mardi 17 janvier 2017

Un train attaqué par des taureaux.

Un train attaqué par des taureaux.

Les taureaux ne sont pas contents.
Ils avaient beaucoup espéré de la Société protectrice des animaux; ce fut en vain.
Ils comptèrent sur l'énergie du gouvernement français.
Amère désillusion! Plus le gouvernement fulminait, plus les préfets faisaient les gros yeux et plus on organisait de courses.
On n'a jamais, dans le Midi, tué autant de taureaux que depuis l'intervention du pouvoir.
Voyant qu'ils n'avaient plus rien à attendre de la justice des hommes, les taureaux se sont décidés à faire leurs affaires eux-mêmes.
Leur première manifestation s'est produite au pays où se pratiquent le plus ces jeux cruels, où ils laissent, au milieu des cris de joie des aficionados, le meilleur de leur sang couler sur le sable de l'arène.
Donc, à quelques kilomètres de la frontière portugaise, un train espagnol cheminait avec la lenteur et la gravité habituelles, quand le mécanicien aperçut devant lui, sur la voie, un troupeau de magnifiques taureaux.
Il siffla éperdument, ce qui déconcerta et dispersa l'ennemi; mais une bête superbe était restée qui, les cornes hautes, fonça sur la locomotive.
L'animal succomba, mais le train dérailla. Tandis qu'on s'efforçait de le remettre sur pied, les autres taureaux voulurent venger leur frère et tous se précipitèrent sur les voyageurs. 
Ce fut une lutte héroïque qui ne dura pas moins de deux heures; tout devint projectile pour les assiégés: les valises, les pierres, le charbon de terre. 




L'attaque fut belle, la défense ne le fut pas moins.
Après huit quart d'heures, les taureaux enfin se replièrent et le train put se remettre en marche. Mais la correspondance portugaise était partie, et l'on dut passer la nuit dans un mauvais petit village où les punaises continuèrent l'oeuvre des bêtes à cornes.
C'est égal, c'est le commencement. Si les taureaux s'agitent, que va-t-il arriver? Vous remarquerez que déjà une levée de cornes avait eu lieu, il y a quelques semaines, aux abattoirs de la Villette.
Cette presque coïncidence est frappante et de nature à faire concevoir de vives inquiétudes.

Le petit Journal, 18 août 1895.

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