lundi 11 janvier 2016

La fête des rois.

La fête des rois.


L'adoration des Mages suivit de près, comme on le sait, la naissance de l'enfant Jésus. C'est ce que nous apprend d'ailleurs un noël ingénu:

Après un bien petit temps,
Trois rois vinrent l'adorer;
Apportèrent myrrhe et encens,
Et or pour le réconforter.

Ces complaintes de nos pères embrassaient les épisodes variés du voyage des trois rois, et ne négligeaient aucun détail. Dans l'un de ces cantiques, un citadin de Jérusalem, indiscret et curieux comme un journaliste du boulevard, se mêle au cortège royal et charme les ennuis du chemin en interrogeant tour à tour les secrétaires des trois souverains. Le récit ne manque pas de saveur; les Chincholle de ce temps-là ont de la bonhomie et du style.




L'arrivée des Mages est signalée par un incident caractéristique. S'il faut en croire un vieux noël provençal, le petit Jésus fut pris de peur. Qu'aperçoit-il en effet parmi le cortège? un homme noir: "Dieu, dit Marie à son doux Fils, qu'as-tu donc, qui si fort t'épouvante?

-Son ey abisat un homme
Quere nègre comme un taupat
Quand io buses ton bisage,
Tou lou corps ma trembla,

répond l'Enfant divin.
- Mon fils, murmura alors Marie, ne crains rien; le More veut t'adorer, et son intention embellit son visage."
D'après une légende du moyen âge, les Mages se rencontrèrent avec les bergers autour de la crèche où reposait le Rédempteur. Étonné de la présence de ces étrangers, Joseph leur demande ce qu'ils veulent.
"Nous sommes trois rois, répondent Gaspard, Melchior et Balthazar. Une étoile nous a montré le chemin de Bethléem; nous venons rendre hommage au Sauveur."
A ces mots, la Vierge Marie découvre l'Enfant qui dort et le montre aux princes. Aussitôt les Mages de se précipiter à genoux et d'adorer le fils de Dieu. Devant la pauvre crèche, les bergers avaient étendu une litière de fleurs des champs; les Mages répandirent autour du berceau de l'or, des parfums et des gemmes. A la vue de ces richesses, les pasteurs regardèrent mélancoliquement leurs piteuses offrandes, et se dirent entre eux:
"Voilà des Mages qui apportent de riches présents; ils vont faire oublier les nôtres, qui ne sont que de pauvres fleurs d'hiver."
Mais au même moment, comme si le petit Jésus eût deviné leur secrète pensée, il écarte du pied les aiguières remplies d'or, et, ramassant une petite pâquerette des prés, il l'effleure de ses lèvres. C'est depuis ce baiser divin que les marguerites, autrefois toutes blanches, ont le tour des pétales rose et les étamines dorées. Les pasteurs, ravis de voir que Jésus avait préféré leurs humbles offrandes, regagnèrent les montagnes de Judée en chantant les louanges du Seigneur.

Si en souvenir de la visite des rois d'Orient, l'Eglise n'offre plus aux fidèles les représentations dramatiques qui réjouissaient tant nos pères, la fête de l’Épiphanie n'en garde pas moins une très grande place parmi les solennités de l'année. Le peuple surtout lui est resté fidèle. Dans la plupart des villages et même des grandes villes de la Normandie, la complainte du jour des Rois et le chœur de la Part à Dieu conservent leur popularité. A Rouen, garçons et fillettes, se tenant par la main, parcourent les rues en chantant:

Adieu, Noël!
Noël s'en va;
Il reviendra
Quand il voudra.

Et les pauvres, allant de maison en maison, réclament à chaque porte leur part de gâteau. Voici le refrain avec lequel ils haranguent l'hôtesse:

Monsieur de céans, et madame aussi,
Donnez de vos biens à ce pauvre ici, 
Que l'âme de vous
Aille en paradis et la nôtre aussi, 
Planti! planti!
Autant de fèves que de pois.
La part à Dieu, ma bonne dame, s'il vous plait!

Dans le Calvados et la Manche, la veille de l’Épiphanie, les enfants des villes et des campagnes se répandent par les rues et par les champs, des torches ou des brandons allumés à la main, et passent une partie de la nuit à psalmodier cette sorte de chant conjuratoire:

Taupes et mulots,
Sors de mon clos,
Ou je te mets le feu sur le dos.

