mardi 26 janvier 2016

La vieille servante.

La vieille servante.

La vieille servante est là, toujours active, sachant faire double besogne et la faire avec soin. En ce moment, vous la voyez à la fois occupée à un ouvrage de couture et à la surveillance des enfants de son maître. 



La vieille servante a gardé les traditions du temps d'autrefois, de ce temps où l'on avait encore le respect de la hiérarchie, de ce temps où les classes, bien nettement séparées, avaient la sagesse de ne pas sortir de leurs limites respectives, de ce temps où la société n'était pas débordée et envahie par toute une armée de déclassés haineux. Car c'est bien le malheur d'aujourd'hui, personne n'est plus à sa place ou personne ne veut plus y rester.
Beaucoup de bons esprits ont cherché à refaire artificiellement cette hiérarchie, si nécessaire à la vie d'un grand peuple. Tous ont échoué. Cependant, il convient d'espérer. Ce que les plans des politiques n'ont pu réaliser, la providence de Dieu tend à le faire.
On a dit souvent que c'était la Révolution qui avait détruit le respect de la hiérarchie en France. Evidemment, les fausses doctrines de la Révolution n'ont pas peu contribué à jeter la confusion dans les idées et à troubler l'esprit social. Mais il est une autre cause sur laquelle on n'a pas assez insisté.
Durant les cinquante premières années de ce siècle, les classes dirigeantes ont abandonné les campagnes pour la ville. Au lieu de conserver ou de rasseoir son influence par la propriété agricole, l'aristocratie de la noblesse et de la fortune vendait la terre pour acheter de la rente, quittait les travaux sains de la campagne pour la vie fiévreuse ou inutile de la ville. Heureusement pour cette aristocratie qui allait perdre, en même temps que le respect qui s'attache à la possession du sol, l'estime qu'on accorde seulement aux travailleurs, Dieu permit que les partis politiques ne lui fussent point favorables. Elle abandonna les villes et vint, désespérée, se réfugier dans les campagnes. Et voilà que justement ce qui paraissait être sa perte devient et son salut et l'avenir du pays. De tous côtés se sont reconstitués de grands domaines territoriaux, dont les tenanciers, nombreux, ont repris les habitudes d'autrefois. Ces grands industriels, ces rentiers, ces magistrats méconnus, cette noblesse qui veut travailler, tous ces détenteurs de la fortune publique qui sont venus vivre sur leurs terres et qui ont refait la grande propriété foncière, ne se sont pas doutés qu'en même temps ils allaient reconstruire, réédifier à nouveau la hiérarchie sociale.
Et cependant cela est, et ceux qui verront finir ce siècle le verront finir par le rétablissement de l'ordre dans les esprits, dans les consciences et dans la société. Alors, chacun trouvera sa place, et, de notre époque d'agitation et d'expériences, naîtra un siècle nouveau, passionnément épris de repos et de stabilité.

                                                                                                         Edouard Gautier.

L'Illustré pour tous, choix de bonnes lectures, 18 octobre 1885.

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