mercredi 4 novembre 2015

Le prieuré de Saint-Martin-des Champs.

Le prieuré de Saint-Martin-des-Champs.


L'Administration des Beaux-Arts, d'accord avec la Ville de Paris, va prochainement faire dégager les abords de l'antique prieuré de Saint-Martin-des-Champs, situé au coin de la rue de Réaumur et de la rue Saint-Martin et qui fait partie de notre Conservatoire des Arts et Métiers; ce monument, l'un des plus anciens du Vieux Paris, commençait à tomber en ruine au milieu des masures qui s'appuyaient sur ses murailles, et il était grand temps d'intervenir pour le préserver d'une destruction imminente.
On sait combien le culte de Saint-Martin fut toujours en honneur dans les Gaules dès les premières années de la dynastie mérovingienne: les rois francs faisaient porter sa chape à la tête de leurs armées, la vénérant comme un gage assuré de la victoire, et les Parisiens témoignaient une dévotion toute particulière à ce saint guerrier depuis qu'il avait guéri, vers 385, un lépreux, à l'entrée même de leur capitale. L'endroit où s'effectua ce prodige fut longtemps controversé mais on s'accorde aujourd'hui à le placer près du Petit Pont, non loin d'une vieille porte qu'on y voyait alors, souvenir de la domination gauloise et sur laquelle étaient gravés, suivant la coutume de l'époque, un serpent et un loir destinés à préserver la ville des trop fréquentes incursions de ces animaux; la piété des Parisiens y éleva un petit oratoire formé de planches et de branchages qui ne tarda pas à être témoin d'un autre miracle, car, au cours d'un terrible incendie qui, ayant pris naissance chez un marchand apothicaire de la rue Saint-Jacques, réduisit en cendres une partie de la ville, un bourgeois et sa femme, qui y avaient cherché refuge, échappèrent au sinistre, contre toute attente, ainsi que le relate saint Grégoire de Tours dans son Histoire des Francs.
En 647, Dagobert, ayant concédé un champ de foire à l'abbaye de Saint-Denis, en fixa l'emplacement au lieu dit le Pas Saint-Martin, et une charte de Childebert III nous apprend que cet endroit s'étendait entre l'église Saint-Laurent et la basilique Saint-Martin: cette dernière, qui avait été récemment construite pour remplacer le petit oratoire primitif, fut rasée vers l'an 915 par les Normands comme en fait foi une ordonnance de 1060 dans laquelle le roi Henri 1er atteste sa ruine, exprime ses "vifs regrets de cette abbaye qui avait été tellement détruite par la rage des Normands qu'il ne semblait pas  qu'elle eût existé..." et prend l'engagement formel de la réédifier. Il tint sa promesse avec l'assentiment du pape Alexandre II, et, en 1067, la nouvelle église fut terminée et consacrée à Saint-Martin-des-Champs à cause de sa situation en dehors de l'enceinte de Paris: on y installa aussitôt un chapitre de moines réguliers de la règle d'Aix-la-Chapelle, semblables à ceux de Sainte-Geneviève, et non par des moines de Saint-Augustin, comme l'a prétendu à tort le P. du Breul dans son Théâtre  des Antiquités de Paris. Les maisons des vassaux du monastère ne tardèrent pas à s'élever, formant comme un village autour de l'église et de la demeure des chanoines; mais ceux-ci ayant été remplacés par des religieux de Cluny, l'abbaye prit désormais le titre de prieuré.



