samedi 12 septembre 2015

Chartres.

Chartres.

Chartres est une des villes de France les plus intéressantes, surtout sous le rapport historique; aussi lui consacrerons-nous plus d'un article. Dans celui-ci, nous ne nous attacherons qu'à en faire une description succincte.
Chartres, chef-lieu du département d'Eure-et-Loir, est situé sur la croupe d'une montagne, au pied de laquelle coule la rivière d'Eure, qui baigne une partie de ses remparts et vivifie ses gracieux alentours. Cette ville est entourée de vieilles fortifications, qui témoignent à la fois de son ancienneté et de son importance. Ces fortifications datent du XIe et XIIe siècles; elles sont construites avec une solidité telle, que même long-temps avant l'invention de l'artillerie, elles passaient presque pour inexpugnables: le fait est qu'Henri IV, en 1591, assiégea vivement la ville de Chartres sans pouvoir s'en rendre maître. Elles consistaient en une enceinte de murailles fort élevées, appuyées sur un terre-plein de plusieurs toises de largeur, et flanquées de grosses tours rondes. 
Les portes sont au nombre de sept. La plus remarquable est la porte Guillaume, ainsi appelée du nom du vidame de Chartres sous lequel elle fut bâtie. 



Son aspect guerrier a quelque chose d'imposant. A droite et à gauche s'élèvent deux tours unies par une courtine, et au-dessus règne une galerie saillante à créneaux et machicoulis. Cette porte est voûtée en ogive: on remarque encore sous la voûte la coulisse, la herse et l'ouverture qui donnait passage à l'assommoir, ainsi que celles par où passaient les flèches du pont-levis; à côté est une autre petite porte  ou guichet, pour les rondes de nuit. Du reste la gravure qui accompagne cet article, représente exactement la porte Guillaume.
Il ne faut pas croire que l'espace compris dans cette vaste enceinte de murailles fut entièrement couvert de maisons; une grande partie était en jardins, en places, et même en bois et terres labourables; peu à peu on utilisa ces emplacements, et des édifices, des églises, des couvens s'élevèrent sur plusieurs points; mais il y a long-temps que les constructions se sont arrêtées, car la ville compte peu de maisons nouvelles. Tout y parle des temps anciens. Les rues sont étroites, mal alignées, et, dans la partie appelée la basse ville, tellement escarpées, qu'elles sont inaccessibles aux voitures; la plupart de celles qui suivent la pente de la colline ont la forme d'escaliers, presque toutes les maisons bâties en bois et en terre, ont des portes en ogives, décorées de sculptures gothiques. Quoique l'ensemble de la ville soit mal bâti, on y trouve cependant quelques quartiers agréables, et des places publiques vastes et assez régulières.
Quant aux monumens, Chartres en compte peu de remarquables, à l'exception des églises, qui toutes sont visitées avec intérêt. Nous citerons celles de Saint-Aignan, et de Saint-Père, et avant tout la cathédrale, l'une des plus belles constructions de l'architecture gothique en France. "J'ai observé un grand nombre de monumens, dit M. Fréminville, mais je n'en ai vu aucun qui réunisse comme celui-ci l'étendue du plan à la grandeur des proportions, l'étonnante hardiesse de construction et l'admirable délicatesse des détails d'ornemens qui y sont répandus avec profusion; cet édifice, enrichi de statues, de bas reliefs exécutés à des époques différentes, est un véritable musée de sculpture française de tous les âges, où l'on peut embrasser d'un seul coup d’œil les progrès successifs de l'art et la chronologie des costumes."
On a si souvent parlé de la cathédrale de Chartres; on l'a décrite, avant nous, avec tant de soin, qu'il devient inutile de rentrer à nouveau dans de longs détails à cet égard: quelques mots suffisent. La première basilique de cette ville avait été incendié par les Normands en 858, et réparée une première fois. Au Xe siècle, elle devint encore la proie des flammes, enfin, en 1020, un troisième incendie, occasionné dit-on par le feu du ciel, consuma et la cathédrale et la ville presque entière. Chartres avait alors pour évêque Fulbert dont le zèle fournit les moyens de réparer assez promptement ce désastre. A sa prière, un grand nombre de personnes puissantes, les bourgeois, les marchands, et jusqu'aux artisans de la ville, contribuèrent, selon leur fortune, au rétablissement de l'église. Lorsque Fulbert mourut en 1028, l'édifice était presque complètement reconstruit. Deux de ses successeurs et la princesse de Mahaut, veuve d'un duc de Normandie, firent continuer les travaux. Le grand portail et le vieux clocher ne furent achevés qu'en 1145. L'autre clocher, auquel on travaillait en 1506, ayant été frappé par la foudre, le chapitre se détermina à le faire achever en pierre. On accorda des indulgences à ceux qui contribueraient à cette oeuvre pie: l'argent arriva de toutes parts; et Jean Texier, dit de Beauce, éleva cette pyramide si admirée des connaisseurs. Le maître entrepreneur gagnait alors sept ou huit sous par jour, et ses compagnons cinq sols.
