mardi 9 février 2016

La Roche-Lambert et Saint-Paulien en Velay.

La Roche-Lambert et Saint-Paulien en Velay.



" Le château de la Roche est bizarrement incrusté dans l'excavation d'une muraille de basalte de 500 pieds d'élévation. La base de cette muraille forme, avec son vis-à-vis de rochers identiques, une étroite et sinueuse vallée où, à travers de charmantes prairies ombragées de saules et de noyers, serpente et bondit en cascatelles impétueuses un torrent inoffensif. Le chemin qui conduit chez nous passe sur le versant qui nous fait face, lequel se relève presque aussitôt et nous enferme dans un horizon de bois de pins extrêmement triste et borné.
"C'est donc un nid que le château de la Roche, un vrai nid de troglodytes, d'autant plus que tout le flanc du rocher, dont nous occupons le plus large enfoncement, est grossièrement creusé de grottes et de chambres irrégulières, que la tradition attribue aux anciens hommes sauvages (c'est le mot très-juste dont se servent nos paysans) et que les antiquaires n'hésitent pas à classer parmi ces demeures des peuples primitifs, que l'on rencontre à chaque pas sur certaines parties du sol de la France.
"Le petit manoir est, quant à l'extérieur, un vrai bijou d'architecture, assez large, mais si peu profond que la distribution en est fort incommode. Tout bâti en laves fauves du pays, il ne ressemble pas mal, vu de l'autre côté du ravin, à un ouvrage découpé en liège, surtout à cause de son peu d'épaisseur qui le rend invraisemblable. A droite et à gauche, le rocher revient le saisir de si près, qu'il n'y a, faute d'espace aplani, ni cour, ni jardin, ni dépendances adjacentes. Les caves et les celliers sont installés dans les grottes celtiques dont j'ai parlé. Les écuries, les remises et la ferme sont une série de maisonnettes échelonnés sur les étages naturels du ravin, à quelque distance du manoir." (Jean de la Roche).




Notre dessin suffit pour compléter cette vive description et la faire comprendre. Le plus grand éloge qu'on puisse faire du château de la Roche-Lambert, c'est que l'illustre écrivain n'ait point songé à l'embellir: il pouvait l'inventer, il l'a seulement restauré quelque peu. Aujourd'hui, les murs d'enceinte et les tours à toits pyramidaux tombent presque en ruine; Jean de la Roche n'est plus là. Le lierre couronne de ses festons naturels la porte et les deux fenêtres d'un logis disparu; et, tout à côté, une poterne dresse encore au-dessus de son anse de panier et de ses montants l'accolade empanachée et les grêles contreforts aux pignons flamboyants. De la nature ou de l'art lequel a le plus de grâce? La fantaisie du lierre, ou les feuillages symétriques du style fleuri? On ne sait; dans les ruines, tout se fond, et les contrastes aident à l'harmonie. Ce que j'aime surtout ici, c'est la tourelle octogone, coiffée en pointe, cheminée sur l'oreille, et des yeux tout autour d'un front qui surplombe. Ces yeux bizarres sont des mâchicoulis qui pleuraient le plomb fondu et la poix bouillante; aujourd'hui les hiboux y font leur séjour.
En arrière, sur la crête de basalte où le château s'adosse, le jardin de la châtelaine livrait au vent les grosses têtes de ses noyers trapus, cramponnés à la terre. Un pont, qui, je pense, existe encore, unissait le dernier étage au somment des rochers.
A l'intérieur, il y a une cheminée; quelques peintures, deux portraits représentant le cardinal de Lorraine et le baron des Adrets, sur des briques d'origine romaine; enfin, un petit nombre de meubles antérieurs à la renaissance ou du même âge environ que le logis. L'époque où le château fut construit est facile à deviner, à quelques années près. Tandis que la tour d'angle et les mâchicoulis de gauche semblent dater  du quinzième siècle, et que certains ornements appartiennent encore au gothique, la porte d'entrée et les fenêtres, non moins que l'ordonnance générale des bâtiments de droite, indiquent déjà la renaissance. Cette vieille demeure fut donc au moins remise à neuf et agrandie au seizième siècle.
La famille de la Roche-Lambert est fort ancienne, puisqu'elle a été maintenue en 1482 et 1667. Elle porte d'argent au chevron d'azur, au chef de gueules. Il ne semble pas que son illustration ait égalé sa noblesse; nous ne connaissons qu'un marquis de la Roche-Lambert, capitaine dans l'armée de Condé en 1792.
Le château est situé sur la rive gauche de la Borne occidentale, à une demi-lieue sud-ouest de Saint-Paulien, au-dessus de la route d'Allègre et du pont de Bourbouillon. Le pays de Saint-Paulien et de la Roche est plein de débris antiques; un pont construit sur la Borne, il y a une quinzaine d'années, remplace une passerelle romaine dont une pierre portant inscription est encastrée dans l'arche moderne. C'est là que passait une grande voie, via Bolena, ou Bovena.
"Le grand nombre de fragments antiques que l'on découvre tous les jours dans le bourg de Saint-Paulien et dans ses environs, annoncent dans ce lieu l'existence d'une cité romaine. On croit avec beaucoup de vraisemblance que c'est l'emplacement de Ruessio, l'antique cité des Vellaviens. Une inscription du troisième siècle, dont la découverte est due à M. Mangon-Delalande, met ce fait à peu près hors de doute. On la voit encastrée dans un mur bâti sur les fondements de l'ancienne église Notre-Dame.
"Les champs voisins du bourg sont remplis de tuiles romaines, de fragments de poterie; çà et là, le soc de la charrue heurte des tronçons de colonnes ou des substructions recouvertes de terre. Tout indique une ville considérable. L'église de Saint-Paulien a été presque entièrement défigurée par des réparations très-modernes, et à l'intérieur surtout, elle a perdu tout son caractère... Les voûtes sont modernes, à l'exception de celle du transept, dont le cintre en berceau me paraît appartenir à la première construction... Les absides, qui peut-être, au reste, n'appartiennent pas à la construction primitive, ne sont pas antérieures à la fin du onzième siècle; mais la partie inférieure de la façade et des murs latéraux me paraît beaucoup plus ancienne. On trouve à l'extérieur des murs quelques fragments antiques confondus dans l'appareil.
"Je ne dois pas oublier un monument fort remarquable de Saint-Paulien. C'est un énorme bloc de grès blanc, placé aujourd'hui sur la place du bourg, en face de l'église; il est carré, haut de 3 pieds et large de plus de 5. La face supérieure est taillée comme une table, et le bas évidé de manière à former quatre arceaux reposant sur autant de piliers... On rapporte que cette espèce de table provient d'une ancienne église du quatrième siècle, et qu'elle aurait servi d'autel à saint Paulien, sixième évêque du Velay... Les paysans du voisinage l'appellent la pierre à tuer les bœufs, et ce nom singulier ferait croire qu'avant d'être placée dans une église chrétienne elle aurait servi à des sacrifices païens. Sa forme ne dément pas cette origine antique..." (Notes d'un Voyage en Auvergne, par Prosper Mérimée, Paris, 1838.)
Les auteurs de Gallia christiana (t. II, p. 685) voient dans Saint-Paulien le premier siège des évêques; opinion qui s'accorde aisément avec tous les témoignages qui démontrent l'antiquité et la grandeur déchue de ce bourg obscur.

Le Magasin pittoresque, novembre 1866.

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