dimanche 16 août 2015

La souris échappée.

La souris échappée.


Voici une des plus naïves et des plus jolies compositions du célèbre peintre anglais Wilkie. Comme ce petit tableau de genre est animé, comme la vie y circule! Il a la grâce, le charme, la vérité, en un mot toutes les qualités précieuses qui distinguent les œuvres des grands artistes anglais et qui leur donne un mérite spécial, une originalité réelle.


Un tableau de Wilkie.


Cette scène ne semble-t-elle pas formée de personnages vivants? Ce tableau n'est-il pas parlant?
Un jour, en vous promenant dans n'importe quelle partie de la campagne britannique, vous avez trouvé une humble maison dont la fenêtre était ouverte, et vous vous êtes indiscrètement penché pour regarder. Un intérieur anglais vous est apparu tout brillant de sa propreté proverbiale. Tout semble reluire: pas une toile d'araignée entre les poutres solides, pas un objet hors de place. La lumière frappe sur l'armoire bien frottée, sur le pot bien net, sur tous les ustensiles du ménage bien rangés par la main d'une ménagère soigneuse. La scène qui se passe là est à la fois simple et comique.
Une souris s'est échappée de cette souricière que vous apercevez dans un coin, et elle a fui, effrayée. Où est-elle? Sans doute sous la chaise ou sous le rouet de cette gracieuse jeune femme qui a remonté si naturellement ses pieds et ses jupes pour ne pas donner asile à l'ex-prisonnière contre laquelle un enfant et un chien ont subitement organisé une chasse. Ils y mettent de l'ardeur, de la passion. L'un enfonce vivement son balai sous la chaise, l'autre y porte avidement son museau. Mais ce qui est bon à regarder, c'est derrière le groupe affairé qui furète, la figure paisible et pourtant curieuse de la vieille mère qui a été attirée par le bruit et dont on n'aperçoit que la tête et la main droite contre la porte entrebâillée, c'est la gaieté éclatante du mari qui a été tellement saisi par le rire, que sa pipe lui est tombée d'entre les dents.
Cette scène familière est un tableau peint de main de maître, et les qualités du maître y rayonnent. Voyez comme les poses sont admirables de naturel, comme les gestes sont simples mais exactement vrais. Cette femme penchée pour regarder à ses pieds qui ne s'appuient plus que sur la pointe de ses souliers, ce mauvais chien flairant, la queue dressée, le poil hérissé, cet homme riant les mains en l'air, le chapeau renversé, d'un rire franc qui vous gagne, tout jusqu'à cette malheureuse pipe qui s'est vidée dans sa chute et dont le contenu fume sur le plancher, concourt à rendre cette petite toile très-intéressante pour le regard.
Voilà comment on comprend la peinture de genre. Elle doit être la reproduction fidèle mais intelligente des scènes où se reflètent le caractère, les habitudes, les mœurs d'un peuple. Ici, maison et personnages sont bien anglais, le peintre national leur a donné un cachet auquel nul ne peut se tromper. C'est que Wilkie a mis un grand talent au service de la peinture de genre qui est montée au premier rang en Angleterre. Elle met devant nos yeux les scènes intimes, familières, le mouvement de tous les jours. c'est la vie réelle reproduite sous ses aspects les plus simples, les plus ordinaires, ce n'est pas le réalisme. En définitive, le sujet de ce tableau est des plus vulgaires: Une souris échappée! L'inspiration proprement dite n'a rien à voir là-dedans; il n'y a pas une idée, un sentiment, un fait à idéaliser, c'est à dire à élever dans de hautes régions. Mais ce vulgaire est gracieux dans sa simplicité, dans sa vérité. Étudiez ce pauvre intérieur, cette famille d'artisans. Pas un détail choquant, pas une figure repoussante ou grossière. Le visage de la mère est vénérable, celui du mari honnête, joyeux, ouvert, l'épouse est une belle femme aux bras ronds, à la taille gracieuse. L'artiste a peint une scène familière, il n'est pas descendu au trivial.
Il n'y a donc pas à s'étonner que la peinture de genre ait acquis en Angleterre une vogue et une célébrité très-méritées. Ainsi comprise, elle attire, elle plait, elle amuse. On regarde avec plaisirs ces jolis tableaux comme on lit avec un intérêt des plus vifs un page de ces romanciers à l'esprit profond et singulièrement observateur qui, dans leurs ouvrages sans prétention, se montrent souvent bien supérieurs à nos romanciers épris de l'épouvantable, de l'étrange, de l'impossible. Wilkie est un peu le Dickens du pinceau. Ses œuvres, qui jouissent d'une grande popularité dans notre France, sont spirituelles, gracieuses, d'un naturel exquis, achevé.
Du reste, s'il aime à peindre des scènes familières du genre de celle que représente notre gravure, il a su traiter d'une manière tout à fait supérieure des sujets dignes en tout point de son pinceau. Dans la Saisie, la Lecture d'un testament, la Lettre de recommandation, le Retour inattendu, l'effet dramatique est énergiquement, puissamment, et, ce qui est surtout remarquable,  simplement rendu.
David Wilkie est Écossais. Il est né à Cults dans le comté de Fife, le 18 novembre 1785; il est mort en 1841.

                                                                                                                            Zénaïde Fleuriot.

La Semaine des Familles, samedi 15 décembre 1866.

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