dimanche 3 juillet 2016

Le cirque Molier.

Le cirque Molier*.


"Paris a la maison de Molière, mais Paris a aussi la maison de Molier autrement dit le Cirque des amateurs.
Molier! Que de mondaines et de mondains tressaillent à ce nom qui leur rappelle non pas toujours les joies et les émotions d'une représentation sensationnelle, mais surtout, on peut l'avouer, le bonheur et la vanité de pouvoir se dire invité de ce grand amateur d'équitation, du fondateur du Cirque des amateurs.
La semaine qui suit le Grand Prix, Molier réunit en effet dans son hôtel de la rue de Bénouville tout ce que Paris compte de célébrités non seulement mondaines, mais aussi scientifiques et artistiques; les princes de la pensée et les princes du sang se montrent chez lui, les femmes du monde y coudoient les étoiles du théâtre. Molier révolutionne même l'existence de ses invités; il a l'influence nécessaire pour changer leurs habitudes, et ces snobs qui arrivent en retard se soumettent à la pénible obligation d'attendre, en grande toilette de soirée, patiemment, dans la rue, le moment où il sera permis d'entrer. 




C'est même un curieux spectacle que présente cette longue file de personnalités marquantes: les messieurs, une rose à la main, pour prendre part au concours obligatoire des roses, les dames magnifiquement chapeautées, pour le concours de chapeaux qui leur est réservé.
Le cirque n'est pas grand: aussi malgré une attente prolongée, les invités ne sont pas sûrs d'être assis; beaucoup restent dans le salon de l'hôtel qui porte le nom de Salon des refusés. Ce cirque est un simple hangar, qui a été aménagé, en 1880, afin de recevoir quelques invités pour la première représentation offerte par M. Molier; des échelles conduisaient aux balcons, aujourd'hui, il existe des escaliers. 




Néanmoins, malgré la simplicité de l'installation, le coup d’œil que présente une réception chez Molier est absolument féerique: le cirque orné de fleurs, les toilettes merveilleuses des dames parées de leurs plus beaux bijoux forment un ensemble inoubliable.

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M. Molier n'accepte que des concours d'amateurs; tous les grands noms de l'aristocratie figurent sur son programme, son orchestre compte même des juristes éminents, des économistes distingués et aussi une personnalité marquante de l'Université. Au début du Cirque des amateurs, certains journalistes étaient effrayés de voir descendre dans l'arène des gentilshommes, comme autrefois les chevaliers à Rome "pour disputer des prix indignes de leurs mains". D'autres avaient pris le parti contraire et vanté la mission sociale de cette initiative. Comme le dit lui-même M. Molier: "Je ne puis m'empêcher de manifester ma surprise d'avoir été posé par les uns en régénérateur de l'humanité, par les autres en démoralisateur d'une race", comme il ajoute: "En nous livrant à des sports tels que l'équitation, la gymnastique, la boxe et l'escrime, voire même l'acrobatie et le dressage d'animaux, nous ne pensions guère, mes camarades et moi, porter atteinte au prestige de la noblesse et à compromettre ses destinées politiques." Des gens du monde ne dédaignent pas de jouer la comédie de salon et des dames de la haute société ne croient pas déchoir en chantant dans des concerts. Louis XIV se montrait sous ses attributs de Neptune dans le ballet des "Amants magnifiques" et, sous le second Empire, une représentation à Compiègne réunissait comme interprètes les grands noms de l'aristocratie. Le prince impérial était un des acteurs; le prince de Metternich accompagnait au piano.

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Voyez-le quand il caracole,
Ce fier et hardi cavalier,
C'est le roi de la Haute-Ecole:
Honneur au directeur Molier!