Cette cathédrale, dont la construction s'est prolongée pendant à peu près cent trente ans, fut dédiée à la Vierge, en octobre 1260.
A l'extérieur on admire la façade et les deux porches latéraux qui paraissent appartenir au XIIIe siècle; ils sont décorés de statues, de galeries, de niches travaillées à jour, de figures et de colonnes d'une riche sculpture.
Les grandes rosaces qui ornent les portails, sont d'un travail précieux, rehaussé encore par l'éclat de superbes vitraux. A l'angle méridional de l'église, on remarque une figure qui pique la curiosité: c'est celle d'un âne, sculpté en saillie, et qui paraît jouer de la harpe; dans le pays on le désigne sous le nom de l'âne qui vielle. Peut-être est-ce là un souvenir de la fête extravagante de l'âne, qu'on célébrait au moyen âge dans plusieurs parties de la France.
L'intérieur de la cathédrale n'est pas moins digne d'attention. On est à la fois frappé de l'harmonie de ses proportions, et ému par la majesté religieuse de ses voûtes, sous lesquelles règne un jour mystérieux, bizarrement reflété sous mille et mille couleurs. Un grand nombre de statues décorent les diverses partie de l'édifice; elles sont dues aux ciseaux du statuaire Bridan. Ces morceaux de sculpture sont en général bien composés, quoique plusieurs figures manquent de légèreté. La plus remarquable est le groupe qui orne le chœur: on y admire surtout la pose élégante et noble de la Vierge. Pendant le régime de la terreur, des vandales voulurent détruire ce chef-d'oeuvre, qui ne fut sauvé que par la présence d'esprit d'un homme sage et éclairé. Il eut l'idée d'affubler d'un bonnet rouge la tête de la Vierge, et de la transformer en déesse de la liberté; grâce à cette burlesque métamorphose, la cathédrale de Chartres conserva un de ses plus précieux ornemens.
Le pourtour extérieur du chœur, commencé par Jean Texier, en 1514, et terminé sur ses dessins, excite l'admiration des artistes par la richesse de son architecture, et par la belle exécution de ses moindres détails. Cet ouvrage est conçu dans le style gothique le plus riche et le plus élégant.
Au-dessous de l'église, en est une autre, dite église sans terre, dans laquelle on descend par cinq escaliers différens. On y voit une chapelle de la Vierge, où les fidèles vinrent de tout temps en pèlerinage faire des dévotions, et déposer des ex-voto et des offrandes; près de l'autel est un ancien puits, nommé le puits des saints forts, parce que du temps des persécutions, sous l'empereur Claude, le gouverneur de Chartres, après avoir fait passer au fil de l'épée un grand nombre de chrétiens, fit jeter leurs cadavres dans ce puits.
Telles sont les parties les plus remarquables de cette magnifique basilique.
Le commerce et l'industrie n'ont dans le département dont Chartres est le chef-lieu, que peu d'importance: les grains forment la principale branche d'exportations; une grande partie des blés qui s'y recueillent est destinée à l'approvisionnement de Paris. Il en passe aussi beaucoup à Orléans, pour de là être embarqués sur la Loire.
Chartres est la patrie de plusieurs personnages célèbres, parmi lesquels nous citeront: Foulques ou Foucher, qui suivit la première croisade, et fut chapelain de Baudouin, premier roi de Jérusalem; Amaury de Chartres, fameux hérétique du XIIIe siècle; Philippe des Portes, né en 1546, auteur de poésies, pleines de verve et de grâce, qui contribuèrent à épurer notre langue; Mathurin Régnier, né en 1575, poète satirique; le janséniste Pierre Nicole, né en 1625; André Félibien, né en 1619, historiographe distingué; les conventionnels Jean Dussaulx, Jean pierre Brissot de Warville, et Pétion de Villeuneuve; enfin Marceau, qui, soldat à 16 ans, fut général à 23, et mourut à 27 à Altenkirken, en l'an IV; une pyramide lui fut érigée en 1801, sur une des places de Chartres, avec cette inscription: Témoignage de l'affection des Chartrains pour leur concitoyen.

                                                                                                                                 J. B.

Le Magasin universel, mai 1835.

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