lundi 21 décembre 2015

Les jardins de Louis XII.

Les jardins de Louis XII
  et les bains d'Anne de Bretagne
                       à Blois.




Au commencement du seizième siècle, l'aile du château de Blois qui regarde le nord-ouest était déjà séparé de la campagne par de vastes parterres divisés, suivant la nature du sol, en jardin haut et jardin bas. Le premier planté de mûriers blancs et d'allées de coudriers, confinait presque à la forêt de Blois.
Immédiatement au pied de la résidence royale, le jardin bas formait la promenade favorite de Louis XII. Ce prince s'était plu à embellir de compartiments de verdure, de fontaines, de pavillons, et de ces longs portiques de bois dont Androuet du Cerceau nous a transmis l'ordonnance et le nom! berceaux de charpenteries. Cette décoration des jardins, à la fois symétrique et variée, fut de grande mode pendant toute la renaissance; elle lui survécut même: l'art de Lenôtre n'en est à certains égards qu'une transformation. Enfin, un peu plus haut, dans l'enclos réservé, appelé quelquefois jardin de la Reine, s'élevait le bâtiment reproduit par nos gravures sous deux aspects différents.




Un écrivain du dix-septième siècle, André Félibien, sieur des Avaux, qui avait pu voir dans sa jeunesse toutes choses à peu près en état, décrit ainsi la principale merveille de ces jardins royaux:
"Il n'y a pas longtemps, dit-il (1), qu'il y avoit dans ce mesme jardin, à l'endroit où se croisent les allées du milieu, un édifice de figure octogone, de plus de sept thoises de hault, avec quatre enfoncemens en forme de niches dans les quatre angles des allées. Ce bastiment, qui faisoit comme un grand salon, estoit de charpente, mais d'un bois extraordinairement travaillé. Entre les principaux ornemens qu'on y avoit taillez, on y voyoit principalement la Cordelière, qui régnoit tout autour en forme de cordon; car la Reyne affectoit de la mettre non seulement à ses armes et à ses chiffres, mais de la faire représenter en diverses manières dans tous les ouvrages qu'on faisoit pour elle. Ce salon n'étoit clos que par des treillis de bois. Il estoit couvert en forme de dôme, qui dans son milieu avait encore un petit dôme, ou lanterne vitrée, au dessus de laquelle estoit une figure dorée représentant saint Michel. Ces deux dômes estoient proprement couverts d'ardoise et de plomb doré par dehors. Au milieu de ce salon il y avoit un grand bassin octogone, de marbre blanc, dont toutes les faces estoient enrichies de différentes sculptures avec les armes et les chiffres du Roy Louix XII et de la Reine Anne. Dans ce bassin il en avoit un autre, posé sur un piedestal lequel avoit sept pieds de diamètre. Il estoit de figure ronde, à godrons, avec des masques et d'autres ornemens très savamment taillez. Du milieu de ce deuxième bassin s'élevoit un autre petit piedestal, qui portoit un troisième bassin de trois pieds de diamètre, aussy parfaitement bien taillé; c'estoit de ce dernier bassin que jaillissoit l'eau, qui se respandoit ensuitte dans les deux autres bassins. Ces beaux ouvrages, faits d'un marbre esgalement blanc et poly, furent brisez par la pesanteur de l'édifice, que les injures de l'air renversèrent de fond en comble."
Certes, la ruine d'un tel monument, rival peut-être heureux, au moins dans la partie lapidaire, des fontaines de Pérouse et de Sienne, est de nature à éveiller bien des regrets. Le temps et l'incurie n'ont cependant pas tout détruit, et l'on peut voir encore, dans une salle basse du château, partie de François 1er, quelques sculptures du bassin octogone. Les chiffres et les emblèmes du roi Louis XII de d'Anne de Bretagne, trouvées dans les fouilles opérées il y a quelques années, justifient pleinement, comme beauté de matière et délicatesse d'exécution, les éloges de Félibien.
L'édifice des Bains de la reine relève davantage du style du quinzième siècle; il est bâti en pierres et en briques ainsi que la façade orientale du château, élevée par Louis XII. Son plan est cruciforme; un haut comble à la française couvre ce pavillon central, tandis que chacun de ses angles se termine, ou plutôt se terminait avant des adjonctions malheureuses, en une terrasse bordée de riches balustrades aux meneaux flamboyants. On retrouve ça et là les initiales de Louis et d'Anne, la cordelière de la princesse bretonne. Les plombs du faîtage gardent encore quelques traces de ces mêmes ornements peints et dorés. A l'intérieur, l'unique salle du premier étage est flanquée d'un petit oratoire que montre notre seconde gravure.




La dénomination de Bains de la reine ne repose que sur une tradition fort vague, contredite, du reste, par Félibien: Anne de Bretagne aurait fait construire ce pavillon comme lieu de retraite lors d'un vœu motivé par sa stérilité. D'autres auteurs affirment que ce fut pour se séparer du roi son époux, frappé d'excommunication par Jules II pendant la guerre entre la France et les Etats de l'Eglise.
Depuis la Révolution, ce rare spécimen de notre architecture civile servait d'annexe au magasin des subsistances militaires. Il est affranchi depuis peu d'une si humble condition, mais il attend toujours une restauration intelligente qui permette d'apprécier librement sa valeur et son originalité.

(1) Mémoires pour servir à l'histoire des maisons royalles et bastimens dee France, publiés pour la première fois par la Société de l'art français. Paris, 1874.

Le Magasin pittoresque, octobre 1875.

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