mardi 26 janvier 2016

Ceux dont on parle.

Georges Feydeau.

Le plus gai des vaudevillistes et le moins joyeux des hommes. Le public se représente certainement M. Feydeau comme un homme très répandu, familier de tous les lieux de plaisir, étincelant d'esprit et de verve. Cet excellent public serait bien désappointé s'il faisait connaissance avec l'auteur du Dindon et qu'il vit un homme d'humeur tranquille, presque sombre, très aimable, mais médiocre causeur.
Aussi n'est-ce pas par goût que M. Feydeau fait des vaudevilles. Cela ne l'amuse pas de nous montrer pendant toute une soirée un mari jouant à cache-cache avec sa femme, une belle-mère courant après son gendre. Son plus grand plaisir, c'est d'oublier qu'il est un auteur dramatique et de faire, je vous le donnerais en cent, de la peinture! George Feydeau, artiste peintre! George Feydeau brossant des champs de luzerne ou des intérieurs bretons!
Malheureusement, et là peut-être est la cause qui a chassé le rire des lèvres de cet homme, malheureusement M. Feydeau était né pour faire des comédies et n'a aucun don pour la peinture. Tout jeune, au lycée Saint-Louis, il écrivait des monologues très amusants que Galipaux, Coquelin, Saint-Germain, Judic, ne dédaignaient pas d'interpréter. Le Potache date de cette époque: c'est un croquis pris sur le vif.




La légende veut même que M. Feydeau ait écrit sa première pièce à sept ans et que, étant encore enfant, il soit allé montrer un de ses essais à Henri Meilhac qui lui dit sans ambages; "Ta pièce est stupide, mais elle est scénique; tu seras un homme de théâtre!". Meilhac avait vu juste, si juste qu'on pourrait appliquer à presque toutes les pièces de M. Feydeau les deux épithètes dont le gratifiait son aîné.
D'avoir du premier coup deviné ses aptitudes, l'auteur de Champignol est resté reconnaissant à Meilhac et il a fait provision de paroles réconfortantes de cette espèce pour accueillir la foule des débutants qui viennent solliciter son patronage. Malheur à celui pourtant qui aurait habillé son ours de quelques finesses et se serait appliqué à l'envelopper d'un style élégant. M. Feydeau, qui n'aime pas déguiser sa pensée lui déclarerait bien vite qu'il n'entend rien au théâtre.
Et M. Feydeau est le fils d'un homme de lettres!
Sa manière de travailler ne manque pas d'originalité. Il ne compose pas de canevas pour ses comédies. Au fur et à mesure que l'intrigue se développe et s'embrouille, tous les mouvements de ses héros se gravent dans sa tête et il sait à chaque instant dans quelle situation se trouve chacun de ses personnages. Avec une aussi bonne mémoire, M. Feydeau aurait certainement réussi dans un autre commerce que celui des pièces de théâtre. Mais il y gagne beaucoup d'argent, et a fort peu de frais généraux.
C'est de cet excellent auteur que MM. Paul Bourget et Pierre Decourcelle ont voulu autrefois faire un acteur, car il jouait très bien. Y pensiez-vous messieurs? George Feydeau un comédien! Ah fi!

                                                                                                                          Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 13 janvier 1907.

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