dimanche 17 juillet 2016

Croquis pris sur les quais de Dakar.

Croquis pris sur les quais de Dakar.


C'est une coutume universelle!
Chaque peuple, suivant son génie, s'est placé sous l'invocation d'êtres qu'il considérait comme supérieur. Très et trop modestement, en Sénégambie, les anciens indigènes avaient choisis leurs patrons dans la faune locale.
Et ma foi! ce n'est pas plus bête que de s'appeler d'un nom de rocher, ce qui est le dernier cri en France, ou d'un qualificatif d'arbre, comme c'est très aristocratique au Japon. Donc, au Sénégal, chaque famille avait son animal tutélaire dont elle se disait parente. On trouve encore des cousins du lion, du serpent, du chien, du rat, etc., etc.
Les grands seigneurs sont les alliés des animaux les plus redoutables et, bien entendu, ils se feraient un scrupule d'aller faire du mal aux leurs, ce n'est pas faute de courage, car les Sénégalais sont très courageux, mais c'est l'usage.
Les malheureux, comme on le pense bien, n'ont, comme choix de cousinage, que de pauvres bêtes dont personne n'a voulu. Ils seront alors les proches de la puce, par exemple, et il leur sera défendu de tuer ces animaux tandis qu'ils pourront attaquer la panthère et les autres fauves féroces.
Présentons quelques types cueillis au bout du crayon de notre album, au hasard des rencontres, pendant nos voyages en Sénégambie. D'abord, voici Boubou-Golo, cousin du singe, matelot sur les cotres qui vont de Dakar à Gorée. 




Cette traversée n'est pas longue, mais, à certaines époques, la brise souffle avec assez de force pour qu'un pareil petit voyage ne soit pas sans dangers, d'autant plus que les requins ne ménageraient pas les maladroits ou les infortunés qui chavireraient. Heureusement que les accidents sont très rares à cause de l'habileté professionnelle des marins noirs.
Boubou-Golo est un modeste batelier; il porte un bonnet de coton noir, une veste bleue fanée et une culotte de zouave en calicot sale laissant voir ses jambes maigres. On ne peut pas trop lui contester ses prétentions généalogiques à ce Boubou-Golo.
Nous présentons ensuite un gentleman plus prétentieux; c'est Sague-Guillène, qui se dit cousin de la baleine! 



Sague-Guillène, notable propriétaire
à Dakar, cousin de la baleine.

C'est donc un personnage; aussi le compte-t-on dans les "proprios" de Dakar. Son bonnet est de calicot blanc; son cou est orné d'amulettes en cuir maroquiné; il est couvert du boubou national blanc, sorte de chemise facile à confectionner, puisqu'elle consiste en une pièce d'étoffe repliée en deux où l'on pratique un orifice pour le passage de la tête et qu'on termine en cousant les deux morceaux de l'étoffe repliée.
On capèle facilement ce costume rudimentaire; on le complète avec un pagne teint à l'indigo qui serre les reins; on n'oublie pas de chausser de superbes pantoufles en marocain jaune. Tenant un stick dans sa dextre et un chapelet arabe dans la senestre, on peut aller avec cet accoutrement se promener partout, comme le fait Sague-Guillène, le cousin de la baleine. Quelquefois, cependant le brillant Sénégalais a l'air triste:
- Qu'as-tu donc qui te chagrine, lui demande-t-on, et il répond:
- Voilà le jour de l'An passé et mon cousin n'est pas venu nous rendre visite!
Puis nous trouvons des gens qui ne sont cousins de personne! ce sont les griots; ils forment une secte à part, méprisée des autres noirs; ce sont cependant les artistes musiciens et les poètes du pays! Ils s'habillent comme ils peuvent avec de vieux boubous malpropres et ils font penser à ce mot d'Alexandre Dumas fils à un auteur qui avait toujours des chemises douteuses:
- Dites donc, lui dit-il un soir, mon cher Henri, vous devez avoir beaucoup de chemises sales chez vous?
- Mais oui, répondit l'autre, bon enfant, mais pourquoi me demandez-vous cela?
- Pour rien, mon cher, mais je m'en doutais en vous voyant mettre une chaque jour!
Comme voici venir l'époque des bals, donnons le portrait d'une danseuse dans un tamtam, on appelle ainsi les réunions dansantes, bonnet vert d'eau, petit boubou blanc presque indigo à raies blanches.




Ceux qui correspondent là-bas à nos anglomanes français se donnent le chic maure. Parents quelquefois tout au plus du timide cloporte, ils rentrent dans la catégorie de ceux qui craignent le soleil, au moins en apparence. Ce sont souvent des marabouts-cognac. On appelle ainsi, dans le pays, les ivrognes.
Nous entrons en plein dans la série de ceux qui craignent le soleil. (Ah non! tais-toi!)
Voici Boubou Anta; bonnet de calicot rouge; trompette noire, naturellement; manteau de soie verte; justaucorps jaune d'or, bottes en marocain rouge; aux doigts, quelques bagues en argent de gros calibre.




A la main, le parapluie qui indique la délicatesse de son épiderme.
Il est parent du caïman!
Il n'est pas mauvais de présenter à côté de lui sa diguen et son gourgui, soit sa femme et son enfant.




Les mères nourrissent elles-mêmes leurs petits au sein, sans avoir besoin de les changer de la position de route que reproduit le dessin ci-dessus. (Quels estomacs!!)
Le costume du gourgui est: zéro; celui de la femme; une ceinture de perles (tenue de soirée) que couvre un pagne. Sur les épaules un boubou blanc assez court, et sur la tête, une étoffe blanche enroulée en turban cylindrique. Les cheveux sont en petites nattes terminées parfois par des perles.

Le petit Journal militaire, maritime, colonial, supplément illustré paraissant toutes les semaines, 20 mai 1904.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire