jeudi 17 novembre 2016

Pipes et rosières.

Pipes et rosières.

La première rosière fut couronnée vers 525 et l'évêque donna le prix à sa propre sœur, que la voix publique désigna comme la plus vertueuse du pays. On voyait encore, au siècle dernier, au-dessus de l'autel de la chapelle de Salency, un tableau où le prélat était représenté en habits pontificaux, posant une couronne de roses sur la tête d'une jeune fille à genoux.
La récompense instituée par le bon Médard devint, paraît-il, pour les filles de Salency, un puissant encouragement à la sagesse; indépendamment de l'honneur qui en rejaillissait sur la rosière, celle-ci trouvait infailliblement à se marier dans l'année, quelque humble que fût sa condition, et les présents de toutes sortes affluaient dans sa "corbeille de noces".
Saint Médard, frappé du résultat, perpétua son établissement. Il détacha des domaines de sa terre douze arpents dont il affecta les revenus au paiement des 25 livres et des frais accessoires. Et, s'il faut en croire un chroniqueur du temps, il n'était pas commode de "décrocher la timbale", à Salency. Car, non seulement il fallait que la rosière eût une conduite irréprochable, mais encore que son père et sa mère, ses frères, ses sœurs et autres parents, en remontant jusqu'à la quatrième génération, fussent eux-mêmes irrépréhensibles. La condition peut paraître rigoureuse. En tous cas, si le règlement institué par saint Médard avait encore force de loi, il serait à craindre que le recrutement des rosières ne présentât quelque difficulté. Nos jurys actuels, et pour cause, ont dû corriger sur ce point la fondation du Bienheureux.
La banlieue parisienne a ses concours de rosières, la banlieue bruxelloise a ses concours de fumeurs de pipe. le dernier du genre s'est tenu à Laeken. Les clubs de la Louvière et d'Anvers, qui comptent parmi les plus brillants de la Belgique, étaient représentés à cette grande épreuve, laquelle consiste à fumer le plus lentement possible trois grammes de tabac. C'est le champion d'Anvers qui a décroché la médaille; mais les connaisseurs déclarent que jamais match ne fut plus piteux: le vainqueur du concours n'a mis, en effet, que cinquante neuf minutes trois quarts pour fumer sa pipe, alors qu'on a vu de vrais artistes faire durer la leur pendant une heure et demie. Il y a même un champion, dans je ne sais plus quel concours, qui est parvenu à ne lâcher sa dernière bouffée qu'au bout d'une heure quarante-sept minutes trois secondes. Je regrette bien d'avoir oublié son nom, qui est célèbre dans les fastes de la tabacophilie. Mais soyez sûrs qu'il est inscrit en lettres d'or dans tous les clubs de la Wallonie et de la Flandre.
Car c'est une institution nationale, chez nos frères de Belgique, que les clubs de fumeurs de pipe. Le tabac, chez eux, a comme une existence officielle. Avec la bière, il est, si je puis dire, une des bases, un des fondements de la constitution. On n'imagine pas, à priori,  un Belge qui ne fumerait pas la pipe et qui ne boirait pas de bière. Je ne sais s'il y a chez nos voisins une ligue analogue à notre Société contre l'abus du tabac. J'en doute fort. En tous cas, si cette ligue existe, j'ai grand peur qu'elle ne fasse pas ses affaires. Aussi bien, en matière de tabac comme en matière d'alcool, il n'y que les procédés radicaux qui réussissent. 
Parlez-moi de l'Etat du Minnesota, en Amérique, qui vient d'adopter une loi déclarant punissable d'une amende de 50 dollars (250 francs) l'acte de vendre ou d'offrir une cigarette ou du papier à faire des cigarettes. Il n'est pas question, au Minnesota, d'interdire le cigare ou la pipe; mais ils auront leur tour et vous verrez qu'on ne prendra pas plus de gants avec eux qu'avec les cigarettes. Ah! les Américains, quand ils s'y mettent, ils n'y vont pas de main morte!

                                                                                                                      Tiburce.

Les veillées des Chaumières, 12 juillet 1902.

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