samedi 9 juillet 2016

Les deux expéditions de Constantine.

Les deux expéditions de Constantine.


Extrait du Journal  d'un sous-officier du génie.


Notre corps, depuis la conquête d'Alger, avait eu à exécuter les plus rudes travaux, à supporter les fatigues les plus pénibles. Sur l'Atlas, à Médéah, à la Tafna, pendant les expéditions de Mascara et de Tlemsen, ouvrir des routes, jeter des ponts, établir des retranchements, telle fut partout notre mission, et partout l'intrépide persévérance de nos efforts nous valut l'estime et la reconnaissance de l'armée. Le génie, sous les ordres du brave colonel Lemercier, a rivalisé, avec les autres armes, d'énergie et d'habileté en Algérie; il a surmonté des obstacles presque invincibles et frappé le moral de la population arabe par la promptitude et la vigueur de ses opérations.
Quand la première expédition contre Constantine fut résolue, notre place était marquée à l'avant-garde. Nous devions éclairer et ouvrir la route, et nous ne restâmes pas au-dessous de cette tâche difficile, qui, suspendue quelques jours, sous les murs de Constantine, par des travaux d'une autre nature, continua encore au retour.
Le 13 novembre 1836, l'armée expéditionnaire quitte Bône, et va camper le même jour à Bouharfa sur les bords d'un petit torrent et à peu de distance du marabout de Sidi Ahmar. Sur la route, nous rencontrons des restes de voie romaine, même quelques traces des postes militaires  que les Romains avaient en ce pays, et où l'on trouve des moulins à huile, des auges, des mortiers et de la poterie grossière. Le 14, nous bivouaquons à Mouhelfa. Le 15 nous traversons le col de Mouara, d'où l'on aperçoit toute la plaine de Bône, le lac Fezzara et la Calle, et nous arrivons de bonne heure près des ruines de Ghelma, dont l'enceinte forme un quadrangle considérable,  avec des tours carrées saillantes de distance en distance. Un camp a été formé sur cet emplacement. La plupart des pierres qu'on y a trouvées portent des inscriptions latines.
Le 16, nous allions de Ghelma à Medjez-el-Ahmar, poste qui plus tard a été fortifié et qui a servi de point de départ pour la seconde expédition; nous suivons les rives de la Seybouse entre les oliviers et les tamarins qui couvrent ses bords; le passage de cette rivière ne peut être effectué le même jour à cause de son escarpement extraordinaire, où il nous faut pratiquer une rampe. Le 17, nous nous trouvons au pied de la montagne que les Arabes appellent Djebel-el-Sada (montagne du bonheur) et Akbet-el-Achari (montée de la dixième), et que nous nommons Raz-el-Akba (tête de la montée). Le 18, nous traversons l'oued (rivière) Zenati, dont le cours sinueux se trouve à peine indiqué en quelques endroits par de chétifs lauriers-roses.
Sur la rive droite, nous rencontrons le marabout de Sidi Tamtam couvert de tuiles à l'italienne. Des Arabes y tiennent une espèce de marché, où les amateurs de tabac et de beurre peuvent s'approvisionner. Le 19, nous marchons pendant toute la journée dans la vallée de l'oued Zenati, à l'origine de laquelle nous allons bivouaquer. Dans la nuit, la pluie commence à tomber avec abondance, et le manque de bois nous est d'autant plus pénible que nous sommes exposés à une humidité glaciale. Le 20, nous quittons le bivouac, avec l'espérance d'atteindre Constantine dans la même journée. Nous passons devant plusieurs douars assez considérables dont la population ne s'était pas éloignée; plusieurs scheikhs viennent même recevoir l'investiture des mains du bey Youssouf. 
Pendant tout le trajet depuis Bône, les laboureurs étaient souvent accourus au-devant de l'armée et nous montraient leur manière de joindre les bœufs au joug et de labourer. Ces dispositions pacifiques des Arabes paraissaient d'un bon augure pour l'issue de la campagne et nous faisaient supporter avec courage les intempéries de la saison. La grêle et la pluie qui n'avaient cessé de tomber pendant cette journée défoncèrent tellement les chemins, que l'armée ne put aller au-delà du monument dit de Constantin. Notre bivouac s'établit sur un mamelon appelé Soma. Pendant la nuit, le mauvais temps redouble; pas un feu n'est allumé; partout un silence morne; et la neige vient se joindre aux autres intempéries.