Cette année, M. Molier s'est encore surpassé; il montait pour la première fois  en haute école Boston, demi-sang. Le grand succès de la soirée a été pour lui d'abord, puis pour sa prodigieuse élève, Mlle Blanche Allarty, qui fit vaincre à son cheval Régent différentes difficultés équestres, entre autres les cabrades et les sauts planés en hauteur, créations de l'artiste. Costumée en "Écuyer de Saumur" et l'orchestre jouant des airs militaires, elle donna une impression inoubliable à l'assistance.
On applaudit MM. Hallaure et Moreau dans un travail de résistance de muscles, lady Mac Léod et M. Hennissart dans une Habanera, Mme Bourgoise et Miss Maud Darling dans un numéro de voltige équestre, Mlle Arlo et M. Pradère-Miquet dans une boxing dance, le comte de la Ruelle dans son numéro de triple tandem, menant ses trois chevaux, Pirate, Claire et Viviane. M. Payssé, champion en 1908 des jeux olympiques de Londres a été merveilleux dans ses exercices de barre fixe et anneaux avec MM. Duval, Le Marc et Germot.
Le vicomte de Préaulx fut le vainqueur du concours des roses et Mlle Marcelle Yrven fut la triomphatrice du concours de chapeaux. Le jury, pour ce concours, était composé de Zina Brozia de l'Opéra, Paule Andral du Vaudeville, Georgette Lhéry de la Renaissance, Léo Renn de l'Odéon, Anie Warley du théâtre Michel, etc.
Parmi les commissaires et les écuyers, on remarquait: MM. Raoul de Fréchencourt, marquis de Bourdeille, M. Danset, comte de Chamberet, comte de Monchy, comte de la Fayette, vicomte de Richemont, de Ramel, A. Truchy. Parmi les musiciens: MM. Ancibure, de Bosredon, Du Breton, Dujon, Kalck, Girard, Granger, Maignien de Mersuay, Marchessaux, Tonnet, Vaillant, etc.

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Le talent de ces amateurs est charmant, les représentations qu'ils donnent sont très recherchées, les invitations très choisies; ils évitent précisément tout ce qui pourrait sentir l'histrionisme, et les tours de force, les exercices, les "numéros" sont admirablement bien réussis. Ces distractions valent bien l'abrutissante et méphitique vie de cercle où l'on d'absorbe dans la contemplation d'un huit ou d'un neuf abattu sur une table de baccarat, jusqu'au jour fatale du décavage...
Ces hommes du monde occupent non seulement leurs loisirs d'une façon intéressante, mais ils mettent aussi leurs talents au service de la charité. A différentes reprises, M. Molier organisa des représentations au bénéfice d’œuvres philanthropiques. on se rappelle surtout celle qu'il donna au Nouveau-Cirque**, sous la présidence de Mme la duchesse d'Uzès, née Mortemart, et qui rapporta aux pauvres de l'Hospitalité du travail plus de 50.000 francs. Une autre année, ce fut l'oeuvre de Villepinte***, qui bénéficia d'une soirée donnée à son profit. La représentation eut lieu rue Bénouville et la présidente fit la duchesse d'Uzès. Tout l'armorial de France s'était rendu chez Molier pour cette soirée, qui fut excellente pour les pauvres.
Le Cirque Molier est une manifestation sportive, il compte déjà 34 années d'existence. Le fondateur sut toujours grouper autour de lui des collaborateurs de talent et de mérite, bien qu'étant de simples amateurs, et, si cette initiative n'avait qu'un but mondain, la charité, qui ne perd jamais ses droits, eut sa large part dans le concours prêté par ces personnages de mérite. En divertissant leur prochain et en développant leurs forces physiques, ils ont aussi songé à faire le bien.

                                                                                                   Stéphen de Prétieux.

Le Magasin pittoresque, 1913.



* Nota de Célestin Mira: Figure quasi-légendaire du Paris "Fin de siècle" élégant et mondain, le Cirque Molier est fréquenté par la bonne société et voué à l'équitation. Il est fondé en 1880 par Ernest Molier, et s'arrêtera à la mort de son fondateur en 1933. - A l'ouverture de son cirque Ernest Molier rachète le décor de la Maison espagnole, ayant servi pour la Fête Paris-Murcie en faveur des inondés de Murcie à l'Hippodrome de l'Alma, ce décor espagnol vaut alors le surnom de "Cirque Molieros", à la troupe. (Source: BNF)













** Le Nouveau-cirque était situé au 251 de la rue Saint-Honoré. Initialement prévu pour offrir des spectacles nautiques, il fut inauguré le 18 novembre 1881 sous le nom "d'Arènes Nautiques", nom qu'il perdit rapidement au profit de celui de Nouveau-Cirque. Deux clowns célèbres y firent carrière, l'anglais Footit et le Français Chocolat.












*** Fondée en 1881, l'Œuvre créée par les religieuses de Marie Auxiliatrice est devenue Association de Villepinte en 1918 et a été reconnue d'utilité publique en 1920. Elle doit son nom à la ville de Villepinte, en Seine-Saint-Denis, où elle créa le premier sanatorium de France. (http://www.association-de-villepinte.com/)

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