mercredi 20 juillet 2016

Château de Créqui.

Château de Créqui.

Nous l'avons déjà dit, les monuments des vieux âges s'écroulent, tombent en ruines; chaque année enlève une pierre à leur donjon. Tous ces manoirs féodaux qui peuplaient au moyen âge le territoire de France, s'effacent peu à peu; le temps les emporte dans ses ravages, et c'est faire acte de patriotisme que de reproduire à la hâte les fragments encore debout.
L'ancienne province de Picardie est riche d'antiquités; ici, là, sont jetées de pieuses cathédrales, avec leurs tours massives, leurs ogives dentelées, leur vaste porche où le baron s'agenouillait avant de pénétrer dans le sanctuaire; et l'on peut citer comme modèles l'église métropolitaine d'Amiens, celle de Béthune et Notre-Dame de Saint-Omer avec sa grosse tour aussi large que l'église elle-même. Plus loin, ce sont d'immenses monastères, de vastes abbayes, avec leurs flèches élancées dans les airs où retentissait la cloche qui appelait le pauvre serf à la prière, et leurs cours nombreuses où les religieux, par des distributions quotidiennes, soulageaient la misère; la Picardie conserve les restes des abbayes de Saint-Bertin, de Saint-Waast bâtie au milieu d'Arras, de Saint-Eloi aux belles tours, et de Saint-Sauve dans la cité de Montreuil. 
C'est près de la ville de Montreuil (Pas-de-Calais) qu'on remarque les ruines du château de Créqui, antique résidence des seigneurs de ce nom; elles se composent de quatre tours délabrées et de quelques pans de muraille qui bientôt disparaîtront sans laisser traces. 




Sur le sommet des tours du manoir de Créqui le sire châtelain hissait son glorieux gonfanon, illustre dès le XIIe siècle, et sur lequel était inscrit, en grossiers caractères, le cri de guerre de sa famille: A Créqui, Créqui le grand baron, nul ne s'y frotte.*
Et de fait, qui s'y frottait était bien sûr de ne pas s'en retourner sain et sauf, car tous les sires de Créqui, bardés de fer, frappaient d'estoc et de taille; nul ennemi n'ignorait leur vaillantise et les belles prouesses héréditaires dans cette vielle race.
Aussi, lorsqu'en 1429, Philippe le Bon, duc de Bourgogne, institua l'ordre de la Toison d'Or, Jean de Créqui, seigneur de Canaples, fut un des premiers chevaliers; ce même Jean de Créqui défendit avec l'évêque de Thérouanne, l'Isle-Adam et plusieurs autres seigneurs réunis aux Bourguignons, la ville de Paris, contre l'armée royale conduite par Jeanne d'Arc; l'année suivante, Créqui se trouva au siège de Compiègne où l'héroïne fut faite prisonnière; il fut pris lui-même à la bataille de Germigny, et mourut quelques années plus tard, regretté de son suzerain, Charles le Téméraire, qui le regardait comme un des plus habiles chefs de son armée.
Antoine de Créqui, fils du précédent, ne trouva jamais entreprise trop hasardeuse, comme l'écrit Brantôme; il commandait l'artillerie en 1512, à la bataille de Ravennes. Plus tard, enfermé avec deux mille archers dans la ville de Thérouanne, il arrêta longtemps tous les efforts de Henri VIII, roi d'Angleterre, et de l'empereur Maximilien, qui commandaient une armée de plus de cinquante mille hommes. Créqui manquait de vivres, plusieurs brèches étaient ouvertes, et il refusait de capituler. Il fallut pourtant se soumettre. La conquête de Thérouanne avait été si chèrement achetée par les deux monarques, que, désespérant de ne pouvoir garder cette place, ils prirent le parti de la détruire.
Créqui se distingua à la bataille de Marignan. Tandis que les armes de François 1er éprouvaient en Italie de funestes revers, le nord de la France était menacé par les Anglais et les Espagnols. Créqui accourt en Picardie, sa province natale, et met en fuite l'ennemi. 
Il mourut d'une manière bien pitoyable, s'il faut en croire son biographe. Les Espagnols voulaient surprendre Hesdin; Antoine de Créqui était en son château, peu éloigné de cette ville; il le quitte aussitôt, et vient se renfermer dans la forteresse d'Hesdin, le jour même où elle devait être livrée par trahison; il fait placer des pétards et autres pièces d'artifice au-dessous et de chaque côté de la porte, et au moment où les Espagnols traversent le pont-levis, l'explosion subite jette la terreur au milieu d'eux, tous prennent la fuite; mais le sire de Créqui est atteint au visage par une fusée qui le fait incontinent trépasser.
On remarque dans les annales de France deux maréchaux, ducs et pairs, du nom de Créqui; tous deux furent de braves militaires, mais sans aucune de ces qualités qui constituent l'homme supérieur dans les batailles. Toutefois, François de Créqui se montra habile en plusieurs circonstances:
"Il mourut, dit Voltaire, avec la réputation d'un homme qui devait remplacer le maréchal de Turenne; " ce qui nous paraît un peu exagéré.
Le duc de Saint-Simon place Créqui au nombre des familiers de Louis XIV, et trace son portrait en peu de mots:
" Homme dont la vie était tout occupée de plaisirs, de bonne chère et du plus gros jeu."
Son fils fut le dernier seigneur de ce nom; il mourut sans postérité. Toute sa vie s'était écoulée dans le manoir de Créqui, au milieu d'une société brillante qui animait cette vieille demeure féodale, aujourd'hui si triste, si délaissée.
Madame de Sévigné ne se lasse pas d'admirer les grâces, l'esprit, la bonne mine du dernier des Créqui; lorsqu'il paraissait à Versailles, toutes les dames de la cour se l'arrachaient, tant le gentil cavalier avait d'excellentes manières! ce fut à ce point, que, duchesses et marquises savaient par cœur le couplet suivant qui nous a été conservé par madame de Sévigné:

Si j'avais la vivacité
Qui fait briller Coulanges, 
Si j'avais aussi la beauté
Qui fit régner Fontanges,
Ou si j'étais, comme Conti
Des grâces le modèle,
Tout cela serait pour Créqui
Dût-il m'être infidèle.

                                                                                                                              A. Mazuy.

Le Magasin Universel, août 1837.

* Nota de Célestin Mira.



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