Le 24, nous marchons sur Constantine que nous apercevons alors distinctement. Au bas du mamelon de Soma, nous entrons dans une vallée arrosée par le Bou-Merzoug, torrent grossi par les pluies et à peine guéable, qu'il nous faut traverser ayant de l'eau jusqu'à la ceinture.
C'est au milieu de ces circonstances désastreuses que l'armée arrive devant Constantine sur les deux heures de l'après-midi. La brigade d'avant-garde passe aussitôt le Rummel et va prendre position sur le mamelon de Coudiat-Ati, qui domine l'espèce de promontoire à l'extrémité duquel la ville se trouve assise sur un roc escarpé, impénétrable au boulet et à la mine. Le général en chef, à la tête d'une brigade, va occuper le plateau de Mansourah qui domine aussi Constantine. Ce plateau est séparé de la ville par le Rummel sur lequel est un pont romain qui aboutit à une des portes de la ville.
Nous étions à portée de fusil de Constantine, sans que le moindre acte d'hostilité pût nous faire supposer que les habitants eussent l'intention de résister. Les portes étaient ouvertes; des hommes sans armes se promenaient sur le pont: la population paraissait donc disposée à nous recevoir. Mais, au bout de quelques minutes, un coup de canon part de la batterie de la porte du pont (Bab-el-Kantara), et le drapeau rouge est hissé sur une autre batterie située au-dessous de la Kasbah. L'artillerie du bey Yousouf répond à ces premières hostilités commencées par des Kabaïles, partisans d'Ahmed, qui forcent la population à la résistance.
A partir du 22, le temps devient affreux. La neige tombe avec violence; le froid est excessif; nous trouvons en Afrique les frimas de la Russie et les boues de la Pologne. Dans une telle extrémité, le seul parti qui nous reste est d'enlever la place de vive force, et tous nous demandons à monter à l'assaut. L'artillerie parvient à enfoncer la porte du pont. Notre corps est chargé de faire sauter la seconde, mais, exténués que nous sommes de fatigues, et privés par le mauvais temps d'une partie de notre matériel, nous sommes obligés d'ajourner l'opération au lendemain.




Le 23, l'artillerie continue à battre la ville, pendant que les Arabes viennent attaquer nos deux positions de Coudiat-Ati et de Mansourah. La nuit venue, nous prenons nos dispositions pour forcer l'entrée de la ville. Deux attaques simultanées sont ordonnées dans le but de diviser l'attention des habitants. Notre colonel Lemercier dirige lui-même celle sur Bab-el-Kantara. Mais la garnison s'aperçoit de notre mouvement, commence aussitôt un feu bien nourri et nous met en peu de temps beaucoup de monde hors de combat. Moi-même, atteint de deux balles, je fus laissé pour mort sur la place, et quand je revins à moi, j'étais dans Constantine, non en vainqueur, mais captif et esclave, avec quelques uns de mes camarades.
Ce ne fut que bien des jours après que les récits de quelques Arabes m'apprirent l'issue de notre expédition. Je sus par eux que, dans la journée du 24, au moment même où il était plus que jamais question dans Constantine de la reddition de la ville, la retraite de notre armée avait commencé, qu'elle s'était effectuée en bon ordre, et que nos troupes, arrivées à Ghelma le 28, étaient rentrées à Bône le 1er décembre. Les rivières débordées, la pluie, la neige, enfin des causes supérieures à la volonté humaine, ont seules rendu inutiles les efforts de nos soldats aussi admirables par leur résignation que par leur courage.
Ahmed fait courir le bruit que notre perte s'est élevée à 4.000 hommes (J'ai su depuis que nous avions eu 453 morts, tués ou égarés, et 504 blessés).
