dimanche 20 novembre 2016

La Perse.

La Perse.


Des plages basses, exposées à toute l'ardeur du soleil, envahies par des sables brûlants: des rangées successives de montagnes, tantôt couvertes d'arbres et de neiges, tantôt masse aride de rocs, et dont les espaces sont remplis par des vallons spacieux; de vastes plaines sans eau, sans culture; des déserts plus vastes encore, imprégnés de sel marin; partout la marque funèbre des révolutions; des villes en ruines, des villages inhabités; quelquefois des vallées délicieuses, de gras pâturages, des jardins produisant en abondance des fruits de toute espèce, tel est l'aspect général de la Perse, appelée à si juste titre pays de montagnes.
De quelque côté que le voyageur arrive, soit qu'il touche le rivage aride du golfe Persique, soit qu'il s'engage sous le soleil brûlant des plaines de la Babylonie, soit enfin qu'il vienne des bords humides et tempérés de la mer Caspienne, il lui faut, avant de parvenir au centre, au plateau de ce royaume, gravir par des chemins étroits et bordés de précipices, les rocs les plus élevés, lutter contre les excès du chaud et du froid, braver les hordes de brigands qui infestent le pays, supporter la disette d'eau, de vivres, s'exposer la nuit aux injures de l'air, ayant pour tout abri quelquefois un caravensérail ruiné, ouvert de tous côtés, le plus souvent ses seuls vêtements et son manteau.
Arrivés à cette région moyenne, sa vue s'égare sur des pays cultivés, des villes populeuses, des villages nombreux, perdus sous des forêts de palmiers, défendus par des fossés, des murs de terre et quelques tours en brique. Nous ne parlons ici que des contrées les plus habitées, des environs des grandes villes, de Téhéran, Ispahan et quelques autres.
Par la disposition du sol en Perse résulte une grande variété de température. Les bords du golfe Persique, le Kermesir, par exemple, sont inhabitables l'été. Du 15 juin au 15 août, s'élève ce vent pestiféré, le sam-yel, dont l'atteinte, aussi rapide, aussi funeste que celle de la foudre, est toujours mortelle. Alors les habitants abandonnent les villages et s'enfoncent dans les montagnes, jusqu'au retour d'une température supportable. Les provinces septentrionales, rafraîchies par les vents qui soufflent régulièrement de la mer Caspienne, et s'arrêtent aux montagnes, jouissent d'un climat tempéré, hiver comme été. Ici l'air qu'on respire est plus frais, des montagnes couvertes de bois rappellent le bas des Alpes et des Pyrénées; mais lorsqu'on s'éloigne de ces terres basses pour arriver au plateau de la Perse, le vent devient plus froid, les productions changent, et l'on se croirait transporté sous un autre ciel.
La ville d'Astrabad est situé dans le Mazendéran, sur les côtes méridionales de la mer Caspienne; elle doit, dit-on, son origine à Zézid-eb-Makled, chef arabe d'une grande célébrité. Ce prince ayant fait halte à un village nommé Aterik qui occupait une partie du site actuel qui couvre la ville d'Astrabad, on tira de la terre un trésor composé de quarante vases remplis d'or et d'argent, et liés ensemble par une chaîne. Zézid ordonna de construire une ville avec ces richesses. Astrabad a une lieue environ de circuit, et est fortifiée, mais d'une si pauvre manière que ses remparts ne résisteraient pas à des troupes quelque peu résolues. Comme toutes les villes de Perse, elle est en grande partie ruinée, et ses murs ne renferment pas plus que deux mille maisons. L'aspect d'Astrabad diffère de celui des autres villes méridionales de la Perse; non-seulement les bois s'étendent sur tous les points jusqu'au bord du fossé de la ville, mais les nombreux jardins et les arbres qui se mêlent dans tous les quartiers aux édifices, produisent un effet agréable, quand on le compare à l'aspect stérile et monotone des murs et des toits de terre grise des villes des autres provinces. Les maisons aussi sont pittoresques et riantes pour la forme et pour la couleur; le style de leur architecture est léger, plus dans le goût indien que dans le goût