vendredi 14 octobre 2016

Sens.

Sens.
France.



Sens, ancienne capitale du Sénonais, est situé sur la pente d'une colline à l'est de la rivière d'Yonne, qui arrose ses murs. Cette ville est une des plus anciennes des Gaules; elle est connue dans César sous le nom d'Agendicum Senonum;  elle devient dans la suite la capitale de la quatrième Lyonnaise. De nos jours, elle a perdu son ancien nom d'Agendicum, et n'a retenu que celui des peuples qui l'habitaient autrefois, et dont Tite-Live a parlé sous le nom de Galli-Senones.
Ce sont eux qui, longtemps avant Jésus-Christ, firent des établissements considérables en Italie, fondèrent Sienne, prirent Rome sous la conduite de Brennus, et s'étendirent même dans la Grèce. César soumit ces peuples à l'empire romain, comme le reste des Gaules; ils y demeurèrent sujet jusqu'au règne de Clovis, qui en fit la conquête. Sous la fin de la seconde race de nos rois, la ville fut soumise à des comtes particuliers, d'abord amovibles, et qui se rendirent de petits souverains par la suite. Ils furent expulsés par le roi Robert l'an 1005, et la ville fut réunie à la couronne de France. Le Christianisme a été prêché à Sens dans le IIe ou IIIe siècle, par saint Savignien, que la ville révère comme son apôtre.
L'église métropolitaine, qui se déploie sur une grande place, est dédiée à saint Etienne, premier martyr. Cette église, une des plus belle du royaume, a trois grandes portes d'un architecture gothique; la façade est ornée de deux grosses tours, dont l'une est surmontée d'une lanterne de pierre, où est l'horloge de la ville. Il y a peu d'églises qui possèdent un plus grand nombre de reliques, et qui aient des ornements aussi somptueux. Elle se compose de trois nefs: celle du centre est majestueuse; les bas-côtés entourent le chœur, les fenêtres et rosaces sont à vitraux peints par Jean Cousin. Un superbe baldaquin, supporté par quatre colonnes de porphyre, couronne le maître-autel. Le chœur est riche; au milieu on remarque un mausolée en marbre blanc, érigé en l'honneur du dauphin, fils de Louis XV, qui y a été inhumé, ainsi que la princesse de Saxe, son épouse.
Ce mausolée, mutilé pendant la révolution, a été restauré depuis; c'est un des chefs-d'oeuvre de Coustou et de son élève, Julien Beauvais. La première figure est celle de l'Amour, dont les regards se dirigent vers un enfant qui, placé à ses pieds, brise l'hyménée. Sur le dernier plan apparaît l'effigie du Temps, couvrant d'un voile funèbre deux urnes unies ensemble par des guirlandes de cyprès et d'immortelles. Sur le devant du monument, le Génie des sciences et des arts plongé dans la douleur, tandis que l'Immortalité réunit en faisceau les attributs symboliques des vertus des deux époux, et que la Religion pose sur leurs urnes une couronne.
La cathédrale de Sens renfermait autrefois plusieurs autres mausolées qui attiraient l'attention des amateurs; les débris de celui du cardinal Duprat offrent quatre bas-reliefs d'un travail admirable, seuls restes d'un grand et beau monument que le marteau révolutionnaire a abattu, ainsi que plusieurs autres tombes qui décoraient l'église, celle entre autres, du cardinal Duperron. On remarque derrière le chœur un groupe en stuc d'un beau travail, représentant le martyr de saint Savignien. La chapelle de la Vierge est décorée avec un goût exquis; d'autres sont riches aussi en sculptures et en peintures. Dans une salle contiguë à l'église se trouvent les portraits de tous les évêques de Sens. 
Plusieurs conciles se sont tenus dans cette ville; le plus célèbre est celui où saint Bernard fit condamner Abailard comme hérétique. En 1163, le pape Alexandre III se réfugia à Sens et y séjourna deux ans; ce fut aussi la retraite du fameux évêque de Canterbury, le fougueux Thomas Becket.
En 1348, la ville de Sens n'était point environnée de fossés; Charles V, encore dauphin, craignant que les Anglais ne s'en emparassent, ordonna aux habitants de l'en entourer. Les eaux de l'Yonne et de la Vanne y coulaient. Plus tard ces fossés furent comblés; ils ont maintenant disparu, et ont fait place à des promenades ombragées. En 1531, afin de nettoyer la ville et la préserver des incendies, on fit circuler les eaux de la Vanne dans les rues; elles coulent encore dans les principales et y entretiennent la propreté.
Sens  s'étant déclarée pour le parti de la Ligue, Henri IV l'assiégea en 1590; après trois assauts sans résultats pour ses armes, il fut forcé de lever le siège, et ne prit possession de la cité que quatre ans plus tard. Cette ville est encore entourée de vieilles murailles. On remarque dans ses murs des arcades figurées comme dans les constructions romaines, et aux environs des débris de voies antiques qui conduisent à plusieurs des cités voisines. Des neuf portes qui donnent entrée à Sens, trois sont antérieures au XIVe siècle ou construites à cette époque; ce sont celles de Notre-Dame, de Saint-Antoine et de Saint-Rémy.





