samedi 20 août 2016

La buveuse d'eau.


La buveuse d'eau.


Les buveuses d'eau se divisent en deux catégories: celles qui ne boivent pas et celles qui boivent. Les premières vont aux eaux, où il est chic d'aller, telles que Luchon, Plombières et Aix-les-Bains. Leur cure consiste à faire cinq toilettes par jour, à fréquenter le casino et à se livrer à des excursions, fabriquées exprès à travers des montagnes d'opéra-comique et des précipices, brossé par Rubé et Chaperon*.




Les autres sont des buveuses d'eaux sérieuses. La vraie buveuse va aux eaux pour venir à bout d'une de ces maladies spéciales, que la Faculté de Paris ne guérit que par l'expatriation. La buveuse d'eau n'est plus une femme. Pendant onze mois, à Paris, elle peut être coquette, séduisante, jeune, fraîche, poétique, idéale; pendant un mois, aux eaux, elle est une sorte de patiente, préoccupée de se refaire une forme ou une santé. C'est une actrice sans fard et sans corset. C'est une chenille qui médite dans sa chrysalide, avant de redevenir papillon.
Pour l'instant, elle ne se gêne pas. La réputation des eaux qu'elle emploie a trahi sa faiblesse, et dès lors, elle est franchement gravelleuse, dyspepsique, rhumatisante, constipée, ictérique, obèse, chlorotique, eczémateuse. Il est difficile de dissimuler son cas, quand elle fréquente un séjour balnéaire réputé pour son efficacité sur la vessie ou l'intestin. Pour quelques eaux quasi-poétiques, favorables à la gorge et aux poumons, la majeure partie vise surtout les affections dont on ne se vante pas.
Aussi la femme qui boit les eaux renonce-t-elle aux exigences de son sexe pour être une malade désireuse de guérir. Si elle veut maigrir, elle se pèse à chaque instant et raconte à qui veut l'entendre qu'elle a perdu de dix à douze livres d'une semaine à l'autre. 




Selon les cas, elle entretient ses amis de sa bile, de ses rougeurs, de ses enflures et de bien d'autres incidents qui relèvent de Diafoirus.
Une buveuse d'eaux est vertueuse, généralement. D'abord parce que le traitement l'exige; ensuite, parce qu'autour d'elle, il n'y a que des hommes plus ou moins invalides; enfin parce que, s'il y a quelques touristes qui viennent aux eaux, en amateurs, ils sont méfiants et réservés, ou tout au moins peu inspirés. Un mari dont la femme boit vraiment les eaux peut être tranquille. Néanmoins, il se produit parfois des intrigues à l'heure de la cure. Il se fait quelquefois des mariages entre un célibataire et une femme veuve; mais l'amour n'y est pour rien; c'est plutôt un rapprochement de verres gradués, la sympathie des maladies analogues: ce n'est pas un homme qui épouse une femme, c'est une hématose cutanée qui se marie à un affaiblissement de la moelle épinière.

Physiologies parisiennes, Albert Millaud, 1887, à la librairie illustrée, illustrations de Caran d'Ache, Frick et Job.



* Nota de Célestin Mira: Célèbres décorateurs de théâtre de l'époque

Philippe Chaperon: projet de décor pour l'acte IV de l'Africaine de Meyerbeer, 1877.


Philippe Chaperon: projet de décor l'acte V de Roméo et Juliette, de Gounod, 1872.

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