samedi 28 janvier 2017

Celles dont on parle.

Marcelle Tinayre.
(ou le calvaire d'une femme)



Toute enfant, la petite Marcelle se sentit des dispositions pour les lettres. Elle avait de l'imagination et des sentiments tendres qu'elle épanchait de préférence en vers. Cette précocité séduisit un artiste graveur, M. Julien Tinayre, qui épousa la poétesse alors qu'elle n'avait que dix-sept ans.
Le graveur n'avait pas vu plus loin que le bout de son burin, et son réveil fut pénible quand il s'aperçut qu'il avait épousé un de ces êtres étranges qui croissent dans les civilisations avancées, moins qu'une femme et plus qu'un homme: une femme de lettres. On juge quelle devait être l'économie domestique d'un ménage composé d'un artiste et d'un bas-bleu. On devine à quels assauts étaient exposés tout à la fois, dans cette maison, l'estomac des maîtres et l'anse du panier.
Les deux époux connurent à ce moment une telle gène que, sans rien perdre de sa bonne humeur et de sa confiance en soi, Mme Marcelle Tinayre essaya de travailler: elle chercha à donner des leçons, mais ne trouva point d'élève. Elle porta des nouvelles à des journaux. Elle se fit confier, pour les lire et les annoter, des manuscrits de romans envoyés à des concours d'indigestes élucubrations de trente ou de quarante mille lignes.





L'indigence de ces romans lui donna l'idée de relire ceux qu'elle avait autrefois écrits et, flattée de la comparaison, elle en choisit un: Avant l'Amour, le porta à un éditeur qui dédaigna de le lire, puis à Mme Adam qui le publia dans la Nouvelle Revue: c'est en 1897 que se place ce début de la célèbre romancière.
Son deuxième roman: la Rançon fut publié par le Temps, et le suivant, Hellé, par la Revue de Paris. Ils furent ensuite édités en librairie, mais seul, Hellé sut plaire au public, à telle enseigne que le produit de cet ouvrage permit à Mme Marcelle Tinayre d'acheter une maison de campagne près de Montfort-l'Amaury. Il faut dire aussi que Hellé avait été couronné par l'Académie.
Ces succès étaient honnêtes, mais c'est seulement en 1902 que Mme Marcelle Tinayre connut la gloire grâce à la publication de la Maison du Péché, où elle expose avec un rare bonheur d'expression, le duel qui se livre dans une âme croyante entre l'amour et la foi. Ce roman est resté son chef-d'oeuvre: on trouve qu'elle n'a rien écrit de mieux depuis, pas même sa lettre à M. Hébrard.
Ah! cette lettre! faut-il en parler encore? La Presse n'a-t-elle pas été suffisamment écrasante pour l'infortunée bavarde?
Certes, les privations, la misère dorée, les querelles ménagères, les échecs et les rebuffades, tout cela n'est rien auprès du calvaire que ses peu galants confrères ont fait gravir à l'imprudente, en la privant même de la suprême consolation de pouvoir baiser, en haut du calvaire, la croix!
On connait l'incident: des journaux ayant annoncé que Mme Tinayre allait être décorée de la Légion d'honneur pour le 1er janvier 1908, la spirituelle romancière écrivit au directeur du Temps, qui la publia, une lettre où elle déclarait tout net que sa croix, passez-moi l'expression, elle s'asseyait dessus, et qu'elle ne la porterait pas, parce que son petit garçon ne trouvait pas ça convenable pour une femme et qu'elle ne voulait pas être prise pour une cantinière.
Le mot fut sévèrement commenté, et sentant qu'elle perdait pied, Mme Tinayre se raccrocha au ruban rouge, et promit de le mettre les dimanches et fêtes, quand elle serait débarbouillée et qu'elle irait dans le monde. Mais le Conseil de l'Ordre trouva sans doute ces concessions insuffisantes, et Perrette Tinayre perdit son pot au lait, c'est à dire sa croix.
Le travail la consolera: elle écrira d'autres romans, de compagnie avec sa maman qui, piquée de voir sa fille écrire, s'est faite auteur sur le tard. Il n'est pas jusqu'à la grand'mère de Mme Tinayre qui n'ait composé jadis, nous dit-on, des vers "à la façon de Lamartine" (bigre!) Chez l'auteur de la Maison du péché, c'est le péché de la maison!

                                                                                                                          Jean-Louis.




































































Pour Marcelle Tinayre.

Madame Marcelle Tinayre soigne-t-elle aussi bien son ménage que sa réputation littéraire? Nous le lui conseillons fort, si elle veut éviter l'amusante mésaventure qui advint jadis à l'une de ses consœurs.

Th. Barrière, l'auteur des Faux Bonshommes était harcelé par une dame auteur qui voulait, à toute force, lui soumettre un manuscrit.
L'auteur dramatique avait beau affirmer qu'il n'entendait rien à la littérature des dames, qu'il n'était qu'un piètre critique et que son influence dans la presse était nulle, rien n'y fit, la dame mit autant d'entêtement à se faire juger par Barrière que Barrière apportait de ténacité à ne pas se prononcer sur l'oeuvre.
Enfin, impatienté, un matin, Barrière se rendit chez elle et ne trouve que deux gamins affreusement sales et mal peignés.
- Maman n'y est pas, dit l'aîné, mais si vous voulez lire son roman en attendant, le voilà.
Barrière furieux prend le manuscrit maculé qu'on lui offre et écrit sur sa première page le quatrain suivant:

Mon avis ainsi se résume
Et je vous le dis en deux mots
Barbouillez moins avec la plume
Et débarbouillez vos marmots.


Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 31 mai 1908.

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