mardi 4 août 2015

Ceux dont on parle.

M. Henry Roujon.


Un sourire, une poignée de main, une promesse. Quel brave homme! Vous rentrez chez vous le cœur joyeux: votre vœu le plus cher va être exaucé!...
Quelques mois se passent... Ne voyant rien venir, vous retournez chez votre excellent protecteur: sourire, poignées de main, promesse. Vous n'avez pas même besoin de lui expliquer l'objet de votre visite: il ne pense qu'à vous; la semaine précédente, il s'est occupé de votre affaire; il y a des difficultés: le règlement, les concurrents. Patience! Et vous voilà réconforté. La promesse se réalisera peut être, mais déjà vous y attachez moins de prix, car ce qui vaut mieux, l'estime et l'amitié d'un homme éminent vous sont acquises: cinq minutes de conversation vous l'ont prouvé.



M. Henry Roujon excelle dans l'art de charmer ceux qui l'approchent. Sa mémoire, sa finesse d'esprit, lui fournissent toujours, au moment voulu, une parole aimable et si délicatement dite qu'il faudrait avoir un cœur de bronze pour n'en pas être touché. Les salons littéraires du XVIIIe siècle, les ruelles du XVII se seraient disputé cet homme séduisant qu'on ne trouvera jamais à court d'anecdotes spirituelles et de paradoxes subtils. A notre époque démocratique, c'est dans les salons des femmes de ministres, de députés, voire de francs-maçons, qu'il est contraint d'aller dépenser sa verve.
Contraste bizarre: ce fin causeur, ce lettré, ce mondain n'était au collège qu'un cancre, inventeur de toutes les polissonneries possibles. Il l'avoue, il s'en vante et raconte volontiers qu'un de ses plaisirs les plus vifs était de courir à la fontaine, d'appliquer sa paume contre l'orifice du robinet et de faire ainsi adroitement gicler l'eau sur tous ceux qu'il pouvait atteindre. Quelle occupation pour un futur directeur des Beaux-Arts!
Ce n'est pas au lycée qu'il fatigua sa mémoire et c'est peut être pourquoi, elle est restée si vivace. Les examens ne l'attiraient pas. La licence en droit est le seul grade qu'il se soit donné la peine d'acquérir. Sorti des classes, il se mit à travailler, il écrivit. Avec des poètes comme Catulle, Mendès, Léon Dierx, il fonda la République des Lettres, où il eut pour collaborateurs Jean Richepin, Emile Zola, Huysmans, Mallarmé et autres illustres écrivains. Sous le titre Les Abeilles, il y publiait une chronique mordante sur les hommes et les faits du jour: il donnait aussi des vers, le tout signé Henri Laujol.
Ce temps dut être le meilleur de la vie de M. Roujon, car il a bien souvent répété depuis, et même à l'époque où il dirigeait les arts pour vingt mille francs par an, que son ambition était de se faire auteur, romancier, journaliste, n'importe, pourvu qu'il pût écrire ce qu'il signerait et cesser de signer trois cents lettres, peut être trois cent solécismes par jour.
Aussi n'a-t-on pas manqué, dès qu'il a quitté l'administration pour l'Institut, de lui rappeler qu'il avait promis son concours aux Lettres Françaises. M. Roujon s'est recueilli. Il se recueille depuis un an Les Lettres Françaises n'ont qu'à bien se tenir.

                                                                                                                          Santillane

Le canard aux navets.

(d'après Henry Roujon enfant)

Un canard au pied d'une échelle
Dans une mare barbotait.
Tout en haut battant de l'aile,
Un autre canard était.
Le premier canard, s'il tombait,
De point haut ne tomberait.
C'était sur l'autre l'avantage
Que le canard haut n'avait.

                   Andrée Sivigny.

Mon Dimanche, Revue populaire illustrée, 19 février 1905.

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