mercredi 30 mars 2016

La gare du Nord.

La gare du Nord.


La nouvelle gare du Nord est de beaucoup le plus vaste édifice de ce genre que possède aujourd'hui Paris. L'espace étroit où elle se développe la grandit encore. On ne la voit pas de loin, comme sa voisine la gare de l'Est; elle n'embellit point la perspective d'une immense voie. Mais quand on suit d'orient en occident le boulevard Magenta, la rue oblique de Saint-Quentin en laisse apercevoir l'extrême droite, et il faut marcher quelques minutes encore avant de se trouver en face du fronton central. Une rue courte et d'une largeur insuffisante la sépare du boulevard. La façade, qui occupe tout le fond de la place de Roubaix, est plus longue à elle toute seule que la grande nef et le chœur de Notre-Dame; elle ne mesure pas moins de 150 mètres. A droite et à gauche s'étendent de grandes cours bordés par des bâtiments du service et de l'administration.




Le plan de l'édifice présente un quadrilatère d'environ 165 mètres sur 190, donnant une superficie de 32.000 mètres. Il comporte cinq parties principales, qui sont directement exprimées dans la façade: au milieu, la grande halle où arrivent et d'où partent les trains; à gauche, les salles de départ, puis la salle des Pas-Perdus; à droite, les salles d'arrivée et les remises couvertes.
Mais avant d'apprécier les dispositions intérieures, il convient de décrire ce que représente notre gravure. 
Le grand mérite de la décoration extérieure est ici d'indiquer tout d'abord la destination de l'édifice. Quelque opinion qu'on en puisse avoir sous le rapport de l'art et de la beauté des lignes, il faut rendre à M. Hittorf cette justice, qu'il a bien compris cette loi fondamentale de l'architecture: l'appropriation d'un bâtiment à un usage déterminé. Il a voulu faire une gare, et il en a fait une: c'est là l'idée et le caractère dominant de son oeuvre, ce que l’œil saisit du premier coup.
Il est impossible de ne pas deviner, derrière le grand fronton, la halle qu'il termine et qu'il éclaire. A ses extrémités se dessinent les entablements de doubles pilastres ioniques extérieurs aux pentes qu'ils appuient. Deux autres couples de pilastres plus élevés les soutiennent et les interrompent, de manière à en masquer la longueur inusitée. Cette disposition est d'ailleurs justifiée autrement que par la nécessité; elle aide à marquer davantage les trois divisions de la halle, la partie destinée aux rails, et les larges trottoirs destinés aux voyageurs et aux bagages. Un arc central d'un très-grand rayon, et deux arcs latéraux de moindre courbure, éclairent la nef et les bas côtés. Au-dessous des vitrages, soutenus et divisés par de forts meneaux de pierre, règne un clair-étage décoré de dix statues de villes; huit autres statues couronnent les huit pilastres ioniques, et un groupe colossal s'élève à l'angle du fronton. Quatre baies cintrées séparent les pilastres accouplés, et deux grands médaillons rachètent la différence de hauteur qui existe forcément entre les couples de pilastres médians et deux où s'arrêtent les pentes du comble.
Aux extrémités de la façade, sont placés deux pavillons dont les frontons, d'une forme moins singulière, s'appuient aussi sur de grands pilastres, mais en recouvrent du moins les entablements. Ils sont percés d'un arc égal en dimension aux arcs latéraux du milieu, et divisés par trois entre-colonnements. Leurs trois angles sont surmontés de trois gros mascarons; deux statues décorent leur clair-étage. Ces pavillons sont reliés au fronton central par deux galeries.
Les arcs et toute la façade sont subdivisés, au rez-de-chaussée, par de nombreuses ouvertures; et pour en faciliter l'accès, les piliers formant point d'appui se présentent arrondis en colonnes engagées. Sept entre-colonnements conduisent, au rez de chaussée, aux salles de départs et d'arrivée. Au-dessus règne un étage percé d'arcades, divisé par des colonnes et destinés aux services administratifs.
La façade latérale se lie au pavillon de gauche; elle se présente comme un vaste portique formé par des pilastres de la même ordonnance, mais plus simples que les colonnes de la façade principale, et par deux larges entrées à arcades. Elle se développe le long d'une cour en face des bâtiments d'administration, qui méritent d'être regardés. Nous avons compté, dans cet hôtel gigantesque, quatre étages, trois pavillons, six grandes portes Louis XV ornées, deux cent dix fenêtres de face, dont seize mansardées. L'aspect en est monumental sans être trop sévère.
En entrant dans la salle des Pas-Perdus, on est frappé de sa longueur, qui la rend étroite. Elle ne doit pas mesurer moins de 80 mètres sur 9 environ. Ses vingt-six travées, auxquelles correspondent vingt-six larges fenêtres contiennent les salles d'attente, les bureaux pour la distribution des billets, les correspondances, les renseignements, et des bibliothèques où nous avons en vain espéré rencontrer quelque notice sur la Gare.
Au-dessus des bureaux, de grandes baies carrées, à vingt carreaux chaque, laissent voir les cintres qui soutiennent les murs de la halle. Au fond de la galerie est une horloge, et derrière, l'attirail de la petite vitesse. Dans les coins, on entrevoit d'étroits escaliers tournants; le péristyle de l'entrée méridionale est soutenu par plusieurs colonnes cannelées sur grands piédestaux polygonaux à hauteur d'homme. Tous les pilastre ont des bases de même dimension, à deux ressauts, mais dont la faible saillie ne dépasse guère l'épaisseur d'une plinthe ordinaire. Toutes les surfaces sont sobres, sans ornements, sans cannelures. Les plafonds, de fer, soutenus par des poutres transversales, saillantes, s'appuient sur de grandes consoles appliquées à une corniche plate et effacée. On ne voit que deux couleurs, le blanc de la pierre et le sang-de-bœuf des peintures.
Au mur de la galerie qui circule derrière la grande façade, sont accolés les bureaux pour le service de la banlieue. Une vilaine cloison coupe cette galerie en deux et sépare le côté des départs du côté des arrivées.
Un mot sur la halle, et notre description est terminée: elle a une hauteur de 70 mètres, presque quadruple de celle de la rue de la Paix. Son immense et unique toiture vitrée, dont l'angle est indiqué par le fronton central, s'appuie sur plusieurs rangées de colonne en fonte. C'est le véritable temple de la vapeur.

Le Magasin pittoresque, mars 1866.

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