mercredi 16 novembre 2016

La cathédrale du Puy.

La cathédrale du Puy.


La nature a fait beaucoup pour la cathédrale du Puy; elle lui a donné pour piédestal une pente abrupte où s'étage toute une ville, pour assiette un étroit plateau que sa haute façade surplombe, pour appui et pour repoussoir un amoncellement de rochers volcaniques.




C'est une longue basilique à trois nefs, à huit coupoles, terminée par une abside carrée, sans collatérale. La façade, haute, décorée seulement de colonnes et de baies romanes, doit son originalité à l'alternance des couleurs qui rayent sa muraille, à la variété des arcatures de toute dimension et de toute forme; il y a de petits trèfles lourds, des pleins cintres sur piliers frustes ou sur colonnes légères; enfin l'arc brisé, dont on a fait à tort un attribut du gothique, s'est emparé des ressauts de la porte centrale et de la fenêtre qui la surmonte. Des raisons de solidité ont sans doute fait adopter cette ouverture plus résistante; une particularité fort originale double en effet la charge de l'étage inférieur de la façade: il ne supporte pas seulement le poids vertical qui le surmonte; il lui faut encore soutenir la poussée horizontale de deux travées bâties sur le vide. A force de s'étendre, l'église a dépassé le bord du plateau où elle est assise; l'espace lui a manqué; mais elle s'est cramponnée à la déclivité, et y a jeté de solides voûtes dont les ouvertures forment justement le grand portail, placé au-dessous du sol de l'édifice.
"Un vaste escalier, vraie église ascendante, coupée en trois nefs par d'énormes piliers, bordée de chapelles qui communiquent avec de larges paliers correspondant aux travées, donne accès à l'église supérieure. Il aboutissait à l'entrée du chœur..." (1) 
"De là autrefois le dicton populaire: qu'on entrait à Notre-dame par le nombril, c'est à dire par le milieu de l'église, et qu'on en sortait par les oreilles, c'est à dire par les vestibules en retour sur le chœur. Aujourd'hui, cette disposition originale a disparu en partie. M. de Galard, l'un des derniers évêques du Puy, fit fermer l'entrée souterraine et détourner l'escalier de manière à le faire aboutir dans le collatéral nord. Par ce changement, on sacrifia le cloître qui longe l'église de ce côté, et il fallut en abattre un angle entier." (2)
Ce n'est pas la seule mutilation qui ait paru nécessaire à ce prélat: l'air, dit-on, incommodait les chanoines; on abaissa une des coupoles. En ce temps, l'archéologie n'était pas en faveur. Revenons à notre escalier; M. P. Mérimée nous y guidera avec sa précision et sa sagacité ordinaires.
"Les voûtes et les arcades de l'escalier, dit-il,  n'ont point de forme constante, et l'on y voit le plein cintre et l'ogive (3) employés avec une sorte d'indifférence. Cependant le plein cintre se trouve assez fréquemment au-dessous de l'ogive, qui semble n'être ainsi placée que comme une garantie de solidité. Le plan de l'escalier répète, en quelque façon, celui de l'église. Il est divisé en trois parties par des piliers flanqués de grosses colonnes byzantines, et à chaque travée un large palier interrompt régulièrement la montée. Le second de ces paliers communique au sud, à une porte latérale donnant sur une rue; au nord, à l'entrée de l'hôpital, bâtiment fort ancien, adossé à l'église. En ce point, deux chapelles, transformées aujourd'hui en magasins, s'ouvraient l'une à droite et l'autre à gauche, parallèlement à l'axe de la montée et correspondant aux collatéraux de la nef... Les voûtes et les parois de cet escalier étaient couvertes de fresques; mais depuis peu d'années on les a fait disparaître sous le badigeon."
On en distingue à peine quelques traces, grâce aux nimbes cannelés et dorés qui entouraient la tête des saints. Il faut donner un coup d’œil aux portes des chapelles, en bois de cèdre, curieusement sculptées de maigres et longues tiges ascétiques, jadis égayées sans doute par des couleurs vives et crues.
Nous faisons le tour de l'église avant d'y entrer. Au nord s'étend un beau cloître et s'élève un clocher isolé, séparé de la cathédrale par une petite cour.
"Le cloître est formé de quatre galeries voûtées, portées sur des arcades en plein cintre. Les chapiteaux des colonnettes qui les reçoivent sont en général historiés, et la plupart d'un travail très-fin et très élégant. Il y en a même quelques-uns entourés de feuilles d'acanthe et de volutes un peu capricieuses qu'on serait presque tenté de prendre pour antiques, et je connais tel monument romain qui en montrerait assurément de plus bizarres et surtout de moins bien exécutées."
