dimanche 22 mai 2016

Les palanquins.

Les palanquins.


Les voitures hindoues ne sont pas suspendues, aussi leur usage est-il réservé aux classes inférieures de la société; tous les gens d'une condition aisée préfèrent voyager en palky (palanquin). comme on le sait, le palanquin est une sorte de litière portée par des hommes, et dont l'usage est peut-être aussi ancien que la civilisation hindoue elle-même.
Il y a diverses formes de palanquins; la plus ancienne est le tchaupal: c'est le type d'après lequel ont été faits tous les autres palanquins, avec diverses modifications; aussi les Hindous l'emploient-ils, préférablement à tous les autres, dans toutes les cérémonies, dans les mariages, dans les processions, etc. C'est simplement un lit ou sofa très léger, suspendu à un gros bambou qui pose sur les épaules des porteurs. Comme dans cette sorte de palanquin, on est exposé à toute l'ardeur du soleil, on les fait escorter d'un domestique qui tient au-dessus un chata (parasol); d'autres tiennent des chasse-mouches et le houka, longue pipe.
Le d'jehalledar est une variété du t'chaûpal; il n'en diffère qu'en ce qu'il est recouvert d'étoffes précieuses, brodées d'or ou de soie. C'est le palanquin des rajahs et des seigneurs.





Le bambou est revêtu de belles étoffes; les deux extrémités en sont sculptées, et représentent la tête et la queue d'un tigre ou de quelque autre animal du pays, tandis que les pieds du lit en représentent les griffes.
Le mohhafa est le palanquin des femmes riches et haute caste; il est fait selon le même système que les deux premiers. Les femmes sont assises dans ces palanquins comme dans leur chambre; elles ont le dos appuyé contre un grand coussin rond, et les genoux, les pieds et les coudes sur de petits coussins plats. Le mohhafa est porté par quatre domestiques, et suivi de plusieurs autres, qui sont plus ou moins nombreux selon le rang de la femme. Cependant, celles qui se conforment strictement aux préceptes de leur religion n'ont auprès d'elles que quatre porteurs, quelle que soit leur fortune.
Le d'houly s'éloigne des principes des précédents; c'est un brancard de bambous entre lesquels sont disposés des sangles. Deux hommes suffisent pour le porter; mais d'ordinaire, il y en a trois, dont l'un marche derrière pour relever celui qui est fatigué. Pour éviter les faux-pas, ils s'appuient sur un long bâton. Ils marchent avec une vitesse extraordinaire, et cependant avec de telles précautions, qu'ils ne font éprouver aucun mouvement à celui qui est dans le palanquin; aussi se sert-on du d'houly pour transporter les malades sur les bords du Gange.





