mercredi 23 septembre 2015

Les jeux populaires au 14 juillet.

Les jeux populaires au 14 juillet.


La fête nationale du 14 juillet fait songer tout d'abord aux grandes réjouissances officielles, telles que les revues solennelles des troupes, les feux d'artifice, l'inauguration de monuments publics.
La revue, surtout est le clou de cette journée. dans toute la France, sur toute l'étendue du territoire, depuis le bambin jusqu'au grand-père, tous y courent, comme dit la chanson, pour voir et complimenter l'armée française. Mais cette matinée, une fois consacrée à l'idée de la patrie, l'on se dissémine, et chacun, suivant son rang, cherche à s'amuser pour son argent, et, quand il le peut... pour rien.
Il est alors un autre côté, une physionomie spéciale du 14 juillet, le petit côté pour ainsi dire, celui où l'imagination populaire surtout se donne libre carrière dans sa spontanéité, et qui est amusant à suivre et à raconter.
Les amusements et les jeux de quartiers en sont la caractéristique, partout ils fournissent une mine inépuisable à l'observateur. Décrivons-les à Paris, où ils se sont perpétués avec plus de fidélité peut-être que dans les départements.
Montons les rampes qui conduisent à Belleville, par exemple, ou à Ménilmontant, et regardons.
Partout les rues sont enguirlandées et regorgent de monde sous le chaud soleil de juillet qui tombe à pic; les devantures des marchands de vins, avec leurs alignées de consommateurs assis à des tables, forment une haie vivante le long des trottoirs, entre les deux lignes de laquelle se passent des scènes curieuses.
D'abord un groupe de gens solennellement vêtus de la noire redingote et qu'on s'étonne de rencontrer dans ce quartier populeux d'ouvriers; mais on s'incline quand on apprend que c'est le comité de quartier qui délibère gravement et longuement sur la question des ciseaux, de la grosse tête ou du baquet.
Longues discussions avec l'entrepreneur de ces différents jeux. Prendra-t-il deux sous, trois sous, dix sous, ou fera-t-il tout au rabais? sans quoi le comité installera lui-même la foire en miniature dont les accessoires sont, au surplus, faciles à trouver, et qui sera la joie des enfants et la tranquillité des parents.
Enfin la discussion est terminée, la fête de quartier commence, et nous allons assister à toute une série de jeux divers dont il sera peut-être curieux de rechercher l'origine.
Les petits amusements, les jeux, sont certainement dans tous les pays la partie la plus intéressante des fêtes et des réjouissances publiques. Ils rappellent d'abord tout un passé et ensuite, dûs surtout à l'initiative privée, ils montrent le caractère, les mœurs, les habitudes, de ceux qui s'y livrent.
C'est ainsi que pour les anciens, en effet, les fêtes ou les réjouissances publiques étaient l'occasion de mille extravagances. les sottises du peuple faisaient la plus grosse partie des frais. C'était un débordement de fantaisies, licencieuses surtout, auxquelles, par une singulière opposition, la religion venait mêler son histoire par les représentations des mystères. Lors de l'entrée des rois, qui était alors la plus grande des fêtes, on établissait le long des rues des échafaudages sur lesquels on représentait des sujets tirées du Nouveau et de l'Ancien Testament, puis le peuple se livrait à des saturnales, singulier mélange qui montre bien le caractère à la fois religieux, crédule, de l'époque avec ses ivresses et ses aspirations à la liberté.
Ceci se passait en 1338 au bout de Saint-Maur-les-Fossés.
Dès le quatorzième siècle, des jeux vinrent s'y ajouter.
En 1355, le jour de Saint-Leu et de Saint-Gilles, les habitants de cette paroisse proposèrent de faire un esbattement nouveau. Ils plantèrent dans la rue aux Ours, en face de la rue Quincampoix, une perche de six toises de hauteur à la cime de laquelle était attaché un panier renfermant une oie grasse et quelques pièces de monnaie; ensuite il oignirent cette perche qui était dressée perpendiculairement et promirent l'oie et l'argent à celui qui saurait les atteindre. Personne n'y arriva de la journée; enfin le soir on adjugea l'oie à celui qui était monté le plus haut, mais on ne lui donna ni le panier, ni l'argent.
Voilà l'histoire du mât de cocagne, le premier jeu de réjouissance populaire que l'on trouve dans les chroniques de notre histoire.
Quant aux autres que nous allons décrire, leurs origines sont diverses, empruntés les uns aux époques les plus reculées de l'histoire grecque ou romaine, les autres à nos voisins, les Italiens surtout; ils se sont modifiés, transformés, et dans leur allure actuelle donnent une physionomie bien particulière à notre fête du 14 juillet.
Et d'abord les brouettes. Elles constituent avec le jeu des baquets tout ce qui reste des courses de chars de l'antiquité. L'homme y a remplacé l'animal, le pavé de la rue l'arène, et le quadrige s'est modernisé, il est devenu une brouette. Il s'agit de se mettre en ligne, puis, partant du pied gauche, d'arriver le premier à un but déterminé.