On conserve dans la bibliothèque publique de Sens le manuscrit de la fameuse Fête des fous et la Prose de l'âne, l'un des plus curieux monuments de la folie humaine; ce manuscrit paraît avoir été écrit vers le milieu du XIIIe siècle. Le cahier de vélin est en forme longue, contre l'ordinaire des anciens manuscrits; mais on voit bien qu'on ne lui donne cette forme qu'afin de pouvoir l'enfermer dans des diptyques qu'on y conservait probablement depuis plusieurs siècles; et en effet, il y est encore renfermé; il est noté et écrit avec soin, et toutes les enjolivures sont d'une composition aussi bizarre que la fête qu'il produit.
On a donné le nom de Fête des fous à certaines réjouissances que les clercs, les diacres et les prêtres faisaient dans plusieurs églises durant l'office divin, principalement depuis les fêtes de Noël jusqu'à l’Épiphanie. Pour découvrir l'origine de ces cérémonies, il faut remonter aux fêtes du paganisme, parmi lesquelles les saturnales, les lupercales et les calendes de janvier tenaient le premier rang. Quoique scandaleuses que fussent ces cérémonies, elles subsistèrent en tout ou en partie au milieu du christianisme, malgré les conciles, les papes, les évêques qui mirent tout en usage pour les abolir; en vain l'on établit des prières publiques, des processions, des jeûnes à cette occasion, rien ne put réprimer ces désordres. C'était surtout dans la cathédrale de Sens que cette singulière solennité se faisait avec le plus d'appareil; l'âne y était honoré d'un culte tout particulier. Le jour de Noël, après vêpres, les clercs et les diacres dansaient et gambadaient au milieu de l'église; on élisait ensuite un évêque ou un archevêque des fous, et son élection était confirmée par un grand nombre de bouffonneries ridicules, et entre autres, ils encensaient le nouveau dignitaire avec la fumée de vieilles savates qu'ils brûlaient. Puis un âne, revêtu d'une belle chape, était introduit dans la nef, et tous les assistants, déguisés de façon grotesque, chantaient en cœur plusieurs strophes dont le refrain était:

Hé, sire âne, hé, chantez,
Belle bouche rechignés;
Vous aurez du foin assez
Et de l'avoine à planter.

De tous les acteurs et les spectateurs de la cérémonie, il n'y avait sans doute qu'un animal qui ne riait pas, à savoir, ce pauvre âne qui était forcé de braire à chaque instant; c'était là vraiment l'asinus vehens mysteria dont parle Aristophane.
A une lieue et demi de Sens, on voit la fontaine de Veron, célèbre par ses particularités; elle est située au pied d'une montagne, et forme un bassin de huit toises de diamètre; à quelques pas de là, elle fait tourner un moulin, et son eau, en rejaillissant sur les murs, durcit et pétrifie en assez peu de temps la mousse qui s'y rencontre; il en résulte des pierres spongieuses, légères, et dans quelques-unes desquelles on distingue encore la mousse. Ce fait est si réel, qu'il faut de temps en temps arracher ces pétrifications qui, sans cela, empêcheraient la roue de tourner. Au bout de cinq cents pas, ce ruisseau se perd dans la prairie voisine. Vis-à-vis de cette fontaine, on voit de l'autre côté de l'Yonne le village d'Etigny, où se conclut, en 1576, la paix entre Henri III et le duc d'Alençon, par les sollicitations de leur mère, Catherine de Médicis.

                                                                                                                          A. Mazuy.

Le Magasin universel, décembre 1836.

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