Notre retraite, telle qu'elle s'opéra, était d'ailleurs pour les indigènes un phénomène qu'ils contemplaient pour la première fois. Parmi eux, le parti qui est vaincu ou qui échoue dans son entreprise se disperse immédiatement, et chacun se tire d'affaire comme il l'entend. Il n'y a dans leurs mœurs nulle honte à se retirer en désordre et avec précipitation. Ignorant les ressources de notre organisation militaire et la puissance du point d'honneur qui attache nos soldats à leurs drapeaux, ils imaginaient que les choses allaient se passer comme elles ont lieu en pareil cas dans leurs combats nationaux. Aussi, la bonne contenance de nos troupes et l'excellent ordre qu'elles conservaient en présence d'un ennemi acharné, furent pour eux un inépuisable sujet de surprise et d'admiration.

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Mes camarades et moi, nous n'avions pas dû notre salut à un sentiment d'humanité, ni, comme nous le pensions d'abord, à un adoucissement dans les mœurs féroces des Kabaïles, qui comptent leurs victoires par les têtes tombées sous les coups de leurs yatagans. Mais des Européens, qui habitaient Constantine avant l'expédition, ayant reconnus à nos uniformes que nous appartenions les uns à l'artillerie, les autres au génie, les lieutenants d'Ahmed-Bey pensèrent qu'ils pourraient tirer parti de nous. Dans cet espoir, ils nous laissèrent la vie et adoucirent même les rigueurs de notre captivité.
Avant notre approche, Ahmed avait eu soin de faire sortir de la ville ses trésors et ses femmes; il s'en était éloigné lui-même, de peur d'y être assiégé, et avait confié la défense de la place à son premier lieutenant, Ben-Aïssa, célèbre pour ses attaques infructueuses, en 1832, contre la Kasbah de Bône, et par la dévastation de cette ville.
Le retour d'Ahmed dans Constantine est signalé par de sanglantes exécutions. Dans une réunion tenue pendant le siège chez le Scheikh el Belad (gouverneur civil de la ville), des habitants ont eu l'imprudence de conseiller de rendre la ville, et leur avis a été sur le point de prévaloir. De ce nombre était le bouffon du bey, homme qui jouissait d'une grande influence auprès de son maître, et dont le crédit avait plus d'une fois porté ombrage au puissant Ben-Aïssa. L'occasion de se débarrasser d'un rival était trop belle pour que celui-ci la laissa échapper. Ben-Aïssa exige, comme récompense de son dévouement, la perte du malheureux bouffon, et Mir Tabet el Harles, sacrifié à la jalouse vengeance de son ennemi, est décapité par l'ordre d'Ahmed, avec deux autres habitants riches qui avaient également proposé de capituler.
Rentré dans sa capitale, Ahmed emploie tous ses soins à la mettre sur un pied respectable de défense. Il fait réparer la porte du pont, exécuter d'importantes démolitions dans l'intérieur de la ville et à la porte Bad-el-Oued, creuser des fossés devant le rempart du côté de cette porte, monter des canons, armer des batteries, fortifier les quatre portes Bab-el-Ghabia, Bab-el-Oued, Bab-el-Djedid, et Bab-el-Kantara. Son infatigable activité préside à tous les travaux, et dirige tous les préparatifs de défense.
Quant à nous, nous sommes exclusivement employés à la fabrication des armes et des munitions de guerre. Grâce à notre travail et à la régularité de notre conduite, nous jouissons de quelque liberté dans la ville, et cette liberté, que j'ai mise à profit pour étudier et bien connaître notre prison, me permet d'en donner ici une description fidèle.

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La ville de Constantine (Cirta des anciens, Cossentina des Arabes), capitale du Beylick de ce nom, est située au-delà du Petit-Atlas, sur l'oued Rummel. Placée entre Tunis et Bône, à 40 lieues de distance de cette dernière et à 22 lieues du port de Stora, elle est bâtie dans une presqu'île contournée par la rivière et dominée par les hauteurs de Mansourah et de Sidi-Mécid. Au sud-est de la ville s'étend le plateau de Mansourah qui domine la ville à 300 et à 400 mètres. Au nord-est s'élève le mont Mécid, lieu de sépulture des Israélites, dominant la ville à une distance de 350 mètres. Au sud-ouest, les hauteurs découvertes de Coudiat-Ati, précédées par un mamelon de santons et couvert de tombeaux musulmans, commandent également les approches de la ville. Constantine, bâtie sur un plateau presque entièrement entouré de rochers, et qui a la forme d'un trapèze, domine des plaines étendues et d'une grande fertilité. L'oued Rummel se rapproche de la ville à Sidi-Rachet, où il forme une cascade et coule dans un grand ravin qui règne le long des côtés sud-est et nord-est; arrivé à l'extrémité septentrionale où est bâtie la Kasbah, le Rummel forme une nouvelle cascade dite des Tortues, et quitte la ville en continuant son cours vers le nord; ses eaux, à la pointe el-Kantara, s'engouffrent pendant quelques instant sous terre, et reparaissent ensuite pour disparaître à nouveau. On compte ainsi jusqu'à quatre pertes successives du même fleuve et elles forment des ponts naturels de 50 à 100 mètres de large.
