lundi 27 juillet 2015

Le Mardi Gras.

Le Mardi Gras.
en Italie, en France, en Angleterre et en Franconie.



De tous les mardis le plus souhaité, le plus désiré parmi les classes populaires, est le mardi gras, ce dernier jour de la licence, de la folie et des déguisements qui permettent les gais propos et les paroles grivoises. Mais parmi les mardi gras d'Europe, il en est un qui a un renom particulier, celui de Rome.
Le carnaval dure depuis dix jours; mais le mardi gras, la gaieté est à son comble. Les voitures et les masques parcourent le Corso et les rues voisines, échangeant des bouquets, des dragées, du sucre ou du plâtre. Au moment de l'Ave Maria, tout le monde est en rumeur: la foule se rue, se précipite en tous sens, et chacun, à pied, à cheval, en voiture, se livre à toutes les joies, à toutes les excentricités. Il n'est pas un masque qui ne porte à la main une petite bougie allumée (mocoletto), et c'est à qui soufflera la bougie de son voisin. Quand une bougie est éteinte, les plaisanteries éclatent de toutes parts sur la victime. Cela dure jusqu'au moment où la cloche du Capitole annonce la fin du carnaval. Alors arrive le repentir, le commencement du jeûne et des mortifications; Les fronts les plus audacieux se baissent et reçoivent la cendre, qui leur rappelle qu'ils doivent retourner en poussière.
Le mardi gras de Paris qui jouissait autrefois d'une célébrité universelle, est aussi fou et peut être plus dissolu que celui de Rome, mais il se termine d'une façon moins édifiante. Si quelques femmes vont implorer le pardon de certaines licences, la plupart des hommes n'y savent oublier les fatigues de trois jours de désordres, après le bal, que dans l'ivresse du festin et dans de nouvelles orgies. C'est un tableau repoussant dont il faut détourner les yeux.
A Venise, la place Saint-Marc est le grand théâtre où s'étale la pompe du carnaval. Il n'y a pas un masque qui ne s'y rende, aussi la foule est-elle immense. Beaucoup de dames se déguisent pour jouir de l'extrême liberté avec laquelle les masques peuvent paraître partout; mais rien n'est plus singulier que de voir, pour ainsi dire, toute la ville en masque. Des hommes, des femmes vont ainsi au marché, et il n'est pas rare de rencontrer des mères portant dans leurs bras des enfants déguisés.
Dans beaucoup de provinces, le mardi gras porte encore le nom de mardi des crêpes. Jadis, après que les fidèles avaient fait la confession exigée par la discipline de la primitive Eglise, on les autorisait à se livrer à la joie et aux divertissements, sans qu'il leur fût permis toutefois de manger de la viande. De là la coutume de servir en ce jour des crêpes et des beignets, comme un régal pour remplacer des aliments plus solides.
L'usage voulait que le mardi gras chaque personne fit sauter elle-même dans la poêle les crêpes qu'elle devait consommer. Il n'en était pas seulement ainsi en France: on agissait de la même manière en Angleterre: "C'est le jour où riches et pauvres se régalent dans le même plat; toutes les panses se bourrent à plaisir de beignets jusqu'à ce qu'elles soient pleines; les garçons et les filles font chacun à leur tour sauter les crêpes dans la poêle, et la cuisine retentit de grands éclats de rire quand on voit les crêpes tomber par terre."
Le jour du mardi gras s'appelle, en anglais shrove-day, le mardi de la confession. En Ecosse, il porte les noms de fastronevin, fasterseen et fastenseen, qui, tous, signifie la veille du jeûne. Ce nom, plus ancien que le nom anglais, se retrouve chez les Allemands et les Hollandais. Les premiers disent fastenabend et les seconds vastenavond.
Jadis, à Newcastle, dans ce jour d'indulgence permise, on sonnait à midi la cloche de Saint-Nicolas, et à ce moment les boutiques, les magasins et les établissements publics se fermaient; le reste du jour était consacré à la joie et aux divertissements. On s'y livrait à des extravagances souvent grossières. Aujourd'hui, il ne reste presque plus rien des plaisirs du carnaval: le protestantisme a tout prohibé, si ce n'est la satisfaction de manger des crêpes.
Dans le bas peuple du nord de l'Angleterre, le lundi gras est encore appelé le lundi des tranches, à cause de l'ancienne coutume de se régaler ce jour-là d’œufs sur des tranches de pain, auxquelles on substitua plus tard des tranches de viande.
Le mardi gras est partout le dernier jour des mascarades et danses du carnaval, restes évident des anciennes saturnales que l'Eglise a toujours blâmées, sans pouvoir les détruire. Il y a là une association évidente du culte païen avec les rites du christianisme, et l'on reste étonné des profondes racines que ces jours de licence ont conservées dans les esprits. Après avoir lutté avec énergie contre le torrent, les Pères de l'Eglise ont du céder à la force des habitudes et des passions. Ces usages ridicules, ces superstitions absurdes ont résisté mille ans et plus à l'empire de la religion; mais ils semblent vouloir disparaître sous l'influence philosophique de notre temps.
Dans la Franconie, les extravagances et les débauches qui avaient lieu le dimanche, le lundi et le mardi, rappelaient les actes de dissolution des anciennes Lupercales. 



Nouveaux prêtres de Pan, les Franconiens, durant ces jours gras, couraient nus dans les rues, frappant indistinctement tous ceux qu'ils rencontraient avec de petits sacs remplis de cendres qui leur tenaient lieu de fouets. Le mercredi, premier jour du carême, les filles, réunies, s'attelaient à une charrue, qu'elles promenaient au son de la trompe, puis, elles allaient la précipiter dans le fleuve ou le lac voisin, comme une sorte d'expiation des orgies dont les jours précédents avaient été témoins.
Plusieurs villes du midi de la France ont conservé la coutume de promener un immense mannequin que l'on va jeter dans la rivière, le mercredi des cendres, en chantant:"Adieu, pauvre carnaval!". Mais il est un usage qui s'est perpétué jusqu'à nos jours et que le peuple parisien a conservé jusqu'à la chute du second Empire; nous voulons parler de la promenade du bœuf gras. Cette promenade rappelait jusque dans ses moindres détails les restes du culte et surtout des sacrifices que les païens faisaient jadis aux dieux. Cependant, malgré son antiquité, malgré sa persistance à travers les siècles, la promenade du bœuf gras a disparu dans la tourmente qui a suivi la guerre civile et la guerre étrangère en 1870-71.

                                                                                                                      Eugène d'Auriac.

La Mosaïque, Revue pittoresque illustrée de tous les temps et de tous les pays, 1878.

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