persan; les toits élevés en pointe sont couverts de tuiles ou en chaume et dépassent les murs. Beaucoup ont de hauts badghirs (littéralement, preneur de vents); ce sont des tours carrées ayant de chaque côté des ouvertures par où le vent arrive dans les chambres d'une maison; ces tours couvertes en tuiles font, dans le paysage, l'effet que produisent les clochers: ils l'animent. Les bazars sont assez étendus, mais peu garnis, car bien qu'Astrabad soit un port de mer, il s'y fait peu de commerce. Ce qu'il y a de plus remarquable dans cette ville singulière, c'est la fraîcheur et la beauté de la verdure qui se mêle de toutes parts aux maisons; ici de vieux et beaux sycomores, là de hauts cyprès qui s'élèvent au dessus des murs de jardins chargés de lis et de giroflées.
On évalue la population totale du Mazendéran à cent cinquante mille familles. Le territoire d'Astrabad, entre autres, est le berceau de la tribu des Cadjars, toute guerrière et constamment armée pour se défendre des Turcs; cette tribu est fort attachée à son pays, et se répand si peu à l'intérieur de la Perse, qu'on ne trouve guère des Cadjars qu'à la cour. Depuis plus d'un siècle, c'est la tribu royale; elle est, dit-on, dépositaire d'une grande partie des trésors du dernier roi de Perse. Tous les ans, les habitants qui veulent faire le pèlerinage de Mechehed, se réunissent à Astrabad, au nombre de sept à huit cents personnes; la caravane est alors en état de résister aux bandes de pillards, et part ordinairement dans le mois d'octobre; le voyage n'est guère que d'une quinzaine de jours, mais dans un pays ras et presque désert.
S'il fallait en croire certains voyageurs, la bassesse et la fausseté seraient les traits caractéristiques des femmes orientales. Cela n'est pas exact. Soit qu'elles ne désirent pas une liberté qui ne présente à leur imagination aucun charme, soit qu'elles aient appris de bonne heure à se soumettre à l'empire de la nécessité, ces femmes ne se considèrent point comme opprimées. On peut leur reprocher de la nonchalance, un goût effréné pour la parure, les bijoux et les choses futiles; mais en général, elles sont aimables, douces et modestes. L'appartement qu'elles habitent est ordinairement la partie supérieure de la maison. On le nomme harem, c'est à dire lieu sacré. Les femmes sont tellement exclues de la société des hommes, qu'il n'est ni permis, ni décent à ceux-ci d'en prononcer le nom; il faut, quand on parle d'elles, se servir d'une circonlocution ou du mot famille. Dans les villes, elles se visitent réciproquement, et alors la porte de l'appartement est interdite à l'époux. Lorsqu'une dame arrive chez son amie, celle-ci va au devant d'elle, la dépouille de son voile et d'une partie de ses vêtements; toutefois cet usage n'a lieu qu'entre des personnes d'un rang égal. Lorsqu'il y a de la supériorité dans celle qui reçoit la visite, elle se fait suppléer par son intendante. Des sourcils noirs, bien arqués, et se joignant l'un l'autre, étant considérés comme une très-grande beauté, les Persanes ont recours à l'art pour les faire paraître tels; après le bain, elles peignent leurs ongles avec une couleur jaune ou rouge, préparation cosmétique dont tout le monde fait usage, et sans laquelle il serait peu convenable de se présenter.
Le costume des femmes d'Astrabad diffère peu de celui qu'elles portent dans les autres provinces; il se compose d'une chemise très-courte et d'un pantalon; un mouchoir de soie noire entortillé autour de leur tête sert de turban, avec un morceau de coton blanc que l'on jette au besoin sur la tête ou sur les épaules. Mais quand elles sortent à quelque distance de la maison, elles se servent du tchedder, ou voile qui enveloppe tout le corps; ces voiles sont de soie ou de coton rayé, quelquefois en grands carrés bleus, quelquefois en rouge et en vert. Elles portent aux jambes une espèce de bas nommée tchak-tchor, qui reçoit comme des bottes le bas du pantalon, et elles mettent par-dessus la pantoufle ordinaire verte et à talons hauts.