La ville de Constantine a quatre portes: Bab-el-Djedib (la porte neuve), le chemin d'Alger y aboutit; Bab-el-Oued (la porte de l'eau) ou Bab-el-Kachbah (porte du marché) conduisant vers le sud; Bab-el-Ghabia (porte des arrivages) communiquant avec le Rummel; Bab-el-Kantara (porte du pont) à l'angle en face du vallon compris entre le mont Mansourah et le mont Mécid. Les trois premières portes sont unies par une muraille antique, haute de trente pieds, souvent sans fossés. En avant de Bab-el-Djedib et de Bab-el-Oued, il y a, sur le sommet du contrefort qui se lie au Coudiat-Ati, un faubourg peu étendu, habité par des artisans. On y tient les marchés de certaines productions; les autres denrées se vendent en ville. Diverses habitations, une mosquée, des fondoucks, et plus loin les vastes écuries du bey, pouvant loger de 700 à 800 chevaux, dépendant de ce faubourg. Le reste de l'enceinte est formé par des murailles peu solides et sans terrassements. Vis-à-vis de la porte el-Kantara se trouve le pont d'où elle tire son nom: large, fort élevé sur trois étages d'arches, de construction antique dans sa partie inférieure, il est jeté sur la rivière et sur cette grande coupure qui sépare la ville de la montagne.
Sur le point le plus élevé de la ville se trouve la Kasbah, édifice antique qui sert de caserne; c'est une petite citadelle défendue par quelques pièces de canon. Au-dessous sont des moulins à blé mis en mouvement par les eaux détournées du Rummel. Des jardins et des vergers occupent les deux rives du fleuve, au nord de la ville, dans le quartier appelé el-Gemma.
Constantine, qui, selon les Arabes, a la forme d'un bournous, dont la Kasbah représente le capuchon, a trois places publiques de peu d'étendue; les rues sont pavées, mais étroites et tortueuses; elles sont en pente rapide de la Kasbah au pont. Les maisons, pour la plupart, ont deux étages au-dessus du rez-de-chaussée; généralement bâties en briques creuses ou en pisé; les plus belles seulement sont en briques cuites et en pierres tirées des constructions romaines; toutes ont des toitures en tuiles creuses posées sur des roseaux. Il existe dans la ville quelques monuments et le palais du bey. Ce dernier édifice a été construit par Ahmed depuis la prise d'Alger par les Français. Pour le décorer, il a fait prendre dans les plus belles maisons de la ville un grand nombre de colonnes de marbres, que les propriétaires avaient fait apporter à dos de mulets de Bône ou de Tunis.
Constantine possède treize mosquées principales et un grand nombre de petites chapelles. L'eau de source y manque; mais le Rummel, auquel on parvient par un chemin couvert, fournit l'eau aux habitants. On n'y trouve pas de boulangerie; car dans cette ville, comme dans toute la régence, les habitants suivant un usage immémorial qui remontent aux temps bibliques, préparent le pain comme les autres aliments, dans la maison et au moment du repas. Il existe cependant dans la ville dix-huit fours banaux; c'est dans ces fours, dont chacun peut recevoir cent pains de deux rations, que se fait le biscuit nécessaire aux troupes; ils sont chauffés avec le bois que quelques tribus de la montagne sont tenues d'apporter comme contribution.
