samedi 12 septembre 2015

Des mariages en Chine.

Des mariages en Chine.


Il arrive souvent qu'on contracte des alliances pour des enfans qui ne sont pas encore nés. Deux femmes enceintes se promettent mutuellement de marier les enfans qu'elles portent en leur sein, supposé qu'ils soient de différens sexe; et pour rendre la promesse plus obligatoire, on dépose des arrhes, une bague et un bracelet destinés à celle qui mettra au monde une fille, et deux éventails de la même forme et couleur qui seront pour celle qui accouchera d'un garçon; cette convention une fois faite, il est presque impossible de se rétracter. On écrit ensuite la promesse du mariage mutuelle dans un livre doré sur tranche qui ne contient qu'une feuille; après la naissance de la fille, on écrit sur ce livre son nom, ceux de ses père et mère, et le lieu de sa naissance. On envoie en cérémonie ce livre aux parens du garçon, qui, de leur côté, en envoient un semblable aux parens de la fille.
Ces formalités une fois remplies, on ne peut plus reculer; il faut que le mariage ait lieu, excepté le seul cas où l'un des futurs époux serait lépreux. Aussi dans l'affaire du mariage, il n'est pas question du consentement des parties contractantes, puisqu'il est conclu par les parens bien longtemps avant qu'elles soient dans le cas de la donner; voilà pourquoi, on voit en Chine tant d'unions mal assorties, tant de femmes mariées qui ne trouvent de fin à leurs malheurs domestiques qu'en se pendant ou se noyant. Ordinairement ce ne sont pas les parens qui font les premières démarches pour conclure un mariage; il y a des négociateurs d'office des deux sexes qui en font métier, comme pour les autres genres de commerce, moyennant un droit de courtage.
C'est un déshonneur pour les filles de n'être pas déjà fiancées à l'âge de dix ans; lorsque cela arrive, on dit que le commerce va mal. Parvenue à l'âge de quatorze et quinze ans, une fille ne peut plus sortir de la maison, ni se présenter à des étrangers qui entrent chez elle. Lorsqu'on se dispose à faire des fiançailles, les parens du garçon avertissent ceux de la fille de fixer le jour, et lorsqu'il est arrivé, l'entremetteur du mariage, accompagné de deux hommes et d'autant de femmes (ces dernières sont ordinairement de la lie du peuple, désignées sous le nom vil de femmes aux longs pieds, parce qu'on les leur a laissé croître dans leur dimension naturelle), se présentent à la maison des futurs époux, avec les présens d'usages, renfermés dans différens paniers, dans l'un desquels se trouvent les deux livres dorés sur tranche dont on a parlé plus haut, et autour desquels sont placés différentes espèces de fruits, selon l'étiquette. Aux quatre coins du panier sont des piastres rangées en piles. Un autre panier contient un jambon frais, pesant environ douze livres; le pied du jambon doit être envoyé au beau-père de la future. un troisième panier renferme du vermicelle.
A l'arrivée des porteurs, on tire des pétards pour annoncer la nouvelle aux voisins et aux environs, et l'on allume deux cierges de couleur rouge, que l'on place à l'entrée du premier appartement; alors la fiancée vient et partage le jambon aux personnes présentes; mais le nombre en est souvent si grand qu'à peine y en a t-il une bouchée pour chacun. De son côté, elle renvoie au futur époux le petit livre qui contient la promesse du mariage, avec autant de paniers qu'elle en a reçus et contenant des présens de la valeur de ceux qu'on lui a offerts; ils sont cependant d'un genre différent, et consistent principalement en fruits divers, divisés en seize paquets, dont chacun doit avoir sur les angles une certaine fleur posée sur un papier rouge. Le fiancé reçoit aussi de sa belle-mère de petits cadeaux de peu de valeur qu'il distribue à l'instant aux personnes présentes. Parmi ces cadeaux, la graine de citrouille séchée au soleil compte pour un. Après les fiançailles, le jeune homme ne peut, sous aucun prétexte, approcher de l'habitation de sa fiancée, qu'il ne doit voir que le jour de ses noces. Le père de la fille ne tarde pas à demander de l'argent à son gendre futur. La somme la plus modique, pour le prix d'une femme, est d'environ 40 piastres. Le prix ordinaire est de 70 à 90 taëls: le taël vaut environ 7 fr. 50 c. Le futur époux n'a sa femme que lorsqu'il a entièrement payé le prix convenu, sans compter les frais de noces.