Ces cantilènes portent le nom de chants des Coulines. On appelle ainsi le brandon de paille, assujetti au bout d'une gaule que les enfants approchent de l'écorce des arbres, dans le but de détruire les insectes et les lichens. Avec ce qu'il reste des coulines, on forme un feu de joie. Dans le Val-de-Saire (Manche), c'est pendant la soirée du samedi qui suit le premier jour de l'année que les jeunes gens brandissent, tantôt sous les pommiers et tantôt au milieu des carrefours, les torches étincelantes et crient à tue-tête:

Coulaines, coulaines, vau l'eau!
Taupes et mulots
Si tu n'sors pas d'dans mon clos,
J'te mets l'feu sur l'dos.

A Créances (Manche), mais seulement à la fête de la Brave (fête patronale), on se promène à travers les champs, en se renvoyant d'un champ à l'autre la formule consacrée. Dans un excellent ouvrage sur la Poésie populaire de la Basse-Normandie, M. Eugène de Beaurepaire donne le texte complet de la cantilène. Le voici:

Couline vaut lolo,
Pipe au pommier
Guerbe au boissey
Beurre et lait,
Tout a planté.
Adieu Noël!
Il est passé.

C'est à dire: "la couline donne du lait, une pipe au pommier, un boisseau à la gerbe, du beurre, du lait, et tout en abondance." David Ferrand, imprimeur et poète, qui vivait à Rouen vers le milieu du XVIIIe siècle, fait allusion à cette coutume dans le poème de la Muse normande, lorsqu'il dit de certains manoirs de sa province qu'ils sont "painturlés de la mesme fachon que le sont les fallots des roys, quand no zi fique des candelles allumais pour crier: Adieu Noël." Un érudit du plus haut mérite, M. Desnoyers, a publié, il y a une quarantaine d'années, une curieuse étude sur les courses tumultueuses pratiquées au moyen âge à travers les vignes, les vergers, les jardins, etc., pour en chasser les animaux et les insectes nuisibles. Qui sait? Peut être le phylloxéra capitulerait-il  devant ces adjurations tapageuses. Le concile d'Arles cite les brandons ou bourguelées parmi les pratiques que le christianisme ne réussit pas à éteindre du premier coup; et le concile de Leptines interdit comme une cérémonie païenne ces feux sacrilèges, que les fidèles rougissent de nommer, sacrilegos illos ignes, quos nec fratres vocant. Ces feux et ces chants qui les accompagnaient furent-ils tolérés plus tard à la faveur d'une adaptation ingénieuse du rite ancestral à la liturgie de l'Eglise? C'est assez probable. Saint Grégoire le Grand avait donné de bonne heure le conseil de "baptiser" les rites qui n'offraient aucun caractère manifestement dangereux. Mais la fête de l’Épiphanie se particularise par d'autres cantilènes. Les chants de la Part à Dieu retentissent le soir dans les rues mal éclairées des villages et des cités.
A Limoges, la complainte est des plus étranges, en voici la traduction:

La chèvre est morte,
Dessous la porte
La pauvre enfant
Qui en veut tant,
Ah! ce petit! ah! ce grand!
Ah! ce pauvre innocent,
Qui n'a ni or ni argent,
Qu'un petit denier blanc
Encore qui n'est pas à lui
Mais à Notre-Seigneur Jésus-Christ
Couronné d'épines blanches
D'épines rouges.
La part à dieu, s'il vous plait.

La complainte suivante nous a été transmise par un prêtre du diocèse de Dijon, M. l'abbé Bardolles:

Les trois rois semblablement,
Qui apportent leurs présents
Qui aura la fève noire?
Le rossignol de gloire.
Plantez, semez, jusqu'à la Saint-Jean d'été,
Les trois rois nous mandent d'y aller en France,
Pour un Dieu aimer, pour un Dieu adorer.
Plait-il, Madame, que ce soit du blanc ou que ce soit du noir.
Lequel il vous plaira, Madame,
Oh! madame du logis,
Recevez ces rois-ci.
Donnez-nous des draps blancs, pour ce roi qui vient de naître,
Donnez-nous des draps blancs, pour ce roi qui est tout-puissant,
Car mon camarade a tant froid qu'il tremble.