Certains fûts de colonne en marbre sont certainement de provenance antique. D'ailleurs, il règne une telle confusion dans les ornements des frises, qu'on peut les croire formées de débris d'un édifice antérieur. On distingue toutefois nettement deux parties dans l'ensemble du cloître, l'une plus ancienne, plus byzantine, décorées seulement de zigzags rouges et de grossières mosaïques; l'autre toute romane, où la sculpture domine. Une assez grande salle, autrefois chapelle mortuaire des évêques, décorée de fresques qu'on a soigneusement badigeonnées (peut être du quatorzième siècle), communique avec le cloître, auquel est encore adossé un grand bâtiment aux murailles épaisses et hautes, vieille citadelle crénelée, suspendue à des escarpements dont les évêques, sans doute,  ne trouvaient pas la protection assez efficace.
Le clocher est situé sur l'alignement du collatéral nord, un peu au delà du chœur. Sa base carrée peut avoir été un baptistère. Des étages en retraites les uns sur les autres y ont été ajoutés durant l'époque romane et jusqu'au commencement de l'époque gothique; les cintres pleins et brisés s'y mêlent à quelques pinacles aigus. La flèche obtuse et médiocre, le profil indécis des étages en retraite, l'absence d'ornements, désenchantent un peu le voyageur que le clocher séduisait à distance. Combien d'édifices que l'éloignement transfigure ainsi!
L'église est flanquée de deux vastes vestibules coupés en deux étages par des planchers relativement modernes. Ce sont les transepts primitifs, très-anciennement séparés du corps de l'église, comme le prouvent des fresques fort effacées, du quatorzième siècle, appliquées sur les murs du chœur. Leurs voûtes, aussi hautes que la naissance des coupoles de la nef, sont en berceau.
"Le porche avancé, sous lequel on passe pour entrer dans l'ancien transept sud, se distingue par la richesse de son ornementation. A peine trouverait-on le moindre espace lisse au milieu d'une inépuisable variétés de moulures et de détails très-finement sculptés, qui recouvrent les archivoltes, les piliers et jusqu'aux fûts des colonnes engagées. Tous ces ornements d'ailleurs, appartiennent au style byzantin fleuri, et après avoir loué leur rare élégance, je ne vois qu'une seule singularité qui mérite une description détaillée. Les arcades qui servent d'entrée à ce porche sont en ogive, mais doublées par un autre arc en plein cintre, qui ne tient à l'intrados du premier que par trois tenants en pierre, en sorte que dans la plus grande partie de sa courbe, l'extrados du cintre est séparé de  l'extrados de l'ogive par un vide de plus d'un pied. Pareil tour de force est rare, ce me semble, dans la période byzantine, et c'est le premier exemple que je rencontre d'une disposition semblable."
Après avoir donné un instant d'attention aux portes orientales des transepts, en bois sculpté fort vermoulu, et aux fresques barbares encore visibles dans la salle supérieure du vestibule sud, nous entrons enfin dans le vaisseau central.
La disposition des huit travées est à peu près la même; elles sont couvertes de coupoles. La troisième seule, en partant de l'abside, a été entièrement dénaturée, comme nous l'avons dit plus haut, par un évêque du dernier siècle, M. de Galard.
"Des piliers épais soutiennent les arcades qui séparent la nef des collatéraux. Au-dessus de ces arcades s'élève une fausse galerie, ou plutôt un placage de trois arcades ou niches portées par des espèces de consoles. L'amortissement de cette arcature supérieure forme comme une large corniche, derrière laquelle s'ouvre, dans chaque travée, une fenêtre à plein cintre, flanquée de deux autres fenêtres figurées; des colonnettes géminées les accompagnent et reçoivent les retombées de la coupole; une autre fenêtre éclaire les bas-côtés. Chaque travée est séparée de la travée voisine par une arcade perpendiculaire à l'axe de la nef; l'une de ces arcades contient une galerie qui sert de pont pour passer d'un côté à l'autre du toit... Après la cinquième travée, l'ogive devient constante dans les arcades; les piliers prennent, en plan, la forme d'une croix, et se couronnent de chapiteaux variés et de style byzantin fleuri. Enfin, les deux dernières travées, à l'occident, ont leurs piliers également en forme de croix, mais avec une colonne engagée dans chaque angle rentrant."
Un certain Evodius, évêque des Vellaviens, passe pour avoir fondé la cathédrale du Puy, vers le commencement du cinquième siècle. Peut-être ne fit-il que transformer en église un temple gallo-romain de Diane, dont les débris, vers le neuvième siècle, servirent de matériaux aux constructeurs de l'édifice chrétien. Une frise romaine est encastrée dans l'appareil, et, sur le mur oriental du chœur, on lit ces deux vers léonins en très-vieilles onciales:

