samedi 1 août 2015

Ceux dont on parle.

Forain.

M. Forain a beaucoup d'esprit. Ses boutades sont très amusantes et l'on en cite quelques-unes qui ont un succès tout particulier. Du nombre de celles-ci est l'apostrophe qu'il adressa un jour à M. Carolus Duran: "Hé! bonjour, monsieur Charles Duran, dit-il au célèbre portraitiste, en l'abordant dans un salon. faites-vous toujours de la peinture?." M. Carolus Duran tourna le dos à son facétieux confrère, mais le trait avait porté et les assistants s'en étaient fort égayés.
L'esprit que M. Forain met dans ses plaisanteries comme dans ses œuvres est celui que l'on a appelé l'esprit rosse; n'ayant pu l'inventer, puisqu'il existait avant lui, il se l'est approprié, il en a fait sa spécialité, et bien lui en a pris, car d'inconnu qu'il était et qu'il serait peut être resté, il est devenu fameux.



La méchanceté n'était pas naturelle à ce personnage d'aspect triste et maladif. Ancien élève de l'Ecole des Beaux-Arts, dirigé par des professeurs académiques tels que Carpeaux, Dumont, Jacquesson de la Cheureuse, il n'était pas préparé à battre en brèche les opinions reçues. Mais son caractère indépendant, son goût prononcé pour les maîtres primitifs et le désir de les mieux connaître contrarièrent quelquefois sa carrière. Il erra en Italie et, de retour à Paris, fut enrôlé dans la plus sordide bohème, d'où réussirent enfin à le tirer les mordantes satires que l'observation des hommes et l'expérience de la vie lui suggérèrent. Il avait attendu la célébrité pendant près de trente cinq ans et l'accueillit pourtant sans reproches. Tous les événements politiques qui ont occupé les gazettes depuis vingt ans ont fait le sujet d'une charge de M. Forain, accompagnée d'une légende brève et cinglante. Fait curieux et presque inexplicable, cet artiste frondeur est assez bien vu du parti conservateur pour lequel il a des ménagements inattendus.
Le faubourg Saint-Germain serait-il donc si mal en point qu'un bout de ruban rouge suffirait à y donner accès?

                                                                                                                   Jean-Louis.

Mon Dimanche, Revue populaire illustrée, 5 février 1905.

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