mardi 13 décembre 2016

Ceux dont on parle.

L'acteur Mévisto.


M. Mévisto, qui s'appelait alors Visteau, était, il y a vingt ans, expéditionnaire dans la librairie Hachette. Avec quelques autres amateurs, simples commis comme lui, et sous la direction toute amicale d'un employé de la Compagnie du Gaz, qui préside aujourd'hui aux destinées de l'Odéon, il fit partie, dès la première heure de la troupe du Théâtre Libre.
C'est le 30 mars 1887, dans une salle fort peu confortable du passage de l'Elysée des Beaux-Arts, en plein Montmartre, que les acteurs improvisés jouèrent pour la première fois devant un public d'invités choisis, des pièces inédites de jeunes auteurs tels que M. Léon Hennique, MM. Duranty et Paul Alexis.




Les sièges n'étaient guère moelleux, ni l'éclairage éblouissant. Accroché à la porte, un écriteau portait cet avis familier: "Le dernier qui sort est prié de fermer le gaz."
Le Théâtre Libre ne donna que trois représentations dans la salle du passage de l'Elysée des Beaux-Arts. La deuxième se composa de La Nuit bergamasque, de M. Bergerat, et de En famille, de M. Méténier.
Antoine* était allé avec son camarade Visteau voir M. Bergerat et lui demander une pièce en vers. L'auteur du Capitaine Fracasse, à qui la Comédie Française venait de renvoyer le manuscrit de la Nuit bergamasque, le remit aux deux artistes.
En famille était un drame réaliste, dans lequel Antoine jouait le rôle d'un bourgeois débonnaire et Mévisto celui d'un apache cynique.
Les invités d'Antoine commençaient à prendre goût à ces spectacles: la troisième représentation eut tant de succès que le propriétaire de la salle pria les comédiens de chercher un autre local: il craignait l'effondrement de son plancher.
Mévisto ouvrit le Théâtre Libre à Montparnasse où furent joués: La Femme de Tabarin, Le Baiser, La Puissance des Ténèbres, où des écrivains comme Lucien Descaves et Henri Lavedan donnèrent leurs premières pièces.
De Montparnasse, la troupe errante vint se fixer à la salle des Menus-Plaisirs, qui devait prendre le nom de son chef , devenu, à force de volonté, le maître tout puissant.
Les répétitions du Théâtre Libre se faisaient au n° 84 de la rue Blanche, au fond de la cour. On connait les noms de ceux qui ont fait leurs premières armes aux côtés de Mévisto et d'Antoine: Janvier, Arquillière, Viterbo, Jane Henriot, la malheureuse victime de l'incendie du Théâtre français, à qui ce grondeur d'Antoine reprochait, à ses mauvais jours, de mettre un corset, prétendant que "ça la faisait bafouiller".
Les lauriers de son ancien patron ont tenté Mévisto. Il s'est établi à son compte: nous avons à Paris un Théâtre Mévisto, qui n'est autre que l'ancienne Bodinière. Je souhaite volontiers à cette filiale du Théâtre Libre, où l'on annonce les prochains débuts du propre fils d'Antoine, le même succès que son aînée; je le souhaite sans y croire, car il y avait dans la soirée aux quinquets du passage de l'Elysée un certain élément romanesque, qui dut aider à la vogue. Il est parfois très habile d'être pauvre.  

                                                                                                                             Jean-Louis.


* Nota de Célestin Mira:  André Antoine, chef de la troupe, donna son nom à la salle des Menus-Plaisirs , devenu le Théâtre Antoine.




Mévisto aux champs.

Il y a des gens qui ne peuvent souffrir la campagne: Mévisto est de ceux là. Le tumulte des boulevards est absolument nécessaire à sa tranquillité d'esprit. Le calme des champs qui est si reposant pour nombre d'entre nous, le trouble et l'agite.
Il y avait peut-être dix ans qu'il n'avait pas franchi les fortifications, quand un groupe d'amis finirent par triompher de sa résistance.
On l'emmena jusqu'à Saint-Germain.
La joyeuse bande arriva sur la terrasse à l'heure du dîner. Le repas fut excellent, la soirée animée par les conversations, le Champagne...
Bref Mévisto alla se coucher sans récriminer et on put le croire familiarisé avec les beautés de la nature.
Mais, dès le lendemain, il déclara qu'il ne coucherait pas une fois de plus dans cet atroce pays et il envoyait à l'un de ses amis une carte postale avec ces simple mots, qu'on n'aurait pas attendus de la part d'un artiste:
"J'en ai plus qu'assez! C'est à n'y pas tenir! Le rossignol a gueulé toute la nuit!"

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 26 avril 1908.

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