vendredi 3 juillet 2015

Le débarquement à Boulogne-sur-Mer.

Le débarquement à Boulogne-sur-Mer.

Nous avons la bonne fortune de mettre sous les yeux de nos lecteurs un remarquable dessin de notre compatriote M. Godefroy Durand, fixé à Londres depuis quelques années.
Cette scène de débarquement à Boulogne, en passant par le crayon de l'habile artiste, devient des plus attrayantes par l'esprit d'observation des différents types pris sur le vif et par l'exactitude du site. Demandez plutôt à tout voyageur retour de Londres ou rappelez vos souvenirs si vous avez fait cette traversée par une mauvaise mer, surtout depuis l'ouverture de l'Exposition.
Voici l'employé de la police sur le bateau, qui inscrit le nom des voyageurs à leur sortie quand quelque figure suspecte se trouve dans la foule. En face, le jeune Anglais qui reçoit les billets de passage. Voilà bien les matelots tendant la main aux passagers chancelants, aux passagères surtout, qui en ont toutes besoin. A côté, se tient le monsieur à la canne, regardant chacun dans le blanc des yeux: c'est le commissaire de police spécial, n'adressant jamais la parole qu'à ceux qui sont doués d'une tournure équivoque. Puis viennent les douaniers faisant ouvrir les malles portatives à tous... les récalcitrants. Enfin, voici les amis qui vous guettent au passage et qu'on embrasse, croyant en avoir fini des inspections; c'est compter sans la population boulonnaise qui vient là pour rire un peu, sans les commissionnaires hommes qui vous harcèlent pour vous conduire quelque part, ne fût-ce qu'à la gare d'à côté, et sans les commissionnaires femmes médaillées, qui doivent transporter vos bagage soit à cette gare, soit à la douane.




Quant au public qui débarque, il y a de tout: voyageurs de commerce, touristes, escrocs ou banqueroutiers, etc., etc. On dit même que cette dernière catégorie s'y trouve souvent, le failli anglais prenant l'habitude de venir passer quinze jours à Boulogne, pour éviter les premières fureurs des créanciers. Aussi en fait-on une plaisanterie, et quand un ami vous aborde: "Je viens de passer quinze jours à Boulogne."-"Ah! bah? lui dit-on, les affaires ne vont donc pas?"
Mais fermons cette parenthèse et revenons aux types des touristes. Au premier plan, nous voyons une famille d'Anglais, d’Écossais, si vous voulez, impressionnée encore de la mauvaise traversée; viennent ensuite, deux amoureux, un jeune couple marié le matin, en secret peut être, ayant préparé la lettre qui doit annoncer l'événement au papa. Ces mœurs anglaises sont singulières! Après cela, ces jeunes gens peuvent bien être de jeunes mariés avec l'autorisation paternelle, venant passer en France leur lune de miel. Cela se fait souvent. Sur la passerelle, nous reconnaissons un clergyman et sa femme, très-éprouvée par la mer.
Les arrivées, comme les départs des paquebots donnent à Boulogne une grande animation; aussi la ville voit sa population indigène englobée peu à peu dans la quantité de touristes ou de baigneurs qui y affluent chaque année, de juin à novembre. C'est une véritable ville d'eaux, où le casino est des plus animés durant toute la saison. Concerts, bals, divertissements attirent gentlemen et ladies; les miss blondes, très-friandes de ces fêtes, en font le plus bel ornement, et plus d'une alliance s'y contracte entre les deux peuples riverains de ce bras de mer devenu si facile à traverser. Le tunnel gâtera bien un peu cela, mais sera-t-il jamais inauguré?

                                                                                                                              M.

La Mosaïque, Revue pittoresque illustrée de tous les temps et de tous les pays, 1878.

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