Le prieur de Saint-Martin-des-Champs jouissait d'une revenu annuel de 45.000 livres et avait en outre le droit de nommer à vingt-neuf autres prieurés: de plus, les vastes dépendances qui constituaient ses domaines, et qui, d'après Sauval, s'étendaient depuis les remparts jusqu'à la rue du Grenier-Saint-Lazare, furent, en 1130, par les soins de l'abbé Hugues II, entourés de murailles crénelées, de tourelles, qui en firent une véritable place forte, en même temps qu'un de ces lieux privilégiés où les ouvriers pouvaient travailler à leur compte sans avoir été reçus maîtres dans les corporations dont ils dépendaient. Le prieur et les moines y possédaient également leur champ clos et c'est là qu'eut lieu, en 1386, conformément à une sentence du Parlement, le fameux combat judiciaire entre le sire de Carrouge et l'écuyer Jacques Le Gris, combat relaté par Froissart, et à la suite duquel l'écuyer, vaincu et déclaré coupable, n'en fut pas moins déclaré innocent quelque temps après.
Lors de la destruction de l'ordre des Templiers, une partie des immenses terrains qu'ils possédaient au nord-est de Paris fut donné, en 1315, par Philippe le Bel, aux religieux de Saint-Martin-des-Champs qui, loin d'imiter leurs devanciers, moines éminemment guerriers, s'appliquèrent de leur mieux à défricher les champs abandonnés, à les cultiver avec intelligence, aussi ne tardèrent-ils pas à fournir à la capitale quantité de fruits, de légumes et de vins estimés; à leur exemple, plusieurs de leurs vassaux vinrent s'installer dans cette région et fondèrent un petit village primitivement dénommé Saviæ, puis plus tard Poitronville, et qui est aujourd'hui Belleville. en outre les Martiniens, ainsi qu'on les appelait alors (Martinienses Sacerdotes), entreprirent différents travaux importants, notamment l'installation provisoire d'aqueducs qui devaient plus tard amener les eaux de Belleville et du Pré-Saint-Gervais aux fontaines Maubué et des Saints-Innocents.



Au commencement du XVIIIe siècle, les religieux remplacèrent par des constructions nouvelles une grande partie des anciens bâtiments, entre autre un vieux cloître où se voyaient les statues en pierre de la plupart des premiers rois de France, et qui passait pour un des plus beaux de Paris; en 1765, une partie du terrain fut transformé en un marché public.
"L'église et le réfectoire de cet ancien monastère, lisons-nous dans l'ouvrage de Giraud de Saint-Fargeau, peuvent figurer parmi les plus remarquables dans une ville qui compte tant de merveilles... La nef, qui est du XIVe siècle, étonne par la grandeur de ses dimensions et la beauté de l'appareil. Après la nef de Saint-Germain-des-Prés, l'abside est le plus ancien monument religieux de Paris; c'est un des plus beaux et, pour les antiquaires, un des plus curieux et intéressants édifices..."
Le prieuré de Saint-Martin-des-Champs fut, en 1790, déclaré propriété nationale et, peu de temps après, une commission présidée par Grégoire, évêque constitutionnel de Blois, émit le vœu de le transformer en conservatoire des Arts et Métiers, projet qui se trouva réalisé par un décret du 12 germinal an VIII.




Parmi les constructions qui subsistent encore après tant de bouleversements, on remarque, outre l'église et le réfectoire cités plus haut, plusieurs bâtiments qui servirent jadis d'habitations aux moines et qui furent en partie restaurées, en 1712, ainsi que l'un des cloîtres. L'architecture de l'église indique l'époque de transition entre le plein cintre et l'ogive: la nef sans piliers est percée des deux côtés de fenêtres ogivales à meneaux de pierre; les colonnes qui partagent cet édifice en deux nefs distinctes ont été construites avec une délicatesse extrême, et leurs chapiteaux, les clefs de voûte, la chaire du lecteur et l'escalier qui y conduit sont d'une exécution tout à fait merveilleuse. Quant au réfectoire, qui date du milieu du XIIIe siècle, on l'attribue généralement au célèbre architecte Pierre de Montereau (appelé aussi Eudes de Montreuil) auquel nous devons également la Sainte-Chapelle.
Un autre vestige antique du prieuré de Saint-Martin-des-Champs est une grosse tour située rue Saint-Martin, près de la rue du Vert-Bois; les moines la cédèrent, en 1712, à la Ville de Paris, qui y fit installer une fontaine: cette tour servit longtemps de maison d'arrêt pour "les femmes de mauvaise mœurs" qui étaient conduites, le premier vendredi de chaque mois au Châtelet pour y être jugées par le lieutenant général de police; supprimée peu de temps avant la révolution, cette prison fut remplacée par la Petite-Force. C'est dans le terrain qui l'environnait que furent enterrés, en 1408, par ordonnance du Conseil du roi, les corps du connétable d'Armagnac, du chancelier du Marle et de plusieurs seigneurs traîtreusement massacrés par les chefs de l'armée bourguignonne.

                                                                                                    Tournal de Mauclair.

Le Magasin pittoresque, janvier 1913.

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