jeudi 3 septembre 2015

Un collège vers l'an 1500.

Un collège vers l'an 1500.


A quatre heures du matin, la cloche sonnait, et aussitôt un élève de la première classe de philosophie, investi des fonctions d'éveilleur public, parcourait toutes les chambres pour presser ceux qui faisaient les sourds et allumer les chandelles dans les saisons où cela était nécessaire. A cinq heures, il fallait que les écoliers de chaque classe eussent pris séance sur le carreau des salles. Les régents commençaient alors une première leçon, qui n'était que d'une heure. On en sortait pour aller à la messe, et après la messe, on déjeunait d'un petit pain qui venait d'être tiré du four. Un temps de repos, mais sans récréation, accompagnait le repas.
De huit à dix avait lieu la grande classe du matin. Elle était suivie d'exercices auxquels on se livrait, sans quitter les salles, jusqu'à onze heures, l'heure du dîner.
Maîtres et élèves se rendaient ensemble au même réfectoire. Il y avait une seule table pour les régents et pour le principal. Les élèves occupaient d'autres tables autour de celle-là, chacune présidée par un architriclin ou servant de semaine, qui, en signe d'autorité, avait sa serviette nouée sous le menton. Le repas n'était point précipité: il durait une heure, quoiqu'il se composait seulement d'un plat de viande et d'un plat de légumes. Au commencement et à la fin, on lisait un chapitre soit de la Bible, soit d'une Vie de saint; un acte de dévotion accompli d'une manière très-solennelle succédait à la dernière lecture: c'étaient les grâces, dites par le chapelain, qui rappelait ensuite la mémoire des fondateurs et bienfaiteurs de la maison. Le principal choisissait d'ordinaire ce moment pour faire ses admonestations publiques, et annoncer les corrections exemplaires, si quelqu'un en avait mérité.
Après le dîner, interrogation sur les leçons entendues, puis un repos d'une heure, qui était rempli par la lecture publique de quelque poëte ou orateur, "pour ôter au diable, dit Robert Gouset, l'avantage de trouver les esprits inoccupés". On retournait en classe de trois à cinq; ensuite on s'exerçait pendant une heure sur ce qu'on venait d'entendre. Le souper était servi à six heures. A sept, nouvelle séance d'interrogation; enfin le salut dans la chapelle et le coucher. Le couvre-feu sonnait à neuf heures pour les maîtres et les élèves autorisés, la chandelle pouvait durer jusqu'à onze.
La journée, comme on le voit, est très-occupée, les esprits tenus constamment en haleine. Les récréations, dans le sens où nous l'entendons, n'avaient lieu que le mardi et le jeudi. Ces jours-là, après la classe du soir, on laissait jouer les écoliers, ou bien on les menait promener au pré aux Clercs, à travers les herbages qui bordaient la rive gauche de la Seine au-dessous de Paris... Il n'y avait de sortie qu'au temps des vacances, lesquelles duraient seulement pendant le mois de septembre et s'appelaient les vendanges. Le terme de vacances était réservé pour exprimer la cessation des examens et des cours des Facultés supérieures pendant les trois mois d'été.
Voyons maintenant quel était le mode d'enseignement.
Au moyen âge, on ne concevait pas la science indépendante de l'autorité. Les auteurs faisaient la science: expliquer les uns, c'était enseigner l'autre; aussi les cours consistaient uniquement dans l'interprétation des textes approuvés. Le professeur devait se traîner sur le livre, quel qu'il fut, qui passait pour contenir le dépôt de la science. Il lisait, et ses élèves écoutaient, selon l'expression employée alors pour dire faire un cours, suivre un cours.
Les leçons comportaient deux sortes de développements qui se plaçaient à la suite l'un de l'autre, savoir: l'exposition et les questions.
Par l'exposition, on s'attachait à montrer tour à tour les raisons et les conséquences de chaque division de l'ouvrage, de chaque paragraphe, de chaque phrase et de chaque terme dans la phrase. Par les questions, on dégageait toutes les propositions susceptibles d'être discutées en deux sens contraires, et on les résolvait en concluant par forme de syllogisme à l'affirmative ou à la négative.
