samedi 1 août 2015

L'école pour Fiancées.

L'école pour Fiancées.

Chères lectrices, il est inutile de vous expliquer le "coup de foudre", car beaucoup d'entre vous, que nous devinons toutes charmantes, l'ont provoqué chez de pauvres mortels! Quand, en présence d'une jeune femme, un homme a ressenti le coup de foudre, son esprit n'évoque plus qu'une image: celle de la bien-aimée; sa pensée ne va plus qu'à un seul être: la toute belle; le reste du monde lui est indifférent: il faut qu'il épouse celle dont la beauté et la grâce ont conquis son cœur tout entier. Eh bien! l'expérience nous apprend qu'en général de pareils mariages ne sont point heureux. L'homme n'a point recherché les qualités morales et intellectuelles de sa fiancée, il ne s'est préoccupé ni des différences de rang ou d'éducation, ni des heurts possibles de caractère, il n'a rien fait pour assurer la stabilité de son bonheur. Et la lune de miel achevée, l'habitude prise de la vie en commun, l'amour s'éteint, les incompatibilités de goûts, d'humeur, de pensée, s'accusent, et le beau rêve finit dans l'enfer conjugal.
Pratiques, les Anglais et les Américains ont voulu éviter ce triste épilogue des mariages d'amour. Ils en ont recherché les causes et en même temps, ils en ont trouvé le remède.

A l'école, mesdemoiselles.

Puisque les princes qui épousent des bergères deviennent malheureux à cause de la différence d'éducation qui sépare mari et femme, éduquons la femme, disent-ils, puisqu'un artiste qui fait de sa servante sa femme ne l'aime plus sous prétexte qu'elle ne comprend rien à l'art et témoigne d'un goût déplorable, enseignons la beauté à l'épouse. Élevons les femmes au niveau de leurs maris!
Et ils ont fondé des écoles spéciales pour fiancées. Quand un jeune lord ou un fils d'industriel richissime a exprimé sa volonté bien arrêtée d'épouser telle gentille petite ouvrière ou telle demoiselle de magasin, et que tous les arguments et menaces n'ont pu lui faire abandonner son projet, ses parents proposent à leur future belle-fille un stage, à leurs frais, dans une institution de fiancées. La jeune fille, que la nécessité de gagner sa vie avait placée à treize ans à l'atelier, apprend non seulement les usages mondains et les arts d'agrément, mais aussi les sciences et les lettres qui font d'elle non un bas bleu, mais une femme instruite. Après deux, trois, cinq ans (maximum), selon l'intelligence de la jeune fille et son degré d'instruction antérieure, la petite miss est en état de faire honneur à son mari, et d'être une maîtresse de maison accomplie.

Quelques surprises.

Or, savez-vous ce qui, fréquemment se produit quand la jeune fille a terminé son éducation? Elle refuse le brillant parti qui s'offre à elle! L'instruction a développé l'intelligence et le jugement de la jeune fiancée. Son futur mari, qui jusqu'alors lui était apparu comme une "aubaine" de richesse, se révèle sous son vrai jour, peu flatteur quelquefois, et la jeune fille, comprenant qu'après tout il est d'autres joies que celles du mariage imposé, refuse tout net d'épouser qui lui déplaît, en dépit du rang, du nom, de la fortune.
C'est ainsi que l'on vit, l'an dernier, cette unique aventure: une des plus nobles et puissantes familles d'Angleterre supplier à deux genoux la fille d'un pauvre fermier d'Ecosse de bien vouloir épouser leur fils, duc authentique, millionnaire et amoureux fou! La petite Écossaise ne voulait rien savoir, sous le prétexte que la jeunesse orageuse de son futur mari en avait fait un morose compagnon, toujours geignant, soupirant et rhumatisant.
Aux Etats-Unis, le plus jeune fils du "roi du coton" avait fait "élever" à vingt ans une servante de brasserie, rencontrée dans un misérable faubourg de San-Francisco. L'éducation dura quatre ans pendant lesquels Mary G... étudia la peinture avec tant de bonheur qu'elle surpassa ses professeurs. Et quant le "roitelet du coton" la vint chercher pour lui offrir son cœur et un palais, elle répondit:
- Nô!
Mary ne se sentait pas le goût du mariage.
Elle voulait se consacrer toute à son art. Et si le mariage la tentait quelque jour, elle épouserait un mari qu'elle aimerait, pas un indifférent. Et elle tint bon, elle remboursa le roi du coton des frais qu'il avait consentis pour elle, lui jura une reconnaissance filiale et s'en fut.
Mary G... deviendra un des plus grands peintres du nouveau monde. Et son ancien fiancé n'est pas marié...

Histoire d'un grand peintre.

Il serait injuste de prétendre qu'en Amérique seulement on a voulu concilier "le cœur et la raison". Les Parisiens qui ont été mêlés, il y a quelques dix ans, à la vie mondaine n'ont pas oublié la touchante histoire de ce peintre "arrivé" qui rencontra, un soir, dans un music-hall, une jeune femme dont l'esprit était aussi inculte que le visage plein de grâce. Il décida d'en faire sa femme; mais comprenant qu'un futur membre de l'institut ne pouvait donner son nom à une fiancée qui disait le cintième étage, qui parlait du colidor et avait rencontré quat'z-amies, il l'expédia à Lausanne, dans l'une de ces nombreuses institutions pour jeunes filles qui font de la charmante ville suisse la "ville des pensionnats". Quand elle en revint, après quatre années, la petite Parisienne parlait français comme Jules Lemaître et pianotait comme si, de sa vie, elle n'eût fait autre chose.

Comment se maria un académicien.

L'histoire d'un des plus charmants écrivains du XIXe siècle, qui, d'origine suisse,  fut membre de l'Académie française et mourut il y a cinq ans, ne diffère guère de celle-ci.
Parvenu à l'âge mûr, ayant goûté à tous les plaisirs et un peu blasé de chacun, notre homme de lettres remarqua chez ses parents une fraîche servante de dix-sept ans, fille de pauvres fermiers de la montagne, qui travaillait de l'aube à la nuit, comme un petit cheval de labour. Ainsi que tant d'autres, il aurait pu profiter de la situation de fils de la maison pour mettre à mal la pauvre enfant. Mais il avait été à même d'apprécier qu'une servante intelligente, jolie et affectueuse, peut faire mieux le bonheur d'un mari qu'une grande dame sotte et frivole.
Il plaça la petite paysanne, absolument illettrée, dans un pensionnat de jeunes filles où l'on entreprit son éducation et son instruction. La servante profita des leçons qu'elle reçut. Après cinq ans, elle fut une jeune fille accomplie et en état de devenir une maîtresse de maison. Alors l'écrivain l'épousa. Nul n'eut jamais salon plus fréquenté, intérieur plus confortable, vie de famille plus exquise. Et, non plus, personne n'eut compagne plus dévouée et meilleure conseillère!

Mon Dimanche, Revue populaire illustrée, 5 février 1905.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire