mercredi 4 janvier 2017

Saint-Jean des Vignes de Soissons.

Saint-Jean des Vignes de Soissons.

Les libéralités de Hugues de Château-Thierry, puissant seigneur qui voulait expier de nombreuses spoliations, et des lettres patentes de Philippe 1er, élevèrent, en 1076, la petite paroisse de Saint-Jean du Mont au rang d'abbaye royale. Trente arpents de vignobles ajoutés par Hugues à sa donation, en 1088, changèrent Saint-Jean du Mont en Saint-Jean des Vignes. Le fondateur y fut enseveli en 1095.
"Sept cents ans durant, l'abbaye offrit, dit M. Fossé-Darcosse, le caractère unique peut-être d'un monastère dans lequel aucune réforme n'eut besoin d'être introduite." Trente et un abbés réguliers s'y succédèrent jusqu'en 1565, époque où elle tomba en commende, c'est à dire aux mains des évêques, des princes et des puissants. Le dernier abbé commendataire, Henri-Claude-Joseph de Bourdeilles, qui la conserva de 1778 à 1790, en tirait alors trente mille livres, sans compter ce qu'il fallait prélever pour l'entretien de soixante-quatorze religieux.
L'église, dont il ne reste plus que le portail et les tours, fut commencée, vers le treizième siècle, par les soins de Raoul, onzième abbé, qui régna de 1197 à 1234, trente-huit ans. Michel de Bouës, dix-huitième abbé, fit élever la nef au milieu du siècle suivant. Son successeur, Jean IV, dit Gouvion, entoura l'abbaye de hautes murailles dont une partie se voit encore aujourd'hui. L'achèvement de la nef est dû à Nicolas d'Azy, vingt-deuxième abbé, mort en 1441; les voûtes et le pavé, à Jean VII, dit Prévost, vingt-cinquième abbé. il ne manquait plus que les tours, lorsque Jean Milet, soixante-seizième évêque de Soissons, fit la dédicace de l'église, le 5 juillet 1478. Commencées par le vingt-huitième abbé régulier, Pierre de la Fontaine, qui mourut en 1516, les flèches ne furent achevées que dans la première moitié du seizième siècle. L'abbé Nicolas Prudhomme monta lui-même au sommet de la plus haute tour et y planta la croix, en 1520. L'histoire fournit peu de détails sur les parties accessoires; mais à la première inspection, il est facile d'en déterminer l'âge et le style.
Charles-Quint a séjourné quelques temps à Saint-Jean des Vignes; il y signa, le 18 septembre 1544, les préliminaires de la paix qu'il avait fait proposer à François 1er. En 1547, des raisons stratégiques faillirent condamner l'abbaye à disparaître; mais elle n'échappa pas aux ravages des calvinistes. En 1568, un pillage cruel réduisit aux murailles les cours, les cloîtres, le réfectoire, la bibliothèque, l'infirmerie, l'appartement des hôtes, les archives; dispersa ou anéantit les instruments du culte, les vases sacrés, et tout ce qui constituait les trésors de l'abbaye. Les cloches furent fondues, et l'église convertie en écurie. On doit surtout déplorer la perte du maître-autel, qui était dans l'origine tout entier recouvert d'or ducat.
Saint-Jean des Vignes sortit rapidement de ses ruines. En 1645, seize cloches avaient été refondues. La plus grosse, qui existe encore dans la sonnerie de la cathédrale, fut bénie par Simon le Gras, évêque de Soissons et abbé de Saint-Jean, le même qui sacra Louis XIV, le 7 juin 1654 au défaut de l'archevêque de Reims. En 1790, les calamités s'appesantirent de nouveau sur la riche abbaye. On enleva pour les vendre les boiseries, les ornements, l'argenterie, les cloches et le carillon. La cathédrale a depuis racheté une partie des jeux du grand orgue, attribué à Cliquot. Puis vint 1793; cette fois les mutilations furent sans remède. Lors du rétablissement du culte, l'église, qu'on ne pouvait songer à réparer, fut livrée, moyennant 4.000 francs, à un sieur Balot, maçon, à charge de démolir en conservant le portail et les tours, et de remettre le prix à M. le Blanc de Beaulieu, alors évêque de Soissons, pour être employé à l'entretien de la cathédrale. 
Depuis 1839, une somme de 18.244 francs a été consacrée à la consolidation des ruines, sous la surveillance du comité archéologique de Soissons, dûment autorisé en 1846 par le préfet de l'Aisne.




