vendredi 9 octobre 2015

Les courses d'échassiers.

Les courses d'échassiers.

Les courses de toutes sortes sont très à la mode aujourd'hui, depuis qu'un grand journal les a lancées l'année dernière en organisant sa fameuse course Paris-Brest. Pendant que, cette année il montait une course à pied de 500 kilomètres, qui a été tant débattue, entre Romagé et Gonnet, on organisait à Bordeaux une course d'échassiers.
Il n'y a rien d'étonnant que dans la Gironde, sur les confins des Landes, on ait songé à utiliser ce mode de marche qui, ici,  ne nous paraît pas praticable. Nous savons tous, par ouï-dire pour la plupart, que les Landais, ou tout au moins les bergers, passent la plus grande partie de leurs journées à plusieurs mètres de hauteur, surveillant leurs troupeaux au milieu des sables, des ajoncs et des fondrières. Habitués dès leur jeune âge à voir au bout de leurs pieds les rallonges qui leur permettent de faire des enjambées que le commun des mortels regarde avec effroi, les Landais arrivent, au point de vue de la vitesse dans la marche, à faire de véritables tours de force. On peut, à ce point de vue, comparer le vélocipède, et la bicyclette en particulier, aux échasses. A chaque coup de pédale sur la bicyclette vous avancez de 1,40 m ou plus, autrement dit, vous faites des pas de 1,40 m. Sur les échasses il se passe quelque chose d'analogue, vos pas s'agrandissent outre mesure et il suffit que vous les répétiez assez rapidement pour atteindre une vitesse considérable.
Pour les échassiers-hommes, la course à fournir était d'ailleurs assez considérable: il s'agissait de revenir à Bordeaux après avoir été à Bayonne et Biarritz, c'est à dire après avoir arpenté 486 kilomètres. J'ai dit les échassiers-hommes avec intention, car il y avait en même temps une course pour les femmes, qui sont aussi de remarquables échassières. Pour elles, il s'agissait de parcourir seulement 70 kilomètres de Bordeaux à Cérons et retour.




Les deux troupes partirent à la même heure le 27 mai, à 9 h. 22, de Bordeaux, au coup de pistolet tiré par M. Jegher, un des directeurs du Véloce-Sport. Derrière les concurrents se trouvaient des bicyclistes bénévoles, qui étaient chargés de contrôler la route ou de signaler des fraudes.
Pendant toute la journée la foule est restée au contrôle d'arrivée et à 7 h. 48 du soir signalait l'échassière vainqueur, Mlle Marie Pascal, de Lanton, qui avait accompli ses 70 kilomètres en 10 h. 26, en comptant bien entendu les repos.
Il est peu probable qu'une telle course se renouvelle autre part que dans le Midi, car il n'y a que là que l'on peut trouver un assez grand nombres de gens montés sur échasses. Je sais bien que les collégiens pratiquent tous ce genre de sport, mais leurs courses ne sortent guère de l'enceinte de la cour de récréation. Il n'en peut pas être autrement, d'ailleurs, ils manqueraient d'entraînement si on voulait leur faire faire une course de fond. Cet exercice, une utilité dans les Landes, restera probablement toujours pour nous, gens du Nord, un simple amusement.
Nous savions déjà, d'ailleurs, depuis quelque temps que les échassiers ne reculaient pas devant les longues courses. Qui ne se rappelle de la fameuse équipée de Dornon, qui partit, couvert d'une peau de bête, de la Concorde pour se rendre sur des échasses jusqu'à Moscou? Malheureusement le fameux échassier atteignit bien Moscou avec ses échasses, mais ses échasses étaient dans le fourgon du train qui le transportait.

La Science illustrée, 9 juillet 1892.

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