Le jour du mariage étant arrivé, le courtier, accompagné des porteurs de palanquin, et suivi d'une commère destinée à diriger la nouvelle mariée, prend les devans, après avoir toutefois consulté un astrologue pour savoir si le jour est heureux ou néfaste; dans ce dernier cas, on se munit d'une grosse pièce de porc crue, afin que le démon qui, sous la forme d'un tigre, penserait à contrarier la noce, tout occupé à dévorer ce morceau, la laisse tranquille, et ne lui fasse rien de fâcheux.
De son côté, la fiancée, levée avant l'aurore, fait une toilette complète, se parant de tous ses joyaux et de ses plus riches vêtemens, qui sont recouvert par d'autres moins somptueux, le tout est recouvert d'un habit de noce qui n'est autre qu'une grande mantille qui l'enveloppe toute entière. On l'affuble d'un énorme chapeau en forme de corbeille, qui lui descend presque aux épaules et lui couvre toute la figure. Ainsi parée, elle monte dans un palanquin rouge porté par quatre estafiers. Sur la route, tous les passans doivent lui céder le pas, fût-ce le vice-roi lui-même.
Le palanquin est entièrement fermé, de sorte qu'elle ne peut ni voir ni être vue. A quelque distance, suivent un ou plusieurs coffres de la même couleur que le palanquin, contenant les hardes de la nouvelle mariée. le plus souvent, ils ne renferment que de vieilles jupes et des chiffons sur lesquels on voit souvent pulluler toute sorte de vermine. Il s'y trouve toujours un rideau de lit, article indispensable, et qui, selon sa valeur, lui procure une réception plus ou moins favorable chez son futur. Il est d'usage que toutes les personnes qui forment le cortège pleurent jusqu'à leur arrivée à la maison du mari. Il y a des larmes de douleur et des larmes de joie. Les Chinois ont les unes et les autres quand ils veulent. Enfin, un courrier qui devance le cortège de quelques minutes, arrive tout essoufflé, frappe rudement à la porte du futur, et s'écrie d'un air empressé: La voilà! la voilà! Aussitôt un grand nombre de pétards, au bruit desquels se mélangent les sons discordants de plusieurs instrumens de musique, annoncent l'arrivée de l'épouse, qui s'arrête à l'entrée de la maison; le futur va vite se retirer dans une chambre où il se renferme, regardant de temps en temps par le trou de la serrure pour savoir ce qui se passe.
L'entremetteuse qui a accompagné l'épouse prend un petit enfant, s'il y en a un dans la maison, et lui fait saluer la jeune dame qui vient d'arriver, après quoi elle entre dans la chambre du futur pour lui annoncer l'arrivée de l'épouse. Celui-ci affecte un air indifférent à tout ce qui se passe, et paraît occupé à d'autres affaires. Cependant il sort avec l'entremetteuse, s'avance d'un pas grave, s'approche du palanquin, en ouvre la portière d'un air ému et tremblant; l'épouse en sort, et ils s'acheminent tous deux ensemble vers la tablette des ancêtres qu'ils saluent par trois génuflexions; ils se mettent ensuite à table l'un vis à vis de l'autre; l'entremetteuse les sert, le mari boit et mange, mais l'épouse n'en fait que le semblant, car son énorme chapeau qui lui couvre la figure l'empêche de rien porter à sa bouche. Le repas fini, les époux entrent dans leur chambre. Tous les assistans attendent avec une vive anxiété le résultat de cette première entrevue, car c'est alors seulement que le mari ôte le chapeau de sa femme, et voit sa figure pour la première fois de sa vie. Qu'elle soit jolie ou laide, borgne, chassieuse, difforme, etc. il faut qu'il prenne son parti et se résigne à l'avoir pour femme légitime; et quel que puisse être son désappointement dans cette circonstance, il doit le dissimuler et paraître au-dehors content de son lot.