Ce qui reste de Saint-Jean des Vignes est encore imposant, et peut donner l'idée d'une splendeur qui n'est plus. On admire encore la façade, divisée en trois portails par quatre contre-forts richement ornés, qui montent du sol jusqu'à la naissance des clochers. Les flèches sont de hauteurs inégales. Celle du nord, plus élevée et plus riche, le cède en beauté à la plus petite, que caractérise un goût plus sévère et plus pur. On remarque, dans les figures qui décorent la seconde, la naïveté et la force d'expression, et la science des draperies; il faut noter surtout les proportions heureuses d'un beau Christ placé dans une fenêtre dont il forme le milieu; le corps et les bras tiennent leu de croisillons. Nous signalons aussi, dans la tour du nord, la statue de Blanche d'Orléans, bienfaitrice de l'abbaye.
A peu de distance des tours existent encore quelques bâtiments et poétiques débris : le réfectoire avec ses oculus fleuronnés, et les deux cloîtres qui lui sont accolés.
"Le réfectoire est une pièce curieuse à visiter. C'est une grande et vaste salle, soutenues par des colonnettes très-sveltes et éclairée par des fenêtres à doubles compartiments d'un côté, et par des roses de l'autre. On voit encore dans ce réfectoire, que la manutention a fait couper en deux au moyen d'un plancher qui repose sur le tailloir des chapiteaux, quelques peintures murales. Sur la demande de M. de Summerard et à la recommandation du comité des arts, ces peintures à fresques ont été préservées, en 1839, par des volets, de la poussière et de la dégradation.
"Le cloître de Saint-Jean affectait la forme d'un parallélogramme rectangle; il était adossé au réfectoire, au chapitre et à l'église, avec laquelle il communiquait. Il se composait de quatre galeries divisées en travées égales, et renfermant entre elles un espace carré arrangé en compartiment de jardin, au milieu desquels était une fontaine qui servait aux ablutions des mains. Cette sorte de cour carrée se nommait le Préau.
"Des quatre galeries de ce vaste promenoir, il n'en reste plus que deux, encore ont-elles beaucoup souffert et sont-elles dans un triste état de dégradation. Des quatorze travées qu'on distingue encore, trois à peine sont intactes. Chaque travée est divisée par un groupe de colonnettes qui se bifurquent pour soutenir une rosace découpées en lobes et surmontée d'une archivolte couverte de fleurons. Les voûtes sont traversées dans l'intervalle des arcs doubleaux par des nervure en dos de carpe, qui se croisent au sommet et retombent de chaque côté de la galerie sur des piliers formés par des groupes de colonnades, et, contre le mur, sur des culs-de-lampe. Les piliers, ou contre-forts correspondants aux arcs doubleaux se profilent à double arête, hérissés de crochets et terminés par des dais richement ornés. Rien de plus fini que les chapiteaux, décorés de pampres, sculptés en feuilles et dessins variés, jadis rehaussés de peintures polychromes, ainsi qu'on peut encore le remarquer sur le tympan d'une porte qui communique à l'église. On y voyait aussi quelques têtes d'hommes, des animaux bizarres, des masques, des chimères qui servaient de gargouilles.
"Malheureusement, le vandalisme a passé ici à plusieurs reprises; la plupart des branches d'ogives, ainsi que les fûts de ces colonnettes si légères, ont été brisés, les chapiteaux mutilés, dans les guerres de religion; abandonnées qu'elles sont au génie militaire, qui en a fait des magasins à tout usage, on ne pouvait espérer une parfaite conservation. C'est sous les yeux du génie que s'en sont allées, pierre à pierre, ces délicieuses constructions, objets d'éternels regrets pour la ville et pour les arts.
" Outre le grand cloître, qui est du quatorzième siècle, il y a encore ce qu'on appelle le petit cloître, élégante construction de la renaissance, avec des arabesques délicatement ciselées et des médaillons représentant d'admirables têtes de fantaisie."
Nous avons emprunté les détails qui précèdent aux travaux de MM. Fossé-Darcosse et l'abbé Poquet, membres de la société archéologique de Soissons. On trouvera des renseignements historiques plus complets dans les ouvrages de trois religieux de Saint-Jean des Vignes, Pierre Legris (1617), Claude Dornay (1663), et Charles-Antoine Jouen (1710)

Le Magasin pittoresque, septembre 1866.

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