samedi 9 janvier 2016

Ceux dont on parle.

M. Mesureur.


Il est temps de réhabiliter dans l'opinion ce service de l'Assistance publique que tant de gens semble prendre un malin plaisir à décrier. A en croire ces mécontents, l'Assistance publique ne rendrait pas les services qu'on est en droit d'attendre d'elle. En dépit des millions qui sont consacrés à son budget, un nombre considérable de malheureux, entièrement dénués de ressources se verraient refuser impitoyablement la pièce de cent sous qui leur assurerait du pain pendant huit jours.
Eh bien, il est à ma connaissance un acte méritoire accompli par l'Assistance publique, et je crois de mon devoir de citoyen de le signaler ici.
Au nombre des députés non réélus en 1902 s'en trouvait un que cet échec avait affecté plus particulièrement. Ancien ouvrier, il avait depuis longtemps quitté son métier pour se consacrer uniquement à la politique qui, soit dit à sa louange, ne l'avait pas enrichi. La défection de ses électeurs le privait brutalement, lui et sa famille,  de toute ressource, l'année même où un incendie venait de ravager son logis, détruisant tous les objets de quelque valeur qu'il possédait.
Qu'allait devenir le malheureux blackboulé?
Cincinnatus aurait repris sa charrue; cette austérité n'est plus de notre époque. L'ancien député alla demander du secours à ses amis du Gouvernement, et ceux-ci l'envoyèrent à l'Assistance publique; mais comme on ne pouvait, en raison du rang qu'il avait occupé, l'inscrire parmi les indigents ordinaires, on lui donna une place spéciale: celle de directeur du service.



Voilà comment l'Assistance publique a sauvé une famille de la misère en lui assurant vingt cinq mille francs de revenus (18.000 à M. Mesureur père, 7.000 francs à M. Mesureur fils). Voilà comment M. Mesureur est le premier de ses assistés. Viendra-t-on médire, après cela, de cette admirables institution?
M. Mesureur a soixante et un ans. Il est entré dans la politique à trente-quatre ans, comme conseiller municipal du quartier de Bonne-Nouvelle. Il était alors simple dessinateur pour broderies. Il appartint au Conseil municipal jusqu'en 1887, époque où il fut élu député.
Travailleur acharné, il a fait de son mieux pour justifier la confiance de ses électeurs. Une des questions auxquelles il a consacré ses veilles fut celle des changements de nom des rues de Paris. Il trouva moyen de confectionner sur ce sujet un volumineux rapport qui eut beaucoup de succès, dans la presse et même au café-concert. Qui ne connait la chanson des Statues en goguette et son couplet final:

"C'est d'la faute à Mesureur
"On a changé l'nom des rues
"C'qui fait qu'on n's'y r'connait plus."

Après avoir quitté le Conseil municipal, dont il avait été successivement syndic, vice-président, et enfin président, M. Mesureur siégea au Palais-Bourbon sur les bancs de l'extrême-gauche et fut une fois ministre. Élu vice-président de la Chambre, il eut à présider à ce titre plusieurs séances, et c'est au cours de l'une d'elles qu'il prononça une phrase restée célèbre. Cette phrase, d'autres avant lui l'avaient prononcée, mais en tombant des lèvres du Président du Parlement, elle acquit une énergie farouche et nous reporta aux temps héroïques de la Révolution. cette simple phrase était: "Je m'en f...!"
Parole de mauvais augure dans la bouche du futur directeur de l'Assistance publique!

                                                                                                                              Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 22 mars 1908.

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