Pour augmenter la difficulté, le Barnum, car c'est toujours, nous le savons, un Barnum du quartier qui organise la petite fête, à son profit bien entendu, le Barnum complique la course par l'intervention de petites grenouilles vertes. Un panier découvert rempli de ces sautillantes bestioles est placé sur chaque brouette et... en avant! On juge si aux cahots les grenouilles doivent se sauver de tout côté en sautant comme des perdues. Il faut alors s'arrêter et les cueillir rapidement pour les remettre dans leur panier, puis repartir. A chaque instant la course est ainsi interrompue et devient une course de lenteur. C'est un vrai miracle si l'on revient au point de départ avec toutes les grenouilles; quelquefois, dix, vingt concurrents se relayent sans arriver au résultat et les assistants de rire, car rien n'est en effet plus amusant que ce tableau.

Au jeu de la poêle à présent. Celui-là, ainsi que le farinier, paraissent provenir de la même origine, et avoir pour père le Trugodiphresis des Grecs ou quête dans la lie, sorte d'amusement assez grossier, qui consistait à mettre ses mains derrière le dos et à saisir avec la bouche un objet placé au fond d'un plat de lie.
Son succédané est le jeu du moyen âge, dans lequel il fallait trouver avec le nez et ensuite arracher avec les dents un petit morceau de bois enterré dans de la terre récemment remuée.
Des amusements pas très propres au demeurant, comme on le voit.



Tout le monde connaît la poêle enduite de noir de fumée sur l'une des faces de laquelle se trouve collée une petite pièce de monnaie, qu'il s'agit d'enlever avec la langue ou les dents. La poêle est suspendue assez haut pour que le gamin soit obligé de se hisser sur la pointe des pieds, et, comme il a les mains derrière le dos, cet état d'équilibre invariable le pousse en avant à chaque tentative et, à la satisfaction de la galerie, la poêle lui racle la figure où de larges traînées noires se dessinent le faisant ressembler à un nègre pie.



Le farinier, on le devine est la contrepartie blanche de la poêle. On installe une chaise sur une table et sur la chaise est placé un panier assez profond pour que la tête entière puisse y rentrer. Au fond du panier, sous une épaisse couche de farine, se trouve dissimulé l'argent qui constitue l'enjeu et qu'il faut aller chercher avec les dents.
Eh bien! c'est beaucoup plus malin qu'on ne le croit.
Retenir son souffle jusqu'à ce que du bout du nez on ait labouré toute cette farine est une opération des plus compliquée, et on doit s'estimer heureux quand on en est quitte avec une bonne quinte de toux. Signalons seulement, maintenant, le jeu des bouteilles, analogue à celui de la grosse tête et des ciseaux que nous allons raconter plus loin. 
Passons au jeu du baquet, une des grandes distractions de l'ancienne fête de Saint-Germain.
Nous l'avons dit, c'est la course antique à laquelle s'est ajouté le jeu de la quintaine ou des bagues. Mais hélas! quelles transformations! A Saint-Germain, cependant char et cheval existait encore.




Le char était une charrette lancée à fond de train, c'est à dire au trot d'une poussive haridelle, l'hippodrome une avenue dans laquelle on suspendait entre deux arbres, un vase... non étrusque.
Derrière l'automédon et fixé sur la charrette, se trouvait un tonneau dans lequel s'encaquait jusqu'à mi-corps le combattant armé d'une mince et lingue perche. Au moment où le quadrige champêtre passait sous le baquet, il devait insinuer le bout de sa gaule dans le trou dont est percée l'anse du baquet. A défaut de ce faire et pour peu qu'il effleurât de sa lance le récipient en équilibre sur son cordeau, celui-ci, véritable vase de Damoclès, se retournait aussitôt et arrosait d'une copieuse et réfrigérante aspersion le nouvel Amadis des Gaules.
Si au contraire, le vaillant et adroit champion avait le bonheur de frapper juste, non-seulement il ne recevait pas d'eau, mais un baril de Suresnes l'attendait au terme de sa noble carrière. Que l'on juge de l'humiliation du vaincu par le prix réservé au vainqueur: à l'un toute l'eau sans le vin, à l'autre par contre tout le vin!
Aujourd'hui il ne reste en quelque sorte que l'ébauche de tout cela: le char romain, la charrette, sont devenus de simples charretons pour les courses en ville et le noble coursier est un camarade du concurrent ou un homme de peine, un mercenaire qui fait là, c'est le cas de le dire, un véritable métier de cheval.
Le jeu du baquet, en traversant le moyen âge, s'était déjà modifié une première fois, et accommodé aux rudes mœurs de l'époque. Un arrosage d'eau! quelques gouttes! il s'agissait bien de cela jadis!



