, écrit M. de Thou, mais d'une vieillesse encore forte et vigoureuse, d'un regard farouche, le nez aquilin, le visage maigre, décharné et marqué de taches de sang, tel que l'on nous peint Sylla. Du reste, il avait l'air d'un véritable homme de bataille."
Jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, les évêques de Viviers avaient leur résidence à deux lieues de cette ville, à Bourg Saint-Andréol. C'est là que l'on voit, près de la fontaine de Tournes, un curieux monument consacré au dieu Mithras, sous la figure d'un jeune homme, coiffé d'un bonnet phrygien, et couvert d'un manteau volant. Il dompte un taureau sur lequel un chien s'élance; un énorme serpent le seconde dans cette lutte. Au-dessus, à droite et à gauche du jeune homme, on distingue à peine deux têtes; il serait difficile de dire ce qu'elles représentaient. Les habitants du pays croient que ce monument a été érigé en l'honneur d'un nommé Turnus qui aurait tué un énorme serpent, et donné son nom à la fontaine de Tournes. Mais il est facile de reconnaître ici le dieu Mithras, connu chez divers peuples de l'antiquité comme le dieu du soleil, et représenté ordinairement sous la figure d'un jeune homme, la tête couverte d'un bonnet phrygien, tenant le genou sur un taureau terrassé, et lui plongeant un poignard dans le cou, symbole de la force du soleil, lorsqu'il entre dans le signe du taureau.
Les anciens écrivains nous apprennent que les mithriaques formaient une espèce de société mystérieuse, à laquelle on était associé qu'après de rudes épreuves, renouvelées à chaque grade que l'on voulait obtenir. Un grand-maître, nommé le père des pères, était le chef suprême de cette association que Plutarque dit avoir connu des Romains, même du temps de Pompée. Cependant, il est constant que le culte de Mithras, venu des Persans, ne s'introduisit chez les Romains que vers le IIe siècle; de là, il passa dans les Gaules où il fut adopté. Une inscription paraît avoir porté la dédicace du monument de Bourg Saint-Andréol: Au dieu Mithras, seul dieu invincible.

                                                                                                                      A. Mazuy.

Le Magasin universel, juillet 1837.

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