"(Ex) ope divina, languentibus en medecina,
(Adeve)mens gratis, ubi defuit arx Ypocratis."

Ici les maux plus forts que l'art du médecin
Trouvent leur réconfort dans le secours divin.

Est-ce une allusion à Diane, tante d'Esculape? Est-ce tout simplement une de ces formules pieuses qui abondent dans les inscriptions chrétiennes?
Les quatre premières travées, avec leurs piliers sans colonnes et leurs chapiteaux ou plutôt leurs tailloirs frustes, peuvent bien remonter à l'âge carolingien. Elles sont contemporaines au moins des monuments de Cahors et de Périgueux. Les deux suivantes semblent avoir été ajoutées au onzième siècle.
"Le raccord avec les anciens murs, maladroitement exécuté, une notable différence dans la hauteur des fenêtres, la forme des piliers et celle des arcades (le cintre brisé commence), constatent ce premier changement, si toutefois ils n'en fixent pas positivement la date."
A cette époque, l'église, avec ses six travées, ses transepts, une partie de son cloître, et la base de son clocher, commençait à déborder à l'extrémité du plateau où elle est construite. L'escalier central existait dans sa partie supérieure et s'arrêtait au palier des chapelles correspondantes aux bas-côtés. Dans l'appareil du mur qui ferme ces chapelles à l'ouest, on observe des arcs anciens qui ne s'accordent point avec l'axe et le centre des voûtes et des portes actuelles. A en juger encore par un fragment d'arc enclavé dans le tympan de la porte sud, il y avait là un porche et une façade. Au reste, la première marche du second palier, juste sous la sixième travée, porte cette inscription liminaire:

"Ni caveas crimen caveas contingere limen,
Nam regina poli vult sine sorde celi"

que je suis contraint d'imiter ainsi, par à peu près:

Fuis le crime ou ces lieux; car la reine du ciel
Veut devant ses autels des serviteurs pieux.

Toutes les parties alors existantes de l'édifice semblent avoir été revêtues d'une ornementation nouvelle, archivoltes, billettes, pierres rouges et noires incrustées dans les gables, qui décorent assez uniformément le chœur, les transepts et l'abside.
"Le troisième accroissement de la cathédrale comprend ses deux dernières travées de l'ouest", le premier palier de l'escalier, toute une partie du cloître, et la façade. L'art s'était perfectionné, mais n'était pas encore sortie de la période romane. Il est peu probable que la fin du douzième siècle ait vu l'achèvement du bel édifice que nous venons de décrire et d'admirer. Tout au plus, la construction du clocher se prolongea-t-elle jusqu'aux dernières années du treizième siècle. Ce qui dépasse cette date est le fait de restauration souvent aussi maladroites que nécessaires.
La cathédrale du Puy est un des spécimens complets des styles byzantin et roman. Elle les présente séparés, dans leur simplicité primitive, et fondus dans la transition délicieuse qu'on nomme le roman ou le byzantin fleuri.

(1) André Lefèvre, Merveilles de l'architecture.
(2) P. Mérimée, Notes d'un voyage en Auvergne.
(3) C'est à tort qu'on appelle ogive l'arc brisé; l'ogive est la nervure diagonale appliquée aux arêtes des voûtes: elle peut donc décrire indifféremment une courbe pleine ou une ligne brisée. L'usage qui a prévalu introduit une confusion regrettable; mais on ne peut aller contre l'usage.

Le Magasin pittoresque, février 1870.

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