Le sycomore croît abondamment dans les forêts qui couvrent ce pays; les habitants pensent que dès que cet arbre atteint l'âge de mille ans, il prend feu et brûle de lui-même. Parmi les nombreuses traditions de la contrée, il en est une qui se rattache à une tour que l'on dit être le tombeau d'un souverain. Cette tradition suppose que là est un puissant trésor qu'un talisman protège, et dont un magicien indien de très-grande habileté avait découvert le secret; mais les conditions de ce talisman ne lui permettait pas d'agir en personne, il employa un agent qui ignorait ce qu'il allait faire. Le magicien confia à cette personne le talisman qu'il avait préparé et qu'elle devait attentivement comparer avec celui qu'elle verrait dans la tour; l'émissaire avait par dessus toute chose été prévenu de ne point lever la tête, quoi qu'il pût entendre. Le messager agit conformément aux instructions qu'il avait reçues, et au moment où il venait de rapprocher les deux talismans, le charme s'opéra. Un bruit formidable se fit entendre, et un nombre prodigieux de pigeons s'envolèrent par la grande porte qui s'ouvrit subitement; cette volée était si considérable, et le bruit des ailes durait tant, que l'envoyé, las de s'en tenir aux conjectures, oublia l'avis et regarda en l'air. Tout à coup les pigeons cessèrent de voler, et une grande quantité d'or monnayé tomba autour de lui. Le charme avait changé l'or en pigeons, qui dirigeaient leur vol vers les coffres du magicien, mais la curiosité de son agent le rompit, et l'or reprit si promptement sa forme primitive, que la portion même qui traversait l'air tomba à terre, et personne, depuis ce moment, n'a été capable de trouver le reste du trésor.
A Bagdad, ville qui doit un grand renom historique au règne des califes, surtout à celui d'Haroun-al-Raschid, les femmes des premières classes sont ordinairement choisies parmi les plus belles esclaves qu'on puisse s'y procurer de Circasie et de Georgie; des chaînes d'or, des colliers de perles et divers ornements en pierres précieuses brillent sur la partie supérieure de leurs personnes, tandis qu'elles ont les poignets et les chevilles des pieds entourés de bracelets en or massif, ayant la forme de serpents. Des mousselines brochées d'or et d'argent composent non-seulement leurs turbans, mais souvent leurs vêtements de dessous. En été, le châle plus coûteux remplace sur elles la pelisse, qui, dans la saison rigoureuse, est garnie des plus riches fourrures. Les cercles qui ont lieu à Bagdad chez les dames du plus haut rang peuvent exciter encore une fois la curiosité. Toutes les personnes invitées étant réunies, le repas du soir ou dîner est bientôt servi. Ensuite la société, assise sur plusieurs rangs, s'apprête à jouir du spectacle, qui consiste en musique et en danses; l'une et l'autre, très-bruyantes, durent toute la nuit. A minuit, on sert le souper. Entre ce second banquet et le premier, le narguily au suave parfum ne quitte point les lèvres des dames, excepté quand elles prennent le café, ou témoignent, soit par des acclamations, soit par de longs éclats de rire, l'effet que certaines danses, certains morceaux de chant, ont produit sur elles. Tandis qu'elles donnent ainsi carrière à leur joyeuse humeur, telle d'entre elles, qui ressent un besoin subit de repos, s'étend sans excuse préalable, et dort sur le riche tapis qui lui a servi de siège. D'autres suivent bientôt son exemple, sans que cessent ni les chants qui seuls éveilleraient un mort, ni le fracas des instruments, ni les causeries sur tous les tons. Toutefois le tumulte de cette scène s'affaiblit par degrés; visiteuses, chanteuses et danseuses cèdent également au sommeil, et l'on finit par voir tous les tapis couverts de femmes endormies, les maîtresses du logis pèle-mêle avec leurs esclaves, les personnes de leur société, et celles qui sont venues en faire l'amusement.
La Perse n'a point, à proprement parler, de ville capitale; le siège du gouvernement a changé selon le caprice ou la commodité des princes régnants. Rey, Ispahan, Casbin, Tauris, ont été à différentes époques les lieux de leur résidence. Aujourd'hui le roi de Perse habite Téhéran; ainsi cette ville est de nos jours la capitale du royaume. Téhéran peut avoir une lieue et demie de circonférence; elle est entourée d'un mur épais en briques, flanqué d'innombrables tours, et ceinte d'un large fossé. Il règne un glacis entre le fossé et le mur qui a six portes; ces portes sont marquetées en brique de couleur, et offrent des figures de tigres et autres animaux, en grossière mosaïque. L'intérieur de la ville présente un triste aspect à un Européen; il ne voit que des maisons construites en briques cuites au soleil, qu'on prendrait à leur couleur pâle pour de la boue; il marche dans des rues étroites et non pavées, que l'amas des boues rend impraticables dans les mauvais temps et son attention doit se borner à se garantir des nombreux chameaux qui y circulent.
Lorsque les femmes du roi sortent pour aller à la campagne, on indique cinq ou six heures d'avance la route qu'elles doivent suivre. Alors, malheur à quiconque resterait sur cette route, ou dans un endroit d'où il pourrait apercevoir les chameaux et les chevaux qui portent les femmes. Les chemins, les approches des chemins même, doivent être déserts. Lorsque l'heure du départ est arrivé, des troupes de cavaliers courent très-loin devant le cortège, criant: corouc, corouc, défense, défense; c'est à dire, que chacun se retire. Des eunuques, aussi à cheval, marchent entre ces cavaliers et les femmes; il frappent rudement d'un gros bâton qu'ils portent à la main, ceux qui ne se retirent pas assez promptement. Les femmes sont ordinairement à cheval; quelques-unes, la favorite par exemple, voyagent sans une espèce de litière, que les Persans nomment tatki-révan, trône ambulant et qui est porté par deux chameaux, un devant, l'autre derrière. Le corouc serait un genre d'incommodité très-pénible pour les sujets, s'il prenait souvent au roi la fantaisie de se faire accompagner de ses femmes; tout homme doit fuir dès qu'il atteint l'âge de sept ans.

                                                                                                                   A. Mazuy

Le Magasin universel, février 1837.

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