L'exposition et l'argumentation devaient être débitées d'abondance, non pas lues dans le texte. Jusqu'aux approches de la renaissance, les professeurs furent astreints par serment à procéder de la sorte, dans la crainte que, s'ils lisaient le commentaire comme ils lisaient le texte, il ne se donnassent plus la peine de préparer leurs leçons. C'était prendre contre les maîtres une précaution préjudiciable aux élèves, car le plus grand nombre n'ayant pas les livres qui faisaient l'objet de la leçon, il fallait qu'ils retinssent de mémoire ou par des notes incomplètes tout se qui s'était dit en classe. Aussi maints professeurs finirent-ils, en dépit du serment, par dicter les points principaux de leur enseignement chaque jour. Cela ayant été autorisé en principe par le cardinal d'Estouteville, lorsqu'il réforma l'Université en 1452, le règlement exécutif se fit attendre encore quarante ans. On convint, en 1491, que la petite classe du matin serait consacrée à la dictée. Ces dictées étaient encore si peu de chose en 1502, que la ration de papier assignée à chaque élève pour les recueillir était seulement de trois feuilles par semaine.
Les exercices pour apprendre étaient la séparation et la dispute. Par la séparation, les écoliers se recordaient mutuellement l'objet de la leçon exposée, jusqu'à ce qu'ils fussent en état de la répéter tous à peu près dans les mêmes termes. Par la dispute, ils argumentaient deux à deux, se partageaient les rôles, et prenaient l'un le pour, l'autre le contre des questions qu'avaient posées le maître. Un élève de classe supérieure était présent pour redresser les erreurs résultant de la leçon mal comprise, pour empêcher la dispute de dégénérer en arguties ou en querelle, pour noter les paresseux qui se seraient refusés à prendre leur tour de parole.
La dispute était le moyen d'instruction le plus efficace qu'on connût. Aussi, à mesure qu'on avançait, prenait-elle une place plus grande dans les études. On disputait un mois entier pour se préparer à la bachelerie, et après l'examen on allait pendant un autre mois disputer publiquement dans la rue du Fouarre. Les élèves qui aspiraient à la science ne faisaient pas autre chose. Indépendamment de leurs disputes quotidiennes dans chaque classe du collège, tous les samedis soir et veilles de fêtes carillonnées: c'étaient les jours aristotéliques.
Tant de disputes avaient pour effet d'aiguiser singulièrement les esprits, de les rendre imperturbables à l'attaque et prompts à la riposte; mais aussi elles faisaient des ergoteurs plutôt que des penseurs, des outrecuidants plutôt que des savants. Les humanistes du seizième siècle s'élevèrent contre elles avec d'autant plus de raison que l'élément nouveau qu'ils firent prévaloir dans les études ne comportait pas des exercices de ce genre. Vivès, l'instituteur de la princesse Marie d'Angleterre, que notre Université compta d'abord au nombre de ses suppôts, a reproduit avec un comique achevé une interrogation du genre de celles qui devenaient matière de dispute. La scène se passe dans un collège voisin de Montaigu, qui, selon toute apparence, est notre Sainte-Barbe. Lui, Vivès, et son collègue Gaspard Lax, étant entrés dans la classe, le professeur en chaire veut leur faire les honneurs, et le dialogue suivant s'établit entre lui et son meilleur élève:
D. Enfant, dis-moi en quel mois mourut Virgile.
R. Au mois de septembre, mon maître.
D. En quel endroit.
R. A Brindes.
D. Quel jour de septembre?
R. Le 9 des calendes.
D. Drôle, veux-tu me déshonorer devant ces messieurs? Avance-moi ma férule, retrousse ta manche et tends la main pour avoir dit le 9, au lieu du 10. Fais attention à mieux répondre. 
- Vous allez voir, messieurs, que c'est un enfant qui en sait long.
Salluste, au commencement de son Catilina, a-t-il écrit omneis homines ou omnis homines.
R. L'opinion générale est qu'il a mis omnis; mais moi je suis d'avis qu'il a pu écrire omneis, et qu'il faut orthographier, contre l'habitude des imprimeurs, omneis par ei, et non par un i simple.