Les habitants de Constantine sont en général industrieux; aussi l'on compte parmi eux, un grand nombre de marchands et d'artisans. L'une de leurs principales industries est la fabrication des selles, des bottes, des souliers et des guêtres à la mode arabe. Quelques forgerons fabriquent, avec le fer acheté à Tunis, des instruments aratoires, des mors de bride, des étriers et des fers pour les chevaux et les mulets. Les armes viennent de la montagne des Beni-Aber, où on les fabrique. La poudre se fait à Constantine, près de la Kasbah; une vingtaine d'hommes y sont employés. Ce qui fait surtout la richesse des habitants, c'est la culture de leurs terres et leur commerce avec l'intérieur de l'Afrique.
Les femmes, outre les travaux domestiques auxquels elle se livrent dans leur intérieur, filent la laine, qu'elles vendent au marché dit Souck-el-Azel, aux fabricants de haïks; elles tissent aussi des bournous, mêmes les plus estimés.
La population de Constantine se compose de Maures, de Turcs et Coulouglis, de Kabaïles, et enfin de Juifs. Les indigènes en portent le chiffre à 40.000 âmes, dont les Kabaïles forment à peu près la moitié, les Maures le quart, le reste se compose de Turcs, de Coulouglis et de Juifs.

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Mai 1837.- Les préparatifs de guerre, dirigés par le bey Ahmed lui-même, continuent sans relâche. Il annonce l'intention de ne pas attendre les Français, mais de prendre l'offensive, de recommencer lui-même les hostilités, de s'emparer de Bône, et de délivrer la province tout entière de la présence des Chrétiens. Les intelligences qu'il entretient avec Constantinople paraissent l'encourager dans ces dispositions.
Juillet 1847.- Un envoyé de la Porte Ottomane vient d'arriver, apportant au bey Ahmed un firman qui lui donne l'investiture du beylick de Constantine. En même temps, le bruit se répand qu'un corps considérable de troupes turques, envoyées par le grand-seigneur au secours de son vassal, et transportées par une flotte sous les ordres du capitan-pacha, doit incessamment débarquer dans le voisinage de Tunis. Des Kabaïles des environs de Bougie, appelés à la guerre sainte (djihad) contre les infidèles, accourent en grand nombre sous la conduite de leurs scheikhs.
Un Juif d'Alger arrive à Constantine, chargé, dit-on, par le gouverneur général, de traiter de la paix avec Ahmed. Le bey feint d'être disposé à accueillir ces ouvertures. Des négociations commencent et se continuent pendant plusieurs semaines. Ahmed les fait traîner à dessein en longueur, dans le double but d'attendre les renforts qui lui ont été promis, et de laisser arriver la saison qui, une première fois déjà, a été si fatale aux armes françaises. Toute la ville sait quelles sont ses intentions, et il ne laisse ignorer à personne qu'il ne traitera jamais avec les Français qu'après qu'ils aient évacué Bône.
Le 16, avant l'ouverture des négociations, les troupes d'Ahmed ont eu, dans les environs de Ghelma, un engagement sérieux avec la garnison de ce camp. On assure que leurs pertes se sont élevées à cinq cents hommes, tant tués que blessés.
Août 1837.- On annonce que le gouverneur général est arrivé d'Alger à Bône et qu'un nouveau corps expéditionnaire se rassemble.
Septembre 1837.- Les négociations ont été successivement rompues, renouées puis définitivement rompues encore. Le négociateur juif a fait, durant ce mois, de fréquents voyages de l'un à l'autre camp. Le bey s'est mis en campagne à la tête d'un corps d'environ dix mille hommes, moitié cavalerie, moitié infanterie. Il a avec lui son lieutenant Ben-Aïssa et l'envoyé de la Porte Ottomane. Le but d'Ahmed est de déloger nos troupes de la position de Medjez-el-Ahmar. En effet, nous apprenons que, pendant trois jours de suite, les 21,22 et 23, Ahmed a attaqué ce camp avec vigueur, dirigeant lui-même les efforts de ses soldats, sa garde en avant et musique en tête. Dans ces diverses actions, les Arabes ont montré une rare valeur, bravant le feu de la mousqueterie et de l'artillerie. On se battait à une demi-portée de fusil, et des Kabaïles ont été tués jusque sur les retranchements français. Cette attaque audacieuse a échoué et a coûté aux Arabes des pertes considérables. Ahmed rentre à Constantine et paraît fort démoralisé de cet échec.