Parlez-moi du faquin, un grand mannequin armé de toutes pièces contre lequel on courait.
Cette figure était fixée sur un pivot de façon à rester ferme si on la touchait au front, au nez, entre les yeux; mais, quand on la touchait à d'autres endroits, elle tournait si vite que si le cavalier n'était pas prompt à esquiver le coup, elle le frappait rudement avec un grand sabre de bois ou avec un sac rempli de terre suspendu au bout de son bras, de façon à faire quelquefois encourir grande malechance et mirifique horion au paladin.
Aujourd'hui les mœurs sont heureusement adoucies, on rit peut-être moins, car il paraît que c'est toujours follement amusant que de voir quelqu'un recevoir de bons et solides coups, mais on s'amuse davantage, et plus pacifiquement ce qui vaut mieux.
Nous arrivons au jeu de la grosse tête, ou de l'aveuglette, dont les ancêtres ne sont pas moins curieux à présenter.
En 1830, les Parisiens se procurèrent un singulier spectacle dans l'hôtel d'Armagnac. Ils formèrent une enceinte, y firent rentrer un cochon et quatre aveugles, chacun armé d'un bâton. On promit le cochon a celui d'entre-eux qui parviendrait à le tuer. L'enceinte était entourée de nombreux spectateurs impatients de voir le dénouement de cette comédie. Les aveugles se précipitaient tous vers l'endroit où ils entendaient courir l'animal et se meurtrissaient réciproquement de coups en croyant le frapper, aux grands esclaffements de la galerie.
Plus tard le cochon était, paraît-il, devenu trop cher et fut remplacé par une marmite de fèves bouillies avec quelque menue monnaie au fond.
Les Italiens l'ont conservé avec sa forme sous le nom de jeu de la pignata. Voici comment il se pratique: on place à vingt pas une belle marmite ou pignata, sous laquelle se trouve réuni l'argent qu'a déposé chacun des partenaires. On tire au sort le premier qui doit commencer, on lui bande les yeux, ou on lui couvre la tête d'un masque, on l'arme d'un fort bâton qu'il tient levé, après quoi on le laisse se diriger vers la marmite; le gain sera à lui, s'il la casse.
Le joueur marche donc à l'aveuglette, pour se diriger vers la marmite et lorsqu'il croit l'avoir atteinte, il doit frapper un grand coup pour la casser. s'il y réussit il prend l'argent, sinon à un autre.
Ce jeu est très difficile, mais très amusant. Il arrive souvent que les joueurs se succèdent une journée entière sans casser la marmite. Il y en a qui tombent avant d'arriver, d'autres qui prennent une route tellement opposée à l'objet qu'ils veulent atteindre, que cela est vraiment drôle.
La pignata est très suivie en Italie, et se jouait beaucoup en France en 1800 dans les familles issues d'Italiens originaires de la Lombardie; aujourd'hui il est resté le même et est connu sous le nom de jeu de la grosse tête, à l'usage des jeunes amateurs.
Il nous reste à passer en revue les ciseaux, les pommes de terre.
Les ciseaux faisaient fureur surtout à Nanterre, et le célèbre pompier de la localité y remplissait un rôle important.



Ce jeu est facile à comprendre. Une petite fille les yeux bandés et une paire de ciseaux à la main, doit essayer de venir couper un fil au bout duquel est suspendu un paquet contenant des colifichets ou des friandises. Il y a là les mêmes péripéties et les mêmes drôleries que pour la pignata. Mais le pompier, que vient-il faire là? Eh bien, n'est-ce pas un jeu de petites filles incapables de retenir leurs langues? Dès lors, tout le cercle, toute la galerie cause, babille, fait des observations et détourne l'attention de la scène qui doit se dérouler dans un majestueux silence; de plus, jamais, paraît-il, les petites filles ne peuvent s'empêcher de guider l'aveugle: "Tu y es, pas par là, à droite, à gauche, plus haut!" tels sont les cris, les exclamations qui s'entrecroisent en l'air et que le pompier doit arrêter d'un roulement de tambour.
Un mot seulement sur les pommes de terre.



Il y en a 34, ni plus ni moins, crues, posées sur le sol en pente à cinq à six mètres les unes des autres. On doit en courant les ramasser successivement et les porter, l'une après l'autre aussi, dans le panier qui sert de but, et cela sans souffler, sans s'arrêter. C'est la course à pied avec obstacles, ces derniers étant remplacés par des pommes de terre.
Tels sont, en résumé, les divertissements et les jeux populaires les plus répandus à Paris et en province  au 14 juillet, sans oublier pour mémoire, ceux de l'arc, de la bague, le katcheli ou balançoire russe composée de quatre, six ou huit fauteuils suspendus autour d'une roue qui tourne, les quilles, les boules, le palet, etc., etc..., presque toujours florissants. Leur origine, on le voit, est ancienne et leur modifications curieuses. Quelques-uns remontent à la fête de la rosière de Sallency instituée au troisième siècle par saint Médard, évêque de Soissons; ils ont, tour à tour, fait la joie des foires de Saint-Lazare, Saint-Denis, Saint-Germain, Corbeil, Nanterre et tant d'autres aujourd'hui disparues. En ce qui concerne Paris, tout au moins, avec les fêtes qu'ils animaient, ils sont rentrés des faubourgs dans la capitale, et, modifiés encore, ont pénétré depuis quelques années jusque dans les salons qui leur empruntent les figures du cotillon.

                                                                                                                           Hacks.

L'Illustration, samedi 18 juillet 1891.

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