D. Comment s'appelait le frère de Rémus, et comment avait-il la barbe?
R. Les uns, mon maître, disent qu'il s'appelait Romulus, d'autres Romus, d'où le nom de Roma, mais que par terme d'affection on le nomma du diminutif Romulus. Lorsqu'il allait à la guerre, il n'avait pas de barbe, mais il en portait une longue en temps de paix. C'est ainsi qu'il est représenté en couleur sur les Tite-Live imprimés à Venise.
D. Comment Alexandre se releva-t-il, lorsqu'il tomba par terre en touchant pour la première fois le sol d'Asie?
R. En s'appuyant sur ses mains et en levant la tête.
Voilà où aboutissait l'embarras des jeunes gens inexpérimentés, ayant à disséquer des œuvres littéraires d'après des procédés qui ne convenaient qu'aux matières philosophiques. Le vœu de Vivès et des autres de la même école était de voir remplacer ces exercices puérils par des compositions sur des sujets dictés. On était bien sur la voie de cette réforme, car depuis que l'étude de la rhétorique avait été restaurée, on proposait généralement de courtes matières à traiter soit en vers, soit en prose; mais l'insuffisance de ces devoirs était évidente: on ne les donnait jamais plus d'une fois par semaine, et il fallait les faire pendant la classe, en manière d'improvisation. Du moment que les exercices de composition étaient réduits à si peu de chose, le mérite des élèves ne se jugeait pas, comme aujourd'hui, d'après les épreuves écrites. Leurs réponses aux interrogations, leur assurance dans les disputes, étaient la seule base pour les classer. On n'avait pas non plus l'idée de distribution de prix: l'honneur d'être au premier rang dans sa classe et dans les examens à la suite desquels on recevait les grades suffisait à l'ambition de l'écolier. Toutefois les exercices scolaires étaient clos à la fin août par une cérémonie publique où les enfants mettaient beaucoup de gloire à obtenir le suffrage des grandes personnes, et où il y avait même, pour quelques-uns, des récompenses décernées à la suite d'un concours spécial. Quoique la mention de cette solennité ne se trouve pas avant le règne de François 1er, il y a tout lieu de penser qu'elle existait déjà dès le commencement du seizième siècle.
 Le jour de la Saint-Louis, 25 août, la cour du collège et les arbres de la cour étaient tendus de draps blancs sur lesquels on exposait, entre des guirlandes de feuillage, les bonnes pages des commençants, et les pièces en vers ou autres composition des humanistes jugées dignes de remarque par les professeurs. Cela était calligraphié selon le savoir-faire des auteurs, avec accompagnement de lettres en or et en couleur. Chacun se tenait près de son oeuvre, écoutant les critiques ou les éloges auxquels se livraient les personnes invités.
Cependant la grande salle, décorée de tapisseries et garnies de banquettes, était le théâtre d'exercices d'un autre genre. Sous la présidence d'un prélat, d'un grand seigneur ou d'un magistrat de l'une des cours souveraines, les logiciens et dialecticiens commençaient à disputer sur des positions qui avaient été affichées à l'avance aux carrefours de la ville. Quand la lutte était épuisée, c'était le tour des rhétoriciens . Les dix plus forts d'entre eux venaient déposer les copies d'une composition dont ils étaient allés la veille demander le sujet au président de la fête. Ils avaient été mis en conclave pour fournir cette épreuve, et toutes les précautions prises afin qu'ils ne reçoivent pas d'aide de leurs maîtres. En présence de l'assemblée, chacun à son tour déclamait son ouvrage; ensuite un jury choisi en dehors du collège discutait, séance tenante, le mérite des concurrents. Un jugement semblable avait lieu pour les philosophes, et le vainqueur dans chaque Faculté recevait de la main du président un bonnet d'étudiant.
Ce n'est que beaucoup plus tard, et par imitation de ce qui se pratiquait chez les Jésuites, que l'Université consacra la solennité des prix annuels dans les collèges.

Le Magasin pittoresque, janvier 1866.

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