vendredi 14 août 2015

Ceux dont on parle.

Maxime Gorki.

Il eut pour mère une blanchisseuse et pour père un teinturier. Tout n'a pas été rose dans sa vie.
La biographie qu'a donné de lui-même celui qu'on a appelé le "Prince des vagabonds" et qui est, aujourd'hui, l'un des premiers hommes de lettres de Russie, ne manque pas de piquant.
1878, apprenti chez un cordonnier;
1879, petit employé chez un architecte;
1881, laveur de vaisselle à bord d'un steamer;
1883, aide-boulanger; 
1884, patron boulanger;
1886, choriste dans une troupe ambulante d'opéra;
1887, marchand de pommes dans les rues;
1888, candidat au suicide;
1889, clerc chez un homme de loi;
1891, vagabond;
1893, portefaix dans une gare;
1894, écrivain.
Il y a quelque bizarrerie à passer brusquement de l'état de boulanger à celui de choriste, il est plus surprenant encore de quitter le métier de portefaix pour celui d'écrivain. Il n'est guère permis qu'à la Russie de nous offrir de telles anomalies. Dans les pays avancés comme en France, les romanciers sont des gens du monde pourvu de diplômes, et, sauf exception, des fonctionnaires.
Il manque une date parmi celles qui figurent dans cette biographie: celle de la naissance de Gorki. C'est qu'il ne la connait pas au juste; il croit avoir trente-cinq ou trente-six ans. Ce bohème est un sage. Que lui fait de connaître à quelques mois près le jour de sa naissance? S'il pouvait prévoir celui de sa mort l'intéresserait davantage. Mais pour voir arriver la vieillesse, point n'est besoin de calendrier.



A en croire sa propre biographie, Gorki aurait fait dix métiers différents. Ne croyez pas que c'est par coquetterie qu'il affiche des dispositions aussi diverses, depuis celle de laveur de vaisselle jusqu'à celle de juriste. Il paraîtrait au contraire que la liste de ses emplois est encore plus longue, et qu'il aurait été aussi aide-jardinier, scieur de bois et garde-barrière.
Celle de toutes ces professions qui a le mieux préparé Gorki au métier de romancier, c'est, n'en déplaise à M. Bourget, celle de laveur de vaisselle. L'éducation de Gorki avait été quelque peu négligée et c'est pendant ses loisirs, sur le bateau où il servait comme plongeur, qu'il apprit à lire. Plus tard, un avocat qui avait distingué sa rare intelligence s'occupa de lui faire donner une instruction sérieuse.
Coureurs de grands chemins par nécessité à l'époque où il errait à la recherche d'un gagne-pain, Gorki ne demanderait peut-être pas mieux à présent qu'il est marié et jouit d'une réputation universelle, que d'avoir une résidence fixe. Mais le gouvernement russe ne l'entend pas ainsi et veut l'obliger à reprendre son bâton. Emprisonné à la suite des derniers troubles en Russie, sans qu'aucun fait précis n'eût été relevé contre lui, Gorki fut, à la fin du mois de février, remis en liberté, mais à la condition qu'il quitterait Saint-Pétersbourg. Déjà, quelques temps auparavant, Gorki avait été l'objet d'une mesure analogue; il avait reçu l'ordre, à la suite de la publication de l'un de ses ouvrages, de fixer sa résidence à Nijni-Novgorod. Il partit, en effet, de Saint-Pétersbourg... mais pour se rendre à Moscou, où ses amis l'attendaient. Ils l'attendirent en vain. La police avait eu vent de l'arrivée de Gorki, elle avait envoyé des hommes sur le passage du train et, par une manœuvre habile, le wagon qu'il occupait avait été attaché à un train se dirigeant vers le Caucase. Quelque contrarié qu'il fut, l'ancien mitron trouva le tour bien joué.

                                                                                                                          Jean-Louis.

Mon Dimanche, Revue populaire illustrée, 9 avril 1905.

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