mercredi 10 février 2016

La mi-carême.

La mi-carême.

Dans un temps encore peu éloigné, les bals et festins se donnaient particulièrement de la Noël au Carnaval inclusivement, entre l'Avent et le Carême: selon les observances religieuses, le mercredi des cendres tout était fini, et l'on ne se mettait que très timidement en liesse que le jour de la Mi-carême. Pâques apportant les beaux jours et les mariages, il y avait alors un petit regain de plaisirs, la queue des fêtes comme on dirait aujourd'hui, et les réjouissances finissaient à Paris quand la season commençait à Londres.
Aujourd'hui nous avons changé tout cela. La saison française, pour le grand monde au moins, et le petit monde suit le grand de bien près, commence au retour de Nice et finit au départ pour la mer, comme qui dirait entre le Carnaval et le grand-Prix.
Au carême on y regarde peu. Cependant le jour de la mi-carême est resté un vrai jour de réjouissance, c'est peut-être le moment de l'année où l'on donne le plus de fêtes et particulièrement de bals travestis.
M. Sahib, l'habile artiste, avec l'esprit d'observation qui le caractérise, nous fait faire une promenade partout où l'on reçoit, partout où l'on danse. Le monde grave où le diplomate se promène posément, où les copurchics et les blasés du high-life ornent l'embrasure des portes. Le monde municipal, moins décoratif, mais plus pittoresque. Le monde militaire où l'on recrute le plus d'intrépides danseurs. Le monde bourgeois, où s'essayent les jeunes danseurs d'occasion. Le monde domestique stylé à la façon des maîtres de maison. Enfin le monde fantastique des bals de l'Opéra et le monde échevelé qui se recrute des derniers rapins faisant danser les mannequins de leur atelier.




L'humoristique composition de M. Gorguet nous transporte en plein boulevard, durant la journée de la mi-carême, où, malgré les doléances des gens moroses qui déclarent qu'on ne s'amuse plus, que la vieille gaieté française est à jamais défunte, on voit chaque année défiler bon nombre de gais compères affublés d'oripeaux extravagants, et fêtant, en dépit du temps, souvent peu propice à leurs ébats, la dernière journée du carnaval. C'est d'une part toujours la même plainte et de l'autre toujours le même entrain. Ceux qui déclarent la joie disparu ont vieilli et ne s'amusent plus, voilà tout; mais fort heureusement de plus jeunes sont venus qui ne veulent pas laisser éteindre le rire, et qui, secouant à tout de bras les grelots de la folie, viennent nous prouver que la bonne humeur est encore de ce monde et que le carnaval est encore assez bien portant, en dépit de ceux qui le prétendent enterré
N'est-il pas très divertissant ce groupe pris sur le vif par notre dessinateur, et n'en avons-nous pas constater la pittoresque exactitude en longeant le boulevard, plus encombré que jamais à la mi-carême.

Le Petit Moniteur illustré, dimanche 16 mars 1890.

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