L’Épiphanie étant une des principales époques où s'acquittaient, sous l'ancien régime,  la plupart des redevances féodales, beaucoup de tenanciers devaient offrir à leur seigneur, ce jour-là, un gâteau des Rois. C'est ainsi que vers la fin du siècle dernier, le fermier du domaine de la Garenne, situé sur la commune de Theval (Indre), était redevable au seigneur de Saint-Chartier "d'un gasteau fin de la fleur d'un boisseau de froment à chacune des festes des Roys." Dans les villes, les boulangers fournissaient gratuitement à leurs principaux clients le gâteau des Rois, ce qui mécontentait fort la corporation des pâtissiers. Il fallait qu'il se fit à Paris une grande consommation de gâteaux à la fève, car on évaluait à cent muids la quantité de farine que l'on employait, vers le milieu du XVIIIe siècle, à la confection de ces gâteaux. Ce fait ressort d'un arrêt du parlement, qui, en 1740, jugea à propos de supprimer momentanément cette coutume par suite de la crainte où l'on était de manquer de pain pendant l'épouvantable débordement de la Seine qui dura soixante douze jours, du 7 décembre au 8 février.
A Châteauneuf-sur-Cher et dans les environs, au moment de la distribution du gâteau, des troupes d'enfants et même des gens âgés se présentent aux portes et fenêtres des heureux du jour, et réclament la part à Dieu en chantant les couplets que voici:

Quoi que j'entends dans ma maison?
Parmi toute la ville,
Acoutons-nous, je chanterons
De la Vierge Marie.

Chantez, chantez donc,
Cabriolez, donc!
Chantez, chantez donc,
Cabriolez donc!

Avisez donc ce biau gatiau
Qu'il est dessur la table,
Et aussitôt ce beau coutiau
Qu'est au long qu'il argarde.

Ah! si vous pouviez
Pas ben le couper, 
M'y faut le donner
L'gatiau tout entier

Ah! si vous v'lez ren nous donner,
Fates-nous pas attendre,
Mon camarade qu'a si grand fred,
Moué que le corps m'en tremble.

Donnez-nous-en donc,
J'avons qu'trois calons
Dans notre bissac, 
Fasons tric et trac.

Ah! donnez, donnez-nous-en donc,
faites-moué pas attendre,
Donnez-moi la fille de la maison,
C'est bien la plus gente.

Qu'est contre le feu,
Qui coup' la part à Dieu.
Jé v'lons pas nous entonner
Que nouter jau l'ait chanté. (1)

A la fin de ces couplets, la foule s'écriait en chœur:

Les rois! les rois!
La part au bon Dieu, s'il vous plait!

et, le chœur terminé, elle envahissait joyeusement les maisons, tandis que "ceux qui s'y trouvaient, feignant une résistance, jetaient les chats du logis à la face des arrivants et leur jouaient mille tours burlesques avant de leur permettre de s'asseoir au festin du gâteau." (2)
Dans le pays wallon, à Liège, la quête du jour des rois, pratiquée encore il y a quelques années, s'appelait le héii ou héli.
Le grand jour arrivé, les femmes du peuple, leurs jupons relevés sur la tête, le visage couvert de façon à ne pas être reconnues, pénétraient dans les corridors des maisons, agitaient une sonnette pour appeler la dame du logis; puis, jusqu'à l'arrivée de celle-ci, elle chantonnaient sur un ton traînant les vers que voici:

Si mis prii à l'blanke mo lionne,
Li maissé dichol est un brave homme,
Il a nourri tréus cras pourçai
Onk ax recenne, deux ax navai,
Ine pitite part Diewe, Madame, si v'plait.

Traduction

Je viens prier à la maison blanche,
Le maître d'ici est un brave homme,
Il a nourri trois cochons gras,
Un aux carottes, deux aux navets
Une petite part, Madame, s'il vous plait.

La dame du logis ne manquait pas d'apporter quelques morceaux du gâteau des rois et de les distribuer aux chanteuses. Souvent celles-ci allaient par groupe de trois personnes, dont un homme. Ce dernier était habillé de blanc et coiffé d'un chapeau en papier.
A Bures, en Normandie, les enfants se promènent le soir avec les lanternes de papier huilé, qu'ils portent au bout d'un bâton, en chantant les formulettes suivantes:

Bonjour les rois!
Jusqu'à douze mois.
Bonjour les reines!
Jusqu'à six semaines.
Bonjour l'crapou!
Jusqu'au mois d'août.





Voilà une note gaie! Mais quel est donc ce "crapou" dont les gamins de Bures parlent si joyeusement? Impossible de le savoir.

(1) Que notre coq ait chanté. Nouter, pour notre. On voit que la terminaison latine er a été conservée sur plusieurs points du Berry. C'est la prononciation germanique des Francs, qui change la désignation er en re. Voici l'explication de quelques-uns des autres termes de cette chanson: Fred, froid; calons, noix; tric et trac, pour troc pour troc.
(2) M. Ribault de Laugardière, la Bible des noëls, page 57. Voyez dans la Fête des rois à Azy du même auteur, le chant qui était en usage, il y a une vingtaine d'années, dans cette commune, pour demander la part à Dieu.

Les Fêtes de nos pères, Oscar Havard, Tours, Mame, 1898.

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