Le mejanah, dont notre second dessin offre une variété, est fait de pièces de bois charpenté, liées par du fer et recouvertes de cuir. Il n'est pas regardé comme un palanquin de luxe; souvent même on ne le peint pas; cependant il y en a dont les formes sont très élégantes. Dans l'intérieur, il y a un lit et des coussins en coton blanc. Quoique d'invention indigène, le mejanah n'est plus guère usité que par ceux des Hindous qui sont le plus attachés aux anciens usages, comme les banians ou banquiers et les sercârs ou commissionnaires.
Le boutcha est aussi un palanquin d'invention hindoue; mais il est d'une forme très différente de ceux dont nous venons de parler. Il ressemble à nos chaises à porteurs; seulement il n'y a qu'un seul bambou, tandis que nos chaises à porteurs ont toujours deux brancards. Le boutcha est particulièrement utilisé par les Portugais. Ces Portugais, qui descendent de ceux qui s'établirent dans l'Inde au seizième siècle, sont devenus presque aussi noirs que les Cafres. Ils sont très répandus dans l'Inde mais ils y sont peu considérés.
Les Européens établis dans l'Inde ne se sont pas contentés des palanquins hindous: à Calcutta, à Madras, à Bombey, à Pondichery, on ne rencontre que les longs-palanquins: ce sont des palanquins qui ont exactement la forme d'une grande berline non arrondie par le bas; ils ont des fenêtres à glace et à jalousies; les portières sont remplacées par des rideaux; au-dessus des fenêtres, les nobles font peindre leurs armoiries comme sur les carrosses; enfin, ils sont garnis de quatre lanternes; mais, comme dans les palanquins hindous, il n'y a qu'un seul bambou pour les porteurs, qui sont d'ordinaire au nombre de quatre.
Les dames européennes se servent aussi d'une sorte de chaise-palanquin qui ressemble assez au boutcha, mais qui est à la fois moins légère pour le porteur et plus commode pour le voyageur. On en fabrique beaucoup à Calcutta. Il y a des Européens qui ont gagné des sommes énormes à fabriquer des longs-palanquins; le luxe de ces derniers, entre autres, a été porté à un tel point par les Anglais, qu'on en cite qui ont coûté jusqu'à 30.000 francs, tandis que le prix ordinaire n'est que de quelques centaines de francs.
On trouve des porteurs de palanquins dans plusieurs des castes de l'Inde; il y en a beaucoup même qui appartiennent à la caste des Ouriahs, l'une des branches de la plus noble de toutes celles des Brahmanes. Les porteurs Ouriahs sont plus proprement vêtus que les autres, et ils préfèrent le service des Européens à celui des Hindous; mais ils sont beaucoup moins commode avec les autres porteurs, à cause des mille pratiques de dévotion qu'ils opposent aux ordres qu'on leur donne, soit par caprice, soit par craindre de perdre leur caste. C'est ainsi qu'ils nettoient volontiers les vêtements, et même les chaussures, mais pour rien au monde ils ne consentiraient à servir un verre d'eau. Ils donnent de la lumière pourvu que ce soit avec de l'huile ou de la cire; car ils n'allumeraient pas une chandelle. Ils n'éteignent jamais un flambeau qu'en agitant l'air avec la main ou avec leur vêtement; ils seraient bannis de leur caste, s'ils leur arrivait de se servir pour cela de leur souffle.
On trouve aussi des porteurs parmi les bergers, les Soudrahs et même les Pariahs. Les pêcheurs de la caste Telaiahs se font porteurs de palanquins, lorsque les basses eaux les empêchent de pêcher. A la différence des autres Hindous, ceux-là sont d'une activité extrême; en sortant avec le palanquin, ils emportent de l'ouvrage, et partout où ils s'arrêtent ils tordent du fil et font des filets qui se trouvent tout prêts lorsque revient la saison de la pêche.
Les Douliahs, porteurs de la caste des Bengalis, sont employés principalement par les Babous (gens riches), les Banyans et les Sercârs. Ils sont moins chers que les autres; mais comme ils se nourrissent mal, ils sont généralement plus faibles. C'est la dernière classe des porteurs; on les met dans la caste méprisés des Pariahs s'il leur arrive de boire du vin ou des liqueurs fortes.
Les Telinguas, autre peuple du Nord, forment la classe des porteurs la plus honnête, la plus agile et la plus fidèle. Ils font de 30 à 40 milles (10 ou 15 lieues) de 6 heures du matin à six heures du soir.
Un palanquin plein de provisions de bouche et des effets des voyageurs pèse de trois à quatre cents livres. Pour un long voyage on prend ordinairement douze porteurs, et un treizième qui porte des vases de terre pour la cuisson des vivres et des torches de résine pour éclairer la marche. Les porteurs ne sont jamais que six à la fois, les six autres suivent le palanquin; ils se relaient d'heure en heure; de plus ils changent de côté avec une promptitude étonnante, et, tout en courant, ils ne cessent de parler et de chanter; le premier porteur fait entendre des sons cadencés qui règlent le pas des autres.
On peut voyager ainsi avec les mêmes porteurs pendant des mois entiers; cependant, comme on l'a dit plus haut, on trouve des relais de porteurs dans tous les villages. Pour les logs voyages, on donne à chaque porteur 10 roupies (25 fr.) par mois. Ce métier est très pénible, comme on peut facilement le croire, aussi les hommes sont-ils bientôt épuisés; les Tellinguas ne le font que pendant quelques années, pour amasser de quoi se marier chez eux, comme font en Europe les Auvergnats et les Savoyards. Dans les villes, les particuliers aisés en ont de six à huit à l'année pour se promener et aller à leurs affaires. On donne à ceux-là environ 5 roupies (12 fr.) par mois.

Le Magasin pittoresque, juillet 1838.

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