Après que le mari a considéré quelque temps sa femme, les parens, amis et conviés entrent dans l'appartement pour en faire autant et la contempler à loisir; et chacun a droit de dire tout haut sur son compte, le petit mot. Les femmes surtout exercent leur censure avec une grande liberté, et prennent leur revanche de ce qui leur est arrivé à elles-mêmes. Après cet examen, la fiancée est présentée d'abord à son beau-père et à sa belle-mère qu'elle salue respectueusement, et ensuite à ses parens.
Le second jour des noces, le mari porte aux mêmes convives une autre carte d'invitation avec les mêmes formalités que la première fois. Ce jour-là, la nouvelle mariée va présenter ses respects aux femmes qui ont honoré la fête de leur présence, et fait à chacune d'elles, une génuflexion; elles, de leur côté, lui font présent chacune d'un anneau ou de quelque bijou, qui doit valoir au moins 40 sapèques. Les jeunes invités se réunissent et font cadeau au nouveau marié de deux lanternes chinoises. Durant la nuit, tous les convives réunis font une espèce de charivari aux époux. Au milieu du tumulte, et lorsque ceux-ci sont censée endormis, les premiers tentent d'entrer dans l'appartement, soit en essayant de forcer la porte d'entrée, soit en pratiquant une ouverture dans le mur, pour tâcher d'enlever les vêtemens des époux ou autres objets. S'ils réussissent, le mari est obligé de racheter à prix d'argent les objets volés.
Dans les cérémonies qui accompagnent la célébration du mariage, la gravité chinoise n'admet ni les danses ni ces élans de gaîté qu'on voit parmi nous dans les mêmes circonstances; mais d'un autre côté, ils se permettent sans scrupule des propos licencieux et des actes indécens.
Les instrumens de musique ne cessent de jouer tout le temps de la fête, qui se termine par quelque farce jouée par des bateleurs de profession.
Avant de se retirer, on fabrique un petit mannequin représentant un enfant qu'on porte au lit des époux, dans l'espoir de voir naître bientôt un garçon. On le donne ensuite aux comédiens avec une poignée de sapèques pour leur salaire.
Si le père ou la mère des deux époux venait à mourir, il faudrait différer les cérémonies du mariage pendant les deux ans que dure le deuil. La même interdiction a lieu dans toute la Chine à la mort de l'empereur.
Les 12e, 13e et 14e de la lune sont des jours de fêtes consacrées aux génies. A cette époque, dans les villages où il y a des personnes mariées dans le courant de l'année, tous les habitans des deux sexes se réunissent et vont, dans la nuit, rendre visite à la nouvelle mariée, qui les reçoit debout devant son lit, ayant son mari à côté d'elle. On ne lui adresse point la parole; on l'examine bien comme une pièce de curiosité. Elle ne dit rien non plus, mais le mari prend la parole et fait un pompeux éloge de sa femme et surtout de ses perfections extérieures; il leur fait remarquer ses belles mains, ses pieds mignons, ses yeux fendus en biais. ensuite il régale les visiteurs d'une tasse de thé et d'une pipe de tabac. Les femmes sont admises après les hommes, et elles examinent à leur tour la nouvelle mariée et ses ajustemens. Elle leur adresse peu de paroles et parle avec beaucoup de retenue, de peur qu'on interprète ses discours avec malignité.
La fête du mariage finie, le gendre ne peut entrer dans la maison de son beau-père, et vice versa, s'ils ne se préviennent pas mutuellement par un repas d'étiquette. Cette obligation remplie, ils peuvent ensuite se voir quand bon leur semble.

Le Magasin universel, mai 1835.

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