mercredi 26 octobre 2016

Une automobile cuirassée.

Une automobile cuirassée.


Malgré leurs efforts et leur ténacité, les Italiens ne sont pas encore parvenus à réduire les tribus barbaresques, qui, à défaut de la Turquie, leur disputent le territoire de la Tripolitaine. Si quelques points du territoire peuvent être considérés comme définitivement conquis, en revanche, tout l'hinterland demeure inviolé, et il s'écoulera sans doute bien des années avant que nos voisins réussissent à s'établir avec sécurité autour du golfe de la Grande  Syrte.
Ce n'est pas qu'ils aient hésité à mettre à profit, dans leur conquête, les engins les plus nouveaux. Leurs aéroplanes de guerre ont maintes fois semé la terreur parmi les Turcs, et les services qu'ils ont rendus lors de la prise de Benghâzi n'ont pas été oubliés. Voici à présent qu'une automobile cuirassée vient d'être affectée au corps d'armée d'occupation.
C'est l'Automobile-Club de Milan qui, mû par un louable sentiment patriotique, a eu l'idée d'étudier, de faire construire et d'offrir au Gouvernement italien cette voiture armée et blindée, dont la silhouette à la fois bizarre et menaçante se présente ici aux lecteurs du Magasin pittoresque.




Le cuirassage dont l'engin est revêtu, comme d'une lourde chape, est constitué par des plaques d'acier au nickel d'une épaisseur suffisante pour résister aux balles des fusils à répétition et des carabines que les Arabes peuvent avoir en leur possession.
On remarquera que le véhicule est surmonté d'une véritable tourelle circulaire, également blindée, qui recèle dans ses flancs deux canons-mitrailleuse, du type Maxim-Gatling, dont la puissance est de six cents coups à la minute, soit douze cents coups pour les deux armes tirant ensemble. Elles sont néanmoins indépendantes et disposées de manière à permettre le tir dans des plans et sous des angles différents, le pointage se faisant au moyen d'un appareil optique extrêmement précis
On pénètre dans cette casemate roulante par une porte latérale qui se voit à l'arrière du moteur. C'est là, dans une chambre antérieure, que prend place le mécanicien; une ouverture longitudinale, dont le bord supérieur est protégé par un écran mobile, permet la conduite de l'automobile, en toute sécurité. La tourelle pivotante est, en outre, munie à sa base de huit hublots vitrés d'un très faible diamètre, suffisant cependant pour faciliter l'inspection d'un tour d'horizon.
Malgré son poids considérable, la voiture cuirassée milanaise, d'une puissance de 60 HP peut filer sur bonne route à près de cent kilomètres à l'heure.
Les roues d'avant, en acier, à jantes plates, comportent des pneumatiques ferrés spéciaux, d'une résistance exceptionnelle à la compression et à l'usure. Celles d'arrière sont en grande partie protégées par deux espèces de carters adaptés au blindage, et de même métal.
A l'intérieur, outre le pilote, se tiennent deux canonniers et deux pointeurs; ces derniers sont eux-mêmes armés de fusils à répétition. Dans le platelage arrière de la voiture a été aménagée une seconde ouverture, par laquelle il est possible de faire feu en cas de poursuite de l'ennemi.
Car l'ennemi, en Tripolitaine, est terriblement acharné et ne manque jamais une occasion d'essayer un retour offensif. Et l'ennemi, là-bas, est multiple: Arabes, Maures, Kabyles, Touaregs, Turcs, Nègres, Juifs, races et tribus mêlées, se donnent la main pour résister à la prise de possession des nouveaux conquérants.
Sur les grandes routes sablonneuses, à travers les plaines arides, l'automobile cuirassée avec ses canons et ses 9.000 cartouches d'approvisionnement, devra se livrer à bien des raids dangereux, avant que l'Italie puisse s'enorgueillir d'avoir établi sa domination sur le plus réfractaire à la civilisation et le plus redoutable des anciens Etats Barbaresques.

                                                                                                     Edouard Bonnaffé.

Le Magasin pittoresque, 1913.

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