30 septembre.- Le bey fait publier que le général des Chrétiens est retourné à Bône, que le choléra fait de grands ravages dans l'armée des infidèles, et qu'ils renoncent à une nouvelle expédition contre Constantine.
5 octobre.- Le bey sort de la ville avec quelques milliers de combattants, en prenant une direction opposée à celle de Bône. Il va établir son camp à trois lieues en arrière de Constantine. Son khalifa, Ben-Aïssa, prend le commandement de la place. Le bruit circule que l'armée française s'est mise en marche de Medjez-el-Ahmar le 1er octobre.
6 octobre.- Ce matin, à huit heures, les têtes de colonne de l'armée expéditionnaire ont paru sous les murs de la ville. Ben-Aïssa se multiplie avec une infatigable activité pour compléter les préparatifs de guerre et opposer une résistance opiniâtre aux Chrétiens. Femmes, enfants, vieillards, tout le monde sans exception est obligé de concourir à la défense de la place. Des corps de Kabaïles en protègent l'approche. Une exaltation sauvage s'est emparée de la population. On nous tient enfermés, mes malheureux compagnons et moi, dans un étroit réduit où nous sommes obligés de travailler jour et nuit à la confection des projectiles.
Du 7 au 10.- Privés de toute communication avec le dehors, le canon seul nous apprend la continuation des hostilités. Un temps affreux de pluie et de tempêtes dure sans interruption pendant ces trois jours. Que nos camarades doivent souffrir dans leurs bivouacs changés en mares boueuses et où ils ne peuvent prendre aucun repos!
Du 11.- Le feu contre la place a commencé le 9 et a duré une partie du 10. Les défenses de la ville sont détruites en partie. La canonnade se rapproche; la batterie de brèche ouvre son feu sur le front de Coudiat-Ali. Les Arabes opposent partout une vive résistance; leurs batteries tirent tant qu'elles peuvent et avec acharnement. Des fantassins embusqués sur le rempart ou dans les maisons attenantes à la muraille entretiennent un feu continuel à bonne portée. En même temps, des attaques journalières ont lieu contre les positions de Mansourah et de Coudiat-Ati.
Du 12.- Un parlementaire est venu hier porter aux habitants de Constantine une proclamation par laquelle le gouverneur général les engage à se soumettre. Il est parti ce matin sans avoir été maltraité, mais rapportant une réponse verbale qui annonce de la part des habitants l'intention de s'ensevelir sous les ruines de la place. La vérité est qu'ils la regardent comme imprenable. Leur confiance et leur sécurité augmentent encore au moment où ils apprennent que ce matin, vers huit heures et demie, le général Damrémont, se rendant à la tranchée pour examiner les travaux de la nuit, a été emporté par un boulet.
A cinq heures, un parlementaire est envoyé par le bey pour proposer de suspendre les opérations du siège et de renouer les négociations. Cette démarche de sa part a pour but de gagner du temps, dans l'espoir que la faim et le manque de munitions obligeront bientôt les Français à se retirer. La proposition est repoussée.
13 octobre 1837. - Le feu qui a duré toute la journée d'hier, continue encore toute la nuit à intervalles inégaux, de manière à empêcher l'ennemi de déblayer la brèche et d'y construire un retranchement intérieur. A sept heures du matin, la canonnade cesse un instant. La première colonne d'assaut, dirigée par le lieutenant-colonel Lamoricière, franchit rapidement l'espace qui la sépare de la ville et gravit la brèche qu'elle enlève sans difficulté. Mais bientôt engagée dans un labyrinthe de maisons à moitié détruites, de murs crénelés et de barricades, elle éprouve la résistance la plus acharnée. La seconde colonne suit de près la première, et malgré l'explosion d'une mine qui engloutit un grand nombre d'assaillants, la marche de nos troupes dans la ville devient plus rapide. La fusillade se rapproche de nous, et nous entendons les cris: En avant!. Nous réunissons nos efforts pour sortir de notre prison; nous parvenons à briser une première porte, puis une seconde; nous nous élançons dans la rue au cri de Vive la France! Les Arabes fuient en désordre; un grand nombre périt en cherchant à se précipiter du rempart dans la plaine.
A huit heures, le drapeau tricolore flotte sur les principaux édifices de Constantine!

Le Magasin